Loi "confiance dans la justice": des avocats expliquent pourquoi le secret professionnel est menacé

© SputnikRassemblement des avocats en face de l’Assemblée Nationale contre l’article 3 du projet de loi "confiance dans l’institution judiciaire", le 16 novembre 2021
Rassemblement des avocats en face de l’Assemblée Nationale contre l’article 3 du projet de loi confiance dans l’institution judiciaire, le 16 novembre 2021 - Sputnik Afrique, 1920, 17.11.2021
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Plusieurs dizaines d’avocats se sont rassemblés devant l’Assemblée nationale pour réclamer la suppression d’un article de la loi "confiance dans la justice" relatif au secret professionnel. Deux avocats et le député Ugo Bernalicis expliquent à Sputnik en quoi cette règle de droit est désormais menacée.
Plusieurs délégations d’avocats, dont l’Ordre des avocats de Paris, ont manifesté mardi 16 novembre devant l’Assemblée nationale contre le projet de loi "pour la confiance dans l’institution judiciaire" du ministre Dupont-Moretti. Ils s’insurgent contre l’article 3 en particulier, estimant qu’il porte atteinte au secret professionnel.
Ce projet de loi "devait à l’origine renforcer le secret professionnel des avocats", explique à Sputnik Alexis Baudelin, avocat au barreau de Paris.
"On se retrouve aujourd’hui avec un texte qui nous pénalise beaucoup plus qu’il ne nous défend", déplore-t-il.
Désormais, des documents émis entre un avocat et son client, notamment en matière de fraude fiscale ou de financement du terrorisme, peuvent être réquisitionnés par la police sans que le secret professionnel ne puisse être invoqué.
"Les autorités considèrent qu’elles devraient pouvoir aller chercher chez les avocats les documents qu’elles n’arrivent pas à trouver autrement", résume-t-il.
Pire encore, un avocat pourrait dès lors subir une perquisition dans le cadre d’une infraction dont il n’a pas connaissance, et être manipulé de la sorte par son client.
"Si on va au bout du processus législatif, c’est une loi qui va porter de graves atteintes au secret professionnel de l’avocat, qui est le fondement de notre profession", abonde Me Gaëlle Dumont, du barreau de Paris. Elle craint que le texte ne soit une "porte ouverte à des dérives assez inquiétantes" et juge "étonnant" que le ministre de la Justice laisse passer une telle disposition.

Rôle de Dupont-Moretti

Le député de La France insoumise Ugo Bernalicis, qui a notamment présidé la commission d’enquête sur les obstacles à l’indépendance du pouvoir judiciaire l’année dernière, se trouvait également sur place en soutien. "C’est une histoire de dingue", lance-t-il à notre micro. Il rappelle que la version de la loi votée à l’Assemblée nationale renforçait et garantissait bel et bien le secret professionnel, mais a ensuite été modifiée par le Sénat.
Il affirme ne pas comprendre pourquoi une telle modification a eu lieu. "Si un avocat, à la fin, a aidé à commettre une infraction, c’est déjà puni par la loi, donc quel est le problème? Pourquoi rajouter des exceptions comme ça, noir sur blanc, qui sont déjà prévues par le texte?". Le gouvernement a toutefois validé la version proposée par le Sénat, ce qui amène le député à s’interroger sur le rôle du garde des Sceaux dans cette affaire.
"Soit il n’est pas si bon que ça en droit, soit il s’est laissé porter par le texte entre Assemblée et Sénat et il s’en foutait un peu", présume-t-il. Une troisième hypothèse, plus "perverse", serait que le ministre "a laissé modifier le texte au Sénat", en majorité des élus Républicains, pour ensuite l’accuser de nuire au secret professionnel.
En tout cas, ces raisons "sont toutes mauvaises", et révèlent "l’incapacité du garde des Sceaux à tenir parole jusqu’au bout et à défendre un texte jusqu’au bout", estime-t-il.

Réponse du ministre

Dans une lettre ouverte adressée aux avocats le 12 novembre, Éric Dupont-Moretti s’est néanmoins vanté des "avancées majeures, inédites de la protection du secret professionnel de l’avocat".
"L’accord conclu, en commission mixte paritaire par les parlementaires, n’a repris les exceptions voulues par le Sénat que pour un nombre très limité d’infractions", plaide-t-il, déduisant qu’il "n’y a aucun recul du droit existant".
Cette nouvelle version du projet de loi a été validée mardi à l’Assemblée. Ce mercredi 17 novembre, les avocats ont à nouveau l’intention de se mobiliser, cette fois devant le Sénat, où se déroulera jeudi l’ultime vote vers l’adoption définitive. La motion de rejet déposée par Ugo Bernalicis n’a pas abouti. "Il vaut mieux perdre du temps que d’avoir un truc bancal comme aujourd’hui", conclut-il.
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