Vers un retour des Gilets jaunes? "Il faut trouver une autre forme de combat"

© SputnikManifestation des Gilets jaunes à Paris contre la politique sanitaire du gouvernement et la hausse des prix des carburants, 16 octobre 2021
Manifestation des Gilets jaunes à Paris contre la politique sanitaire du gouvernement et la hausse des prix des carburants, 16 octobre 2021 - Sputnik Afrique, 1920, 13.11.2021
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Avec la prorogation du pass sanitaire jusqu’à fin juillet 2022, la hausse des prix du carburant, de l’électricité et du gaz, le mouvement des Gilets jaunes montre des signes de reprise. La vague contestataire peut-elle à nouveau déferler sur la France?
Les Gilets jaunes sont-ils de retour? Au lendemain de l’allocution télévisée d’Emmanuel Macron, lors de laquelle il a annoncé notamment que le pass sanitaire sera conditionné à la troisième dose pour les plus de 65 ans, plusieurs petits groupes de Gilets jaunes ont mené des actions coup de poing à travers la France. À l’image de la trentaine de personnes qui ont bloqué la circulation sur la RN52 au poste-frontière de Mont-Saint-Martin (Meurthe-et-Moselle), dans la soirée du 10 novembre. Selon Oise Hebdo, des Gilets jaunes ont également lancé une opération "péage gratuit" sur l’autoroute A1 au niveau de Senlis.
Le même jour, deux petits rassemblements se sont tenus en Haute-Savoie, un à Alby-sur-Chéran, réunissant "une dizaine de personnes apparentées au mouvement des Gilets jaunes et des anti-pass sanitaire [qui] ont allumé des cagettes" devant une entreprise. Le second a eu lieu "au péage de Cluses, avec une douzaine de Gilets jaunes réunis aux barrières", détaille le Dauphiné Libéré.

Un contexte social explosif

En Bretagne et à Paris, ce samedi 13 novembre, des Gilets jaunes sont à nouveau dans la rue pour dénoncer la politique du gouvernement, notamment pour son choix de proroger le pass sanitaire jusqu’à fin juillet 2022. Or la hausse du prix du carburant, la flambée des tarifs du gaz et de l’électricité avaient déjà poussé des manifestants à réinvestir les ronds-points ces dernières semaines. À l’approche des trois ans du mouvement, la flamme contestataire pourrait-elle retrouver de sa vigueur?
Sophie Tissier, Gilet jaune de la première heure et membre de l’Union citoyenne pour la liberté (UCPL), estime au micro de Sputnik que "c’est impossible": "Il y aura peut-être un petit pschitt parce qu’il reste quelques groupes de gens déterminés, indécrottables, qui continuent de s’agripper car ça été un mouvement fort. Mais il ne renaîtra pas."
Pourtant, il y a urgence et matière à se révolter, souligne Philippe Pascot, écrivain et soutien des Gilets jaunes. Et pour cause, 38 millions de Français, qui gagnent moins de 2.000 euros, se verront verser fin décembre ou début janvier 2022 une prime inflation de 100 euros. "Ce qui démontre qu’aujourd’hui avec moins de 2.000 euros par mois, tu survis. Au final, un Français sur deux est ‘pauvre’ et personne ne saute au plafond", fustige l’auteur du livre Mensonges d’État (Max Milo Éditions).

Difficulté pour s’organiser sur les réseaux sociaux

Une enquête Odoxa-Groupama réalisée pour France Bleu, publiée le 21 octobre, révèle d’ailleurs que les trois quarts des Français (75%) estiment que leur pouvoir d'achat diminue.

"Les choses vont empirer partout: l’hôpital est en désespoir, l’école est en désespoir, le Code du travail aussi, et maintenant l’allocation chômage. Par ailleurs, c’est la première fois depuis 1958 [Convention créant le régime national interprofessionnel d’allocations spéciales aux travailleurs sans emploi, ndlr] que tu peux suspendre des gens sans qu’ils puissent reprendre un travail et toucher leur salaire", énumère l’essayiste.

Une référence à l’obligation vaccinale qui touche notamment les personnels de santé. Autant d’éléments qui pourraient jouer en faveur d’un retour d’une vague jaune en France. Comment nos deux interlocuteurs expliquent-ils donc leur pessimisme quant au futur des Gilets jaunes? "Le mouvement n’est plus le même, il y a eu toute la répression pour les effrayer, pour les décourager de sortir dans la rue", regrette Sophie Tissier.

"Aujourd’hui de toute façon, les Gilets jaunes ont été majoritairement discrédités dans l’opinion publique notamment par toutes les récupérations des groupuscules violents, on l’a vu sur Paris", poursuit-elle.

Sophie Tissier et Philippe Pascot pointent également le rôle des réseaux sociaux qui, si au début du mouvement leur a permis de communiquer entre eux, dorénavant, leur font subir leur modération. "Tous les groupes qui ont été créés au début sont désormais censurés, éteints et inactifs", avance Sophie Tissier. "Et quand tu l’ouvres un peu trop, tu es censuré donc c’est difficile de s’organiser", résume l’écrivain.
Macron accusé de clientélisme pour casser la fronde
Néanmoins, Philippe Pascot n’oublie pas le principal protagoniste qui a mis un coup d’arrêt à la mobilisation: le Président de la République. Selon lui, Emmanuel Macron, "de manière perfide", "saupoudre des petits sucres à droite et à gauche, puis les gens rentrent chez eux".

"Dernièrement, les pompiers n’étaient pas contents, il leur a donné 45 euros, les pompiers sont rentrés chez eux. Les policiers commençaient à râler: ‘ne vous inquiétez pas j’augmente de manière phénoménale le budget de la police’. Les motards étaient en colère à cause du contrôle technique, il a reculé", détaille Philippe Pascot.

"Tout le monde en a marre mais dans son petit coin, c’est un problème car ils ne se rendent pas compte que leur petit sucre ne suffira pas pour l’ensemble de la société", déplore le Gilet jaune. "Alors que si on avait les motards, les camionneurs, les pompiers, etc., dans la rue le même jour, Macron en deux jours, il tombe", affirme-t-il.
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Si les Gilets jaunes ne semblent pas réussir à faire converger les différentes luttes dans la rue, dans les urnes la tâche semble aussi compliquée. Aux européennes de 2019, le résultat des listes issues du mouvement n’a pas été à la hauteur des espérances. L'Alliance jaune de Francis Lalanne, partisan du référendum d'initiative citoyenne (RIC), n'avait obtenu que 0,54% des voix. Christophe Chalençon et sa liste Évolution citoyenne n'ont obtenu que 0,01% des suffrages. Néanmoins, lors des élections municipales en 2020, Fabrice Marchand, un Gilet jaune, a été élu maire d'Ardeuil-et-Montfauxelles, un village de 71 habitants dans les Ardennes.

Un mouvement qui peine à trouver sa traduction politique

Signe qu’il faut continuer d’investir le champ politique traditionnel? Rien n’est moins sûr. Philippe Pascot appelle de ses vœux à "trouver une autre forme de combat". De son côté, Sophie Tissier juge que ce serait "galvauder l’esprit originel des Gilets jaunes".

"Au départ, c’est parti de citoyens lambda qui disaient qu’ils n’arrivaient pas à boucler les fins de mois, qui disaient: ras-le-bol de la politique, des partis, etc., on ne veut pas de vous. On vient dans la rue pour dire stop, on veut un autre système politique", analyse-t-elle.

Sophie Tissier veut donc aller plus loin, en changeant la constitution. Une idée portée par son collectif Union citoyenne pour la liberté. "On ne veut pas passer par la politique classique des partis parce que c’est un système qui est complètement verrouillé dans les institutions de la Ve République afin d’empêcher toute candidature citoyenne, non issue du sérail, d’émerger", avance notre interlocutrice.

"Nous appelons à rejeter les élections en 2022 car ‘c’est un piège à con’. On n’aura jamais les moyens de gagner les élections. Et au pire, on va morceler encore plus une opposition politique qui est déjà complètement effritée, atomisée…"

Une position que regrette Philippe Pascot: "Les gens sont tellement dégoûtés par tous les partis politiques dominants qu’au lieu d’aller voter blanc ou nul ils ne vont pas aller voter". Sans compter que nos deux interlocuteurs affirment que pour assurer la réélection du chef de l’État "ils vont faire jouer les épouvantails comme Zemmour ou Le Pen, ils vont nous faire des clashs politiques, ça va être le cirque habituel", prévient Sophie Tissier.

"Les gens sont complètement apathiques, annihilés, avec tout ce qu’ils prennent sur la tête, qu’ils ne s’en rendent même pas compte. Donc ça va être un bonheur pour Macron d’être réélu", conclut Philippe Pascot.

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