Maroc: après la déroute électorale islamiste, Benkirane veut recoller les morceaux du PJD

© REUTERS / StringerAbdelilah Benkirane
Abdelilah Benkirane - Sputnik Afrique, 1920, 05.11.2021
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Après la défaite encore amère pour le PJD aux dernières élections, le parti se dote d’un nouveau secrétaire général pas si nouveau que ça. Abdelilah Benkirane fait son grand retour après avoir été élu à l’unanimité lors d’un congrès extraordinaire. Pourra-t-il sortir le parti de cette crise inédite?
C'est le retour de l'enfant prodige. À moins que ce soit le parti islamiste marocain qui faisait jusque-là office de brebis égarée, privé qu'il était de son ancien leader. Toujours est-il qu'après une large victoire lors du congrès extraordinaire organisé à Bouznika le 30 octobre dernier, Abdelilah Benkirane a succédé à Saad-Eddine El Othmani à la tête du PJD islamiste, avec 1.112 voix sur 1.250, soit plus de 80%. Cette figure historique du Parti de la justice et du développement a fait l’unanimité face Abdelaziz Omari, ex-maire de Casablanca, et Abdellah Bouanou, ex-maire de Meknès

Reconquête

Après la cinglante défaite qui a coûté 112 sièges au parti islamiste le 8 septembre dernier, un défi de taille attend Abdelilah Benkirane qui se propose de réconcilier les Marocains avec le parti dit de la lampe (en raison de son emblème). Pour rappel, ces derniers l’ont massivement rejeté en attribuant 102 sièges au Rassemblement national des indépendants (RNI-libéral). Un vote sanction qui a dévoilé la quête des Marocains vers le renouveau, la modernité et une profonde réforme.
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Qui de mieux qu’une personnalité "charismatique" qui bénéficie d’une "présence politique" pour prendre la tête du parti, affirme à Sputnik Amina Maelainine, députée et membre du secrétariat général du PJD. Pour elle, "le PJD n’avait pas d’autre alternative, le parti est dans une situation très critique, après les résultats catastrophiques du 8 septembre qu’on n’attendait pas".
Personnalité fédératrice, Benkirane n’a jamais hésité à faire montre de concessions quand ses idées allaient à l’encontre de celles de son propre parti, notamment sur la question du rétablissement des relations avec Israël. À cet égard, il avait alors appelé "ses frères" à ne pas "critiquer" la décision d’El Othmani qui "défend les intérêts du pays". Cette sortie, entre autres, avait révélé son vrai poids au sein du parti puisqu'elle avait calmé les ardeurs des plus réfractaires à ce rapprochement avec Tel-Aviv. Il représentait néanmoins la principale voix dissidente au sein du PJD, si bien que son retour s'inscrit dans la suite logique des choses, après la déroute électorale du parti.
Le fait que ce député de la circonscription de Salé aux législatives en 1997, 2002, 2007, 2011 et 2016soit perçu comme une "machine électorale" pour certains, y était sans doute pour quelque chose. Dans une réunion le 3 novembre avec le groupe parlementaire du PJD, le nouveau chef de file des islamistes marocains a précisé que la politique ne se réduit pas aux élections et que le PJD n'est pas "un parti électoraliste" dont la vocation est d'attendre les échéances électorales, mais "un parti de principes".

Division

Toujours est-il que sur les réseaux sociaux, le retour de celui qui avait démissionné en 2018 après avoir échoué à former un gouvernement divise.
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Sa récente élection a également fait réagir quelques personnes de son parti, y compris sa propre fille, Soumaya Benkirane, qui a annoncé sa démission sur Facebook:
"Avec toute l’affection et la considération que j’ai pour mon père, je pense que de nombreux choix du secrétariat général ne sont pas corrects… Je pense que je vais accélérer la décision de démissionner, que j'ai retardée depuis si longtemps".
L’élection a donné lieu à d’autres démissions, a rapporté le site d'information Yabiladi, comme celle de l’ex-coordinateur du PJD en Allemagne, Anas Hayouni, ou encore de Khadija Abladi, membre du Conseil national du parti.
Des départs qui laissent croire à une scission au sein même groupe, mais que la militante du PJD, perçoit plutôt comme un débat interne avec des points de vue qui divergent: "La nature politique du Parti et de ses militants fait que l’on accepte toujours ce genre de débats. Même avec Benkirane, on n’attend pas un point de vue commun, mais il représente majoritairement cette légitimité et ce rayonnement à donner au parti."
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Et maintenant?

Comment compte-t-il alors s’y prendre pour recoller les morceaux? Changer de leader suffira-t-il? "Bosseur" mais peu charismatique, le prédécesseur de Benkirane, Saad-Eddine el Othmani, n’est pas seul responsable de cet échec, selon l’intervenante de Sputnik. "Il a fait de son mieux, plusieurs raisons ont donné lieu à ces résultats, la personnalité de Othmani a été un coup supplémentaire qui a conduit à cet échec".Elle reconnaît alors que des "fautes" ont été commises en interne. À ce titre, "la refonte et le renouvellement du parti sont nécessaires et cela passera par une évaluation objective, et in fine à une révision de l’offre politique".
Refonte? Renouvellement? Surprenant après ce retour d’une vieille figure du PJD. La même source défend:

"C’est vrai qu’il appartient à la vieille génération, mais quand il était là, il a entamé un grand débat et rapproché le PJD d’un public qui n’est pas nécessairement pro-islamiste, il a essayé de secouer la structure interne côté référentiel et philosophique, mais dorénavant, il doit être soutenu par les jeunes."

Un grand défi attend alors le PJD, selon la députée qui estime que sa réforme passera nécessairement par "une prise de recul, une évaluation, un débat en interne et avec les citoyens". Les positions du parti sont claires concernant les sujets du référentiel islamique, de l’enseignement en français ou encore de l’utilisation du cannabis à des fins thérapeutiques.
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Pour les adversaires du PJD, l’idéologie même du parti est "dépassée", mais ses militants sont "conscients" que la société marocaine a évolué depuis les élections législatives de 2016. La parlementaire, elle, garde espoir. "Il y a une nouvelle génération, des transformations à prendre en considération pour élaborer une thèse politique qui peut marcher dans les années à venir…".
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