Survol interdit: Alger refuse-t-il d'être embarqué dans "l'interventionnisme français" au Mali?

© Photo Pixabay / manil_tebibel Algérie
Algérie - Sputnik Afrique, 1920, 05.10.2021
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Des propos attribués au Président français Emmanuel Macron sur l’Algérie ont provoqué une crise entre les deux pays. Alger a interdit le survol de son espace aérien aux avions militaires français. Serait-ce également une manière pour les Algériens, chantres d'une "solution politique", de se démarquer de l'approche française au Mali?
Cette nouvelle crise entre Alger et Paris cacherait-elle des tensions d’ordre géopolitique au Sahel? La décision des autorités algériennes d’interdire, dimanche 3 octobre 2021, le survol de l’espace aérien aux avions militaires français est inédite. Aucune mesure d’une telle ampleur n’avait été imposée par l’Algérie lors des précédents accès qui surviennent cycliquement entre les deux pays. Surtout que les deux États entretiennent une collaboration intense en matière de sécurité et de lutte antiterroriste.

"Rester prudent"

Contacté par Sputnik, Ahmed Mizab, expert en stratégie et en sécurité, se montre toutefois prudent en l’absence d’une confirmation officielle des autorités algériennes.

"Nous constations qu’à l’heure actuelle il n’y a eu aucun communiqué officiel du gouvernement algérien qui fait part de cette interdiction de survol de l’espace aérien aux appareils militaires français. Pour l’heure, nous n’avons lu que des comptes-rendus dans la presse française. À mon avis, l’Algérie est en train d’étudier une série de mesures qu’elle imposera dans le cadre de cette affaire. Il est donc trop tôt pour parler de fermeture de l’espace aérien algérien car il y a de nombreuses contradictions. Il est préférable d’attendre une réaction officielle de l’État algérien", explique l’expert.

En janvier 2013, l’Algérie avait ouvert son espace aérien aux avions militaires français engagés dans l’opération Serval au Mali. L’information avait été rendue publique par Laurent Fabius, alors ministre des Affaires étrangères. Ahmed Mizab note que cette autorisation de survol des avions militaires français ainsi que l’approvisionnement en carburant et en eau par l’armée algérienne à la frontière avec le Mali ont "été utilisés à des fins politiques par certaines parties françaises". Le fait de rendre publiques ces informations visait, selon lui, à provoquer des réactions négatives de l’opinion publique algérienne.
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Sur les réseaux sociaux algériens, on rembobine les différents actes de la crise actuelle, à commencer par la restriction du nombre de visas jusqu'aux propos critiques contre le régime algérien rapportés par la presse française, en s’interrogeant sur les raisons qui ont conduit le Président français à organiser une telle attaque en règle.
Plusieurs pistes sont évoquées, notamment le fait qu’Emmanuel Macron s’engage sur le terrain algérien à l’approche d’une élection présidentielle durant laquelle il sera confronté à des concurrents de l’extrême droite. Ou encore une tentative de soutenir le Maroc de Mohamed VI, adversaire de l’Algérie.

"C'est probablement le dossier malien qui semble être la cause de cette réaction du locataire de l’Élysée, qui a échoué dans sa tentative d’engager l’armée algérienne au Mali", laisse entendre un diplomate algérien sous couvert d'anonymat.

Depuis plusieurs mois, la France essaye de se désengager du bourbier malien tout en encourageant une intervention de l’armée algérienne. Au mois de février 2021, lors d’une intervention par visioconférence au le sommet du G5 Sahel de N'Djamena, Emmanuel Macron a annoncé avoir eu "une confirmation d'un réengagement algérien et marocain dont je me félicite, car il est important pour la stabilité de la région". Une déclaration qui a donné lieu, sur les réseaux sociaux, à des interprétations avec la conclusion suivante: l’armée algérienne se prépare à intervenir au Sahel en contrepartie d’un soutien de la France au régime du Président algérien Abdelmadjid Tebboune. Le ministère de la Défense algérien a mis aussitôt les points sur les i.

"Certaines parties et porte-voix de la discorde ont relayé via leurs pages et comptes subversifs sur les réseaux sociaux des allégations dénuées de tout fondement, proférant que les actions et les opérations menées par l’institution militaire, aux niveaux interne et externe, répondent à des agendas et des instructions émanant de parties étrangères, et que l’Armée nationale populaire s’apprête à envoyer des troupes pour participer à des missions militaires en dehors de nos frontières nationales sous le chapeau de puissances étrangères dans le cadre du G5 Sahel, ce qui est faux et inadmissible", avait indiqué le département de la Défense dans un communiqué de presse.

Le gouvernement algérien donne l’impression d’être gêné par l’interventionnisme français qui, avec le temps, a provoqué une dégradation de la situation sécuritaire au Sahel. "La présence militaire française au Sahel a provoqué une aggravation de la situation sécuritaire qui a fini par dépasser les frontières avec le Mali", affirme Ahmed Mizab. Les militaires algériens refusent de se voir forcer la main. Selon lui, Alger n’a aucun intérêt à soutenir "la démarche interventionniste française" mais semble se rapprocher de la position russe, nouvel acteur dans le Sahel, qui préconise une "solution politique".

"L’Algérie et la Russie entretiennent des relations stratégiques. Alger et Moscou partagent la même vision pour le règlement des crises au Sahel puisque les deux États sont pour des solutions politiques. La militarisation de la région est une très mauvaise option. Il semble exister un rapprochement entre les points de vue algérien et russe basés sur le respect de la souveraineté des États de la région en donnant la priorité au règlement pacifique", note l’expert.

Pour rappel, la fermeture de l'espace aérien algérien aux avions militaires français, annoncée le dimanche 3 octobre par des médias citant des sources militaires françaises, n'est qu'un nouvel acte d'une dégradation des relations diplomatiques intervenues entre les deux pays il y a quelques jours. Tout a commencé le 28 septembre avec une déclaration du porte-parole du gouvernement français annonçant une réduction drastique des visas aux ressortissants des trois pays du Maghreb, l'Algérie, le Maroc et la Tunisie, accusés de ne pas faire preuve de bonne volonté pour l'expulsion de leurs ressortissants entrés illégalement sur le territoire français. Le ministère algérien des Affaires étrangères a convoqué François Gouyette, l’ambassadeur de France à Alger, pour lui remettre une "protestation formelle" en déplorant un "acte malencontreux qui frappe de précarité et d'incertitude un domaine sensible de coopération".
Jeudi 30 septembre, le Président Emmanuel Macron a invité 18 jeunes gens à un déjeuner au palais de l’Élysée afin de débattre de la question mémorielle liée à la guerre d’Algérie. L’assistance est composée de jeunes dont les "grands-parents ont été combattants du Front de libération nationale (FLN), militaires français, appelés, harkis ou rapatriés (pieds-noirs et juifs). L’un d’eux est même l’arrière-petit-fils du général Salan, ancien chef de l’Organisation armée secrète (OAS)", précise Le Monde qui semble avoir été chargé de fuiter les propos tenus par le Président Macron durant cette rencontre.
Durant deux heures, le chef de l’État a abordé une série de sujets de façon frontale, sans obligation de réserve, en prenant soin de s’attaquer au "système politico-militaire" algérien. C’est le cas lorsqu’il aborde la question des visas:

"Il n’y aura pas d’impact sur ce qu’on évoque. On va s’attacher à ce que les étudiants et le monde économique puissent le garder. On va plutôt ennuyer les gens qui sont dans le milieu dirigeant, qui avaient l’habitude de demander des visas facilement", explique-t-il. Un moyen de pression pour dire à ces "dirigeants" que "si vous ne coopérez pas pour éloigner des gens qui sont en situation irrégulière et dangereux, on ne va pas vous faciliter la vie", rapporte Le Monde dans ce compte-rendu qui n’a pas été démenti de l’Élysée.

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Le Président Macron dénonce une "nation algérienne post-1962 (qui) s’est construite sur une rente mémorielle" allant jusqu’à s’interroger sur l’existence "d’une nation algérienne avant la colonisation française?". Il s’engage ensuite sur le terrain particulièrement sensible de la politique intérieure algérienne, présentant le Président Abdelmadjid Tebboune comme étant otage du système "système politico-militaire".

"Je ne parle pas de la société algérienne dans ses profondeurs mais du système politico-militaire qui s’est construit sur cette rente mémorielle. On voit que le système algérien est fatigué, le Hirak l’a fragilisé. J’ai un bon dialogue avec le Président Tebboune, mais je vois qu’il est pris dans un système qui est très dur", écrit Le Monde.

"Manipulation des faits"

Samedi 2 octobre 2021, la Présidence de la République algérienne a rendu public un communiqué de presse pour exprimer "le rejet catégorique de l'ingérence inadmissible dans ses affaires intérieures". "Les crimes de la France coloniale en Algérie sont innombrables et répondent aux définitions les plus exigeantes du génocide contre l'humanité. Ces crimes qui ne sont pas prescriptibles ne sauraient faire l'objet d'une manipulation des faits et d'interprétations atténuantes", note le communiqué.
Alger rappelle pour consultation son ambassadeur à Paris. La tension monte également dans la presse locale et dans les réseaux sociaux pour dénoncer les propos du Président français.
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