Cameroun: les médicaments de rue, un marché noir à ciel ouvert

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Médicaments (image d'illustration) - Sputnik Afrique, 1920, 01.10.2021
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Des experts venus de 21 pays d'Afrique se sont retrouvés à Yaoundé du 27 au 29 septembre pour tabler sur la problématique du commerce illicite de médicaments. Un commerce qui prend des proportions inquiétantes et qui se déroule parfois, comme à Douala, en toute impunité. Pourtant le médicament de rue constitue un réel problème de santé.
Sous un ciel particulièrement ensoleillé en cette fin de mois de septembre, le marché central de Douala baigne dans une atmosphère des jours ordinaires. Entre son concert sonore assourdissant et les étals à même la chaussée, difficile pour l’usager de se frayer un chemin. Ce marché, l’un des plus grands de la ville, est aussi réputé être le lieu par excellence d’un commerce particulier: les produits pharmaceutiques.
Dans l’un des sites attenants, au lieu-dit "Gazon", loin des pharmacies et des endroits homologués, des centaines de commerçants proposent des médicaments de tout genre et de toutes les origines, une sorte de marché noir de la contrebande et de la contrefaçon, qui prospère depuis des décennies au nez et à la barbe des autorités.
© Sputnik . Anicet SimoUn des couloirs du lieu-dit "Gazon" au marché central de Douala où sont commercialisés les médicaments.
Un des couloirs du lieu-dit Gazon au marché central de Douala où sont commercialisés les médicaments.  - Sputnik Afrique, 1920, 01.10.2021
Un des couloirs du lieu-dit "Gazon" au marché central de Douala où sont commercialisés les médicaments.

"Tout le monde se ravitaille ici"

Dans ce site aux allures de labyrinthe, Valère T. est un des nombreux commerçants installés depuis presque 10 ans. La quarantaine bientôt entamée, ce "pharmacien de rue" déroule avec aisance le lexique du domaine comme une preuve de sa maîtrise du secteur. "Je ne fais pas que vendre comme certains. Je prescris aussi des médicaments en fonction des maux dont souffrent les patients. Et tout ça je l’ai appris ici auprès de mes mentors", lance-t-il avant de servir une cliente à qui il vient de faire une rapide "consultation".

"Nos médicaments viennent de partout: l’Inde, la France, le Congo, le Nigeria… Certains sont fabriqués au Cameroun. Et comment croyez-vous que nous les obtenions? Ils passent par la douane comme tous les autres produits. Nous ravitaillons tout le monde même certaines pharmacies et centres de santé", assure-t-il à Sputnik.

© Sputnik . Anicet SimoDes vendeurs des médicaments de rue installés aux abords du marché central de Douala
Des vendeurs des médicaments de rue installés aux abords du marché central de Douala - Sputnik Afrique, 1920, 01.10.2021
Des vendeurs des médicaments de rue installés aux abords du marché central de Douala
S'il est moins évident de confirmer ces propos, de multiples cargaisons partent au quotidien pour alimenter d’autres circuits à travers le pays. Dans les grandes villes comme à la campagne, nombreux sont ceux qui se ravitaillent au coin de la rue, motivés par l’argument du prix, à leurs risques et périls: "Ici au Gazon, tout le monde trouve son compte. On m’a prescrit un médicament à l’hôpital pour mon fils. En pharmacie cela coûte 8000 f CFA (14 dollars), je l’ai retrouvé ici à 1500 f CFA (2.5 dollars)", se réjouit Hortense Mbida, une cliente rencontrée au marché central de Douala.

Le difficile combat

Selon les chiffres de l’Ordre nationale des pharmaciens (ONPC), au Cameroun près de 40% des médicaments sont issus de la contrebande. Des médicaments qui échappent à tout contrôle et se retrouvent directement entre les mains des populations. D’ailleurs, cette problématique était au centre des discussions dans le cadre d’un séminaire régional organisé par le Projet des droits de propriété intellectuelle et innovation en Afrique (Afripi) du 27 au 29 septembre à Yaoundé. Les experts venus de 20 pays ont échangé autour des actions à envisager pour sécuriser le commerce des produits pharmaceutiques.
A l’ouverture des travaux, Rose Ngono Mballa, directeur du Laboratoire national du contrôle de la qualité (Lanacome) du Cameroun, a relevé que les médicaments de première nécessité constituent 35% de ceux qui circulent dans le commerce illicite dans ce pays, provoquant "très souvent des intoxications et des échecs thérapeutiques". Elle a souligné la nécessité de renforcer "le système de défense et de contrôle".
© Sputnik . Anicet SimoDes médicaments entreposés dans une boutique au marché central de Douala
Des médicaments entreposés dans une boutique au marché central de Douala - Sputnik Afrique, 1920, 01.10.2021
Des médicaments entreposés dans une boutique au marché central de Douala
Dans la même veine, le 25 septembre, les pharmaciens du Cameroun ont réitéré leur intention de poursuivre le combat contre les médicaments de rue à l’occasion de leur journée mondiale. L’ONPC a demandé à l’État de prendre des mesures draconiennes pour mettre fin à cette activité illégale. Dans une interview accordée au quotidien gouvernemental Cameroon tribune, le Dr Franck Nana, président de l’ONPC, demande "à l’État de durcir, à travers la loi, la répression sur la vente illicite des médicaments au Cameroun. Trois ans de prison, c’est peu pour celui qui entraîne des personnes de façon volontaire à la mort".
"Nous devons aller au minimum à cinq ans et voir quelle somme financière assez élevée autour de 20, 30, pourquoi pas 40 millions de f CFA (70.528 dollars) de pénalités", a-t-il déclaré.
Yaoundé - Sputnik Afrique, 1920, 19.03.2019
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En effet, selon le Code pénal camerounais, "est puni d’un emprisonnement de trois mois à trois ans et d’une amende d’un million à 3.000.000 de f CFA (environ 5.000 dollars) celui qui vend un médicament sans y être légalement autorisé…". De nombreux contrevenants à cette disposition, à l’instar des centaines de vendeurs du marché central de Douala, courent sereinement les rues du pays sans être inquiétés.
Cependant, côté gouvernement, quelques croisades et opérations ponctuelles sont organisées dans les grandes villes, aboutissant à la saisie et à la destruction de quelques cargaisons. Des actions éphémères, qui se heurtent à de nombreuses barrières comme la corruption, et autres réseaux souterrains facilitant l’accès du marché noir aux médicaments.
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