Afghanistan: les États-Unis dépendent du Pakistan, mais snobent Islamabad

© AP Photo / B.K. BangashEx-Premier ministre pakistanais Imran Khan
Ex-Premier ministre pakistanais Imran Khan - Sputnik Afrique, 1920, 03.09.2021
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Entre Washington et Islamabad, rien n’est simple sur le dossier afghan, soulignent des câbles diplomatiques qui ont fuité dans la presse. Les gouvernements des deux puissances s’abhorrent, mais leur interdépendance s’accroît. Gilles Boquérat et René Cagnat, spécialistes de l’Asie centrale, portent leurs regards croisés sur cette relation houleuse.
«Ils se détestent, mais ils ont besoin l’un de l’autre», explique à Sputnik René Cagnat, ancien officier et diplomate, spécialiste de l’Asie centrale.  
Une série de notes diplomatiques et d’échanges entre Washington et Islamabad, révélées par Politico, illustrent le bras de fer à huis clos entre les États-Unis et le Pakistan. On y apprend notamment que Washington fait discrètement pression sur le Pakistan afin qu’il coopère davantage dans la lutte contre les groupes terroristes tels que l’État islamique au Khorasan* et Al-Qaïda*, à la suite de la prise de contrôle de l’Afghanistan par les talibans*.
De son côté, le Pakistan –longtemps accusé par les responsables américains d’aider les talibans– a laissé entendre qu’il souhaitait que l’on reconnaisse publiquement son aide aux réfugiés afghans. «M. Khan a laissé entendre que le gouvernement pakistanais apprécierait également une reconnaissance publique de l’aide apportée par le pays sur le front de l’évacuation», souligne l’une des notes.

Les Américains «dépendants» du Pakistan

Loin des caméras, les deux pays affichent des attentes contradictoires et face à elles, leurs dirigeants se battent froid. Depuis son élection, le Président Biden n’a d’ailleurs toujours pas appelé ou parlé au Premier ministre Imran Khan. Un silence qui irrite particulièrement le chef d’État pakistanais, qui fait l’objet d’importantes moqueries dans la presse et sur les réseaux sociaux.
De son côté, le dirigeant pakistanais n’a pas manqué de tacler les officiels de Washington lorsqu’il a expliqué que les Afghans, et non les talibans, avaient brisé «les chaînes de l’esclavage» au moment de la reprise du pouvoir par ces derniers. La Maison-Blanche appréciera.
De surcroît, à Washington, «il y a toujours cette impression que les Pakistanais les ont menés en bateau, qu’ils ont toujours eu un double langage sur le contre-terrorisme et l’Afghanistan. D’un côté, ils aident dans le renseignement et de l’autre, ils hébergent des terroristes de haut niveau», explique à Sputnik Gilles Boquérat, chercheur associé à la Fondation pour la recherche stratégique.
Le récent refus pakistanais d’accueillir des bases américaines leur permettant de garder une présence militaire proche de l’Afghanistan n’a certainement pas amélioré la situation. Conscients de l’imminence de leur départ, les États-Unis cherchaient depuis le mois de juin des pays avoisinant l’Afghanistan où redéployer une partie de leurs forces. Les demandes faites au Pakistan sont restées lettre morte.

Relations «transactionnelles»

Des membres des services américains se tiennent devant un drapeau américain lors d'une cérémonie à l'occasion du treizième anniversaire des attaques terroristes du 11 septembre 2001 devant le mémorial du World Trade Center à l'aérodrome de Bagram, en Afghanistan, jeudi 11 septembre 2014. - Sputnik Afrique, 1920, 16.08.2021
«À côté de la plaque»: les USA ont étalé en Afghanistan «leur ineptie stratégique, tactique, logistique»

Paradoxalement, ces dissensions illustrent toutefois les besoins réciproques des deux puissances. Une interdépendance sans doute destinée à s’accroître: dans la lutte contre le djihadisme par exemple, le Pakistan est probablement l’acteur régional le plus important d’Asie centrale. «Pour tirer depuis leurs drones ces vingt dernières années, les États-Unis ont eu besoin du renseignement pakistanais», explique Gilles Boquérat. Avec le retrait des GI’s d’Afghanistan, Washington a perdu les yeux et les oreilles de ses troupes conventionnelles sur place:

«Les Américains sont désormais bien plus dépendants du Pakistan qu’ils ne l’étaient pour obtenir du renseignement sur le contre-terrorisme en Afghanistan», estime ainsi Gilles Boquérat.
De fait, le meilleur canal de communication pour Kaboul passerait désormais par Islamabad. René Cagnat, auteur de Le désert et la source: djihad et contre-djihad en Asie centrale (Éd. du Cerf) souligne au micro de Sputnik que
«Le Pakistan est le grand vainqueur à l’issue du conflit afghan, car les talibans sont leurs protégés
C’est encore plus vrai avec Imran Khan aux manettes. En effet, ce dernier s’était «fait connaître par son surnom “Taliban Khan”», rappelle Gilles Boquérat. Il avait également été très critique vis-à-vis des frappes de drones du côté pakistanais de la frontière. D’après l’ancien diplomate, le Pakistan compte désormais profiter de cette position de force nouvellement acquise.
«Les relations entre les États-Unis et le Pakistan ont toujours été très transactionnelles [basées sur du donnant-donnant, ndlr]», rappelle le chercheur de la Fondation pour la recherche stratégique.
Les Pakistanais «ont toujours l’impression d’être utilisés par les Américains et abandonnés au profit des Indiens, dès que les États-Unis n’ont plus besoin du Pakistan», poursuit le chercheur. Une rancœur vieille d’au moins 40 ans:
«Après avoir aidé le djihad contre l’Union soviétique dans les années 1980, les États-Unis ont par la suite imposé des sanctions contre le programme nucléaire pakistanais. Ces sanctions n’ont été levées qu’après que le Pakistan affiche son soutien à la lutte antiterroriste et à l’intervention occidentale en Afghanistan», précise-t-il.
Néanmoins, un positionnement antiaméricain serait contre-productif pour Islamabad. Le Pakistan a «besoin du soutien économique américain.» «La situation économique pakistanaise étant ce qu’elle est, le pays a besoin des prêts des grandes institutions de financements internationaux, au sein desquelles Washington tient un rôle prépondérant», précise Gilles Boquérat.

Fragilité économique pakistanaise

«Le fort ralentissement de l’activité économique enregistré sur le dernier exercice budgétaire (le pays est entré en récession pour la deuxième fois de son histoire contemporaine) s’est également accompagné d’une forte accélération de l’inflation (10,7% en 2019/20), cela en dépit de la chute des cours du pétrole», précise la direction générale du Trésor français.
Pour assurer son développement économique, le Pakistan a multiplié ses relations économiques avec la Chine. Au premier trimestre 2021, 70% de ses exportations allaient vers l’Empire du Milieu. Un jeu dangereux toutefois, car cette intégration économique tous azimuts avec Pékin reste mal perçu du côté de Washington.
De fait, «les Pakistanais les plus avisés, notamment dans le domaine militaire, savent qu’ils n’ont pas intérêt à devenir totalement dépendants de la Chine», conclut le chercheur de la Fondation pour la recherche stratégique.
*Organisation terroriste interdite en Russie
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