Le Qatar, un médiateur plus que partisan dans la crise afghane

© AFP 2023 -Le mollah Abdul Ghani Baradar au Qatar
Le mollah Abdul Ghani Baradar au Qatar - Sputnik Afrique, 1920, 02.09.2021
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À la demande des talibans*, Doha s’apprête à gérer la réouverture de l’aéroport de Kaboul. Le dossier afghan a mis en exergue le rôle central de l’émirat. Médiateur historique entre les différents partis, il jouerait également un «double jeu» avec les mouvements islamistes, estime Emmanuel Razavi, reporter.
Et si la relation entre les talibans* et le Qatar était mise à nue? Un jour après le retrait total des troupes américaines, le petit émirat est le premier pays à avoir envoyé un avion à l’aéroport de Kaboul. Le 1er septembre, le Boeing C-17A Globemaster qatarien s’est en effet posé sur le tarmac. À la demande des nouveaux maîtres de l’Afghanistan, Doha a dépêché une équipe technique «pour la gestion de l’aéroport aussi vite que possible» tant pour «l’assistance humanitaire que pour assurer la liberté de mouvement de façon sûre et en sécurité, y compris la reprise des évacuations».

Après la mission militaire, la mission diplomatique

Le Qatar serait ainsi en passe de gérer la prochaine réouverture de l’aéroport international Hamid Karzaï. Par l’intermédiaire de sa diplomatie active et de son soft power audiovisuel, le riche émirat gazier est devenu un acteur incontournable de la crise afghane. Le chef de la diplomatie qatarienne Mohammed ben Abderrahmane Al-Thani a même affirmé: «En tant que médiateur juste et neutre ces dernières années entre les talibans et les États-Unis, ou entre les talibans et les autres parties afghanes, nous avons bâti une confiance.»
«C’est un jackpot diplomatique pour l’émir du Qatar», estime Emmanuel Razavi, grand reporter et auteur de Qatar, vérités interdites: un émirat au bord de l’implosion (Éd. L’Artilleur):
«Doha a joué un coup immense dans cette crise. Il est le seul interlocuteur entre les talibans et les Américains. Toutes les négociations passent par le Qatar. Doha a redoré son image sur la scène régionale et internationale par le biais du dossier afghan.»
Et c’est peu dire: après s’être retirés d’Afghanistan, les Américains y continuent leur activité diplomatique par le biais de leur consulat à Doha. Comme l’a affirmé Antony Blinken, Washington, après avoir terminé sa mission militaire en Afghanistan en commence une nouvelle – diplomatique celle-ci.
Mais les États-Unis ne seraient pas les seuls à s’appuyer sur l’émirat. La France elle aussi s’est entretenue le 28 août avec les talibans par l’intermédiaire du Qatar. En déplacement à Bagdad, Emmanuel Macron a notamment déclaré que «notre objectif est que nous puissions [...], par ce travail de coopération avec le Qatar, dans le cadre de discussions avec les talibans, procéder à des opérations d’évacuation ciblées pour protéger ces femmes et ces hommes que nous avons identifiés».
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«Ce n’est pas nouveau, le Qatar a toujours joué un rôle de médiateur depuis plusieurs années» sur le dossier afghan, fait remarquer le grand reporter. L’accord historique de paix en février 2020 entre les talibans et les Américains avait été signé à Doha. Il incluait le départ des troupes américaines et de l’Otan d’Afghanistan en contrepartie d’un engagement de la part des talibans pour que le pays ne redevienne pas un sanctuaire de terroristes.
«Le Qatar avait déjà participé en 2014 à la libération d’un sergent américain retenu en Afghanistan», rappelle Emmanuel Razavi. En effet, dans un jeu de billard à trois bandes, les Américains avaient libéré cinq Afghans pour les transférer au Qatar en contrepartie de la libération du soldat Bowe Bergdahl pris en otage par les talibans en 2009. Par l’intermédiaire de son jeu d’équilibriste, Doha retrouverait ses lettres de noblesses et jouerait dans la cour des grands.
«Les Qataris ont compris qu’ils avaient une partition à jouer pour revenir dans le concert des nations et plaire aux Américains avec lesquels ils étaient un peu en froid depuis les frictions de 2017», souligne Emmanuel Razavi.
«C’est une revanche du Qatar sur ses voisins du Golfe», ajoute-t-il. En effet, depuis le blocus du pays en 2017, le petit émirat se retrouvait quelque peu isolé de son environnement régional. L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis lui reprochaient ses liens avec Téhéran et avec les différentes mouvances fréristes dans la région. Ce contentieux diplomatique a pris fin le 5 janvier 2021.
Ironie de l’histoire: alors que les administrations saoudiennes et émiraties s’étaient empressées de reconnaître le gouvernement des talibans entre 1996 et 2001, voici qu’en 2021 ils ont décidé de rapatrier leurs ambassades. Ce que n’a pas fait le Qatar.

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Bien au contraire. C’est de Doha que le chef du bureau politique des talibans, le mollah Abdul Ghani Baradar, a rejoint Kandahar à bord d’un avion militaire de la Qatar Air Force le 17 août dernier. Il a dirigé les affaires politiques du mouvement à distance pendant plusieurs années. «Le Qatar joue un double jeu avec la crise afghane», remarque le journaliste de terrain. Alors que Doha recevait sur son sol les responsables talibans libérés de Guantanamo en 2013, il avait décidé la même année d’ouvrir un bureau politique pour le mouvement islamiste afghan.

Les événements en Afghanistan auraient surtout mis en exergue l’omniprésence de la chaîne qatarie Al-Jazeera auprès des nouveaux maîtres de Kaboul. «C’était le canal de communication préféré des talibans, ils s’en servent pour policer leur image», avance Emmanuel Razavi qui a lui-même rencontré des membres de l’organisation au cours de ses nombreuses pérégrinations en Afghanistan.
Mais une fois de plus, «rien de nouveau, il y a une tradition historique d’accueillir des délégations, des représentations des mouvements islamistes régionaux», affirme Emmanuel Razavi. Le petit émirat serait devenu la terre d’accueil de tous les extrêmes: du chef politique du Hamas Ismaïl Haniyeh à des cadres du Hezbollah en passant par les représentations des groupes djihadistes syriens.
«C’est le jeu de la diplomatie, il faut parler à tout le monde. Mais comment croire le Qatar qui a un jeu plus que trouble dans ce dossier? Difficile d’imaginer que le petit émirat, si prompt à financer les mouvances djihadistes, n’ait pas subventionné les talibans», s’interroge-t-il.
Ses liens plus que cordiaux avec les nouveaux maîtres de l’Afghanistan n’ont rien changé pour autant à ses relations avec les États-Unis. Durant le mandat de Trump, les deux pays avaient signé plusieurs contrats concernant le pétrole, l’aéronautique et l’armement. Les Américains disposent également de la base militaire d’Al-Udeid au Qatar, la plus grande du Moyen-Orient. Elle aurait été utilisée pour la première fois en 2001 pour l’intervention en Afghanistan. «Doha est à la fois l’allié des États-Unis et le parrain des gens qui ont défait les Américains.» Décidément, le dossier afghan n’est pas à une contradiction près.
L’exemple du Qatar rappellerait le poids de la realpolitik dans les relations internationales.
«Le Qatar est une place stratégique dans le golfe Persique entre l’Iran d’un côté et l’Arabie saoudite de l’autre. Doha est un très grand consommateur de produits occidentaux, il achète les compétences, les technologies à l’Occident. C’est un entremetteur clé et un client économique qui use de la diplomatie du chéquier. Mais il ne faut pas être dupe parce que le pays soutient des organisations terroristes anti-occidentales», conclut Emmanuel Razavi.
Quand il s’agit de faire du business, l’argent n’a pas d’odeur.
*Organisation terroriste interdite en Russie et dans plusieurs pays.
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