À quoi joue le Maroc en soutenant le Mouvement pour l'autodétermination de la Kabylie?

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Mouvement pour l'Autodétermination de la Kabylie (MAK) - Sputnik Afrique, 1920, 22.07.2021
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Dans un entretien à Sputnik, le professeur Naoufel Brahimi El Mili, ex-enseignant-chercheur à Sciences Po Paris, analyse les causes et les enjeux de la crise diplomatique provoquée par le représentant du Maroc à l’Onu contre l’Algérie, soutenant le Mouvement pour l'autodétermination de la Kabylie. Il y voit également des enjeux géostratégiques.

Dimanche 18 juillet, Alger a rappelé son ambassadeur à Rabat pour consultation, vu l’absence de réponse de clarifications marocaines quant à «l’acte hostile» du représentant du royaume chérifien à l’Onu, Omar Hilale, qui a distribué une carte de l’Algérie amputée de la Kabylie aux membres du Mouvement des non-alignés, lors d’une réunion tenue les 13 et 14 juillet à New York.

Tout en faisant le parallèle entre la question de l’autodétermination du peuple sahraoui, le diplomate marocain a apporté son soutien aux revendications du Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK), classé par l’Algérie depuis le mois de mai 2021, avec le mouvement islamiste Rachad, comme organisation terroriste.

Dans un communiqué rendu public, le ministère algérien des Affaires étrangères avertit, dans un ton on ne peut plus clair, que d’autres mesures seront prises en fonction de l’évolution de cette crise.

L’Algérie s’achemine-t-elle vers l’expulsion de l’ambassadeur du Maroc à Alger et une rupture pure et simple des relations diplomatiques avec ce pays voisin? La sortie de l’ambassadeur du Maroc aux Nations unies cache-t-elle des enjeux géostratégiques plus importants, au-delà des divergences classiques entre les deux États sur le conflit au Sahara occidental?

Pour tenter de répondre à ces questions, Sputnik a sollicité le professeur Naoufel Brahimi El Mili, politologue et ex-enseignant-chercheur à Sciences Po Paris à la retraite, spécialiste de l’Algérie et auteur de deux livres sur ce pays.

Pour lui, «le Maroc n’aurait jamais osé provoquer cette crise sans le soutien appuyé d’Israël qui est un fervent appui notoire du MAK, dont le Président Ferhat Mehenni s’est déjà rendu à Tel Aviv il y a quelques années de cela». Par ailleurs, il pointe également «la politique des États-Unis au Maghreb, au Sahel et en Afrique en général, qui vise à contrecarrer la présence chinoise et russe, en plus de la politique française dans la région».

Le Maroc «se trompe de cible»

«Ce n’est pas la première fois que le Maroc apporte son soutien au MAK», affirme le professeur Brahimi El Mili, rappelant que «c’est avec l’aide de Rabat que Ferhat Mehenni, également président autoproclamé du Gouvernement provisoire Kabyle (GPK ou Anavad) installé à Paris, a déposé en septembre 2017 un mémorandum pour l’indépendance de la région à l’Onu».

Et d’expliquer que «la démarche marocaine vise à intégrer les revendications sécessionnistes du MAK dans une dynamique africaine et internationale plus globale, marquée par un grave problème similaire qui se déroule actuellement dans le nord de l’Éthiopie avec la rébellion séparatiste qui se développe de plus en plus dans la région du Tigré, et dont l’Onu et l’Union africaine (UA) pourraient se saisir».

Dans le même sens, le spécialiste estime que «la diplomatie marocaine, qui espère faire ainsi pression sur l’Algérie pour obtenir son inflexion sur le dossier du Sahara occidental, se trompe lourdement de cible».

En effet, selon lui, «la Kabylie, la région la plus rebelle, une des plus patriotes et plus politisées du pays, n’est pas le maillon faible de l’Algérie dans laquelle ce genre d’idées pourraient prendre. Les Kabyles, qui ont l'habitude de manifester à Tizi Ouzou, à Béjaïa et à Bouira pour crier haut et fort leur condamnation du séparatisme et réaffirmer leur appartenance à une Algérie une et indivisible, ne sont pas du genre à mettre leur région sous la tutelle marocaine et encore moins israélienne. C’est vraiment ignorer complètement la sociologie politique de cette région qui a joué un rôle avant-gardiste durant la guerre de libération contre la colonisation française».

Par ailleurs, l’interlocuteur de Sputnik explique «que le Maroc et ceux qui lui ont recommandé de provoquer cette crise espèrent déstabiliser l’Algérie en provoquant un détachement complet de la Kabylie à l’occasion des prochaines élections municipales et régionales, après un boycott des élections présidentielles, du référendum sur la Constitution et enfin les législatives où l’abstention a atteint les 100% dans cette région».

L’ombre des États-Unis?

Après celui du G7 du 11 au 13 juin à Carbis Bay au Royaume-Uni, le sommet de l’Otan s’est tenu le 14 juin à Bruxelles. Dans leurs allocutions au sommet de l’Alliance atlantique, le Président américain et le secrétaire général de l'Otan, le Norvégien Jens Stoltenberg, ont qualifié la Russie et la Chine, ainsi que leur coopération politique et militaire, de menaces auxquelles il faut faire face, y compris en Afrique.

Lundi 28 juin, à Rome, le secrétaire d’État américain Antony Blinken a rencontré le chef de la diplomatie marocaine Nasser Bourita. En plus de la question des droits de l’homme et de la liberté de la presse, les deux hommes ont également abordé le problème de la Libye et la sécurité régionale. Cependant, M.Blinken, qui a fait un compte rendu de la réunion sur Twitter, n’a pas dit mot sur la crise migratoire et diplomatique avec l’Espagne, membre de l’Otan et qui accueille une base militaire navale américaine à Rota, sur la côte atlantique. Ni sur l’impact de cette crise sur l’Europe, le premier allié et partenaire des États-Unis, et encore moins sur le Sahara occidental.

Pour Naoufel Brahimi El Mili, «les États-Unis cherchent à réduire à sa plus simple expression la coopération économique entre la Chine et l’Algérie, qui est également un allié stratégique de la Russie en Méditerranée et en Afrique du Nord».

En effet, selon lui, «l’Algérie qui fait face à une importante crise économique et financière depuis la chute du prix du pétrole en 2014, aggravée par le contexte de la pandémie de Covid-19, ne pourrait pas tenir très longtemps dans sa logique de refus de revenir à l’endettement extérieur sur les marchés financiers internationaux. Dans cette hypothèse, deux choix s’offrent à elle: aller au FMI pour pouvoir emprunter par la suite auprès du Club de Paris, avec tous les dangers que cela pourrait avoir sur sa souveraineté nationale, ou se tourner directement vers la Chine, le plus important investisseur étranger en Afrique. Et c’est ce que les Américains ne veulent surtout pas voir se produire, d’autant plus que l’Algérie a déjà de solides relations avec la Chine».

Quid du rôle de la France?

«Alors que la crise provoquée par l’ambassadeur du Maroc à l’Onu a eu lieu un peu plus de deux semaines avant la rencontre entre Bourita et Blinken à Rome, les États-Unis pourraient penser à faire pression sur l’Algérie en utilisant la carte kabyle», juge l’expert. À ce titre, il rappelle que «Joe Biden était le président de la commission des affaires étrangères au Sénat américain en décembre 1997, lors de la promotion du projet nation-building du Président de l’époque Bill Clinton qui a servi de base à la partition on de l’ex-Yougoslavie, dont il avait été un fervent militant».

Dans ce contexte, «la France qui reste la puissance occidentale la mieux ancrée en Afrique, notamment au Sahel, au Maroc et dans les pays de la CEDEAO, s’avère être le meilleur allié des Américains dans ce continent», affirme le professeur Brahimi El Mili. Et d’expliquer que «les États-Unis ne peuvent pas s’exposer trop face à la Chine en Algérie en usant de la carte kabyle, vu qu’Américains et Chinois s’opposent frontalement, y compris avec les moyens militaires, sur la question de Taïwan dans laquelle ils ont également le soutien des Français qui ont déployé dernièrement des bâtiments de guerre en mer de Chine».

En conclusion

Enfin, l’expert juge que c’est dans ce sens qu’il «faudrait lire la visite le 19 juillet du chef de la diplomatie chinoise Wang Yi à Alger, où il avait affirmé que Pékin appréciait hautement le ferme soutien de l’Algérie, qui n’a jamais reconnu Taïwan, sur les questions touchant aux intérêts vitaux et aux préoccupations majeures de la Chine. Tout en ajoutant que son pays soutenait fermement l'Algérie dans la poursuite d'une voie de développement adaptée à ses conditions nationales, dans la préservation de la souveraineté, de l'indépendance et de l'intégrité territoriale, et dans ses efforts visant à jouer un rôle plus important dans les affaires internationales et régionales».

«La France, qui va redéployer Barkhane avec le soutien des Européens et des Américains, reçoit depuis le 21 juillet Nasser Bourita en visite de travail de plusieurs jours, visite d’affaires durant laquelle il rencontra son homologue Jean-Yves Le Drian le lundi 26 juillet», conclut-il, informant que «les deux hommes aborderont notamment la crise entre le Maroc, l’Espagne et l’Allemagne, en plus du dossier de la Libye, la situation au Tchad et au Mali et d’autres questions régionales d’actualité. Le tout dans le contexte du scandale de l’espionnage par le logiciel israélien Pegasus et de l’approche de la campagne présidentielle française de 2022 que l’Algérie pourrait exploiter à son profit».

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