Face au variant Delta, les hôpitaux algériens tiendront-ils?

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Virus, image d'illustration  - Sputnik Afrique, 1920, 13.07.2021
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Dans un entretien à Sputnik, le professeur Mostefa Khiati analyse la réponse du système de santé algérien face à la pandémie de Covid-19, pointant ses insuffisances «qu’une meilleure préparation aurait pu éviter». Pour lui, «une formation adaptée, des mécanismes d’innovation et une coordination horizontale» sont nécessaires.

La semaine dernière, la porte-parole du ministère tunisien de la Santé, la professeure Nissaf Ben Alaya, a annoncé à Sputnik «l’effondrement du système sanitaire national» face à la nouvelle vague de contamination au Covid-19 provoquée par le variant Delta. Face à cet état d’urgence sanitaire, le Président algérien Abdelmadjid Tebboune a ordonné l’acheminement d’une aide à la Tunisie constituée, entre autres, de 100.000 mètres cubes d’oxygène et de 250.000 doses de vaccins.

Comme tous les pays du monde, l’Algérie fait également face à la pandémie de Covid-19 avec la panoplie de variants qui sont apparus depuis début 2020.

Où en est le système de santé algérien dans le combat contre cette épidémie? Quels sont les variants présents en Algérie et comment sont-ils combattus? Les hôpitaux arrivent-ils encore à prendre en charge tous les patients, notamment ceux qui ont besoin de soins intensifs?

Par ailleurs, comment le système de santé algérien peut-il être jugé et quelles sont les réformes éventuelles à proposer? Comment peut-on développer la recherche et le développement en matière de santé à même de donner au pays les moyens de son autosuffisance en médicaments et en équipements médicaux?

Le monde musulman fêtera l’Aïd el-Kebir lundi 19 juillet. Cette fête religieuse qui dure quatre jours est un moment de communion et de partage où les rassemblements familiaux sont légion. Quelles sont les mesures nécessaires à même d’éviter une nouvelle fulgurante vague de contaminations?

​Pour répondre à ces questions, Sputnik a sollicité le professeur Mostefa Khiati, médecin-chercheur ainsi que président et fondateur de la Fondation nationale pour la promotion de la santé et du développement de la recherche (FOREM) en Algérie.

«L’Algérie occupe le podium africain»

«L’Algérie qui comptait sur un système de santé considéré comme "le meilleur en Afrique", si l’on se réfère au rapport de développement du PNUD [Programme des Nations unies pour le développement, ndlr] de 2019, qui classe l’Algérie à la 3e place à l’échelle africaine après les Seychelles et l’île Maurice; ces deux pays étant très petits, ils ne peuvent aucunement être comparés à l’Algérie qui de fait occupe le podium africain, s’est comportée de façon assez correcte», affirme le professeur Khiati.

Et de préciser que «l’Algérie a pris des mesures anticipées pour réduire l’impact de la pandémie qui venait de toucher l’Europe. À titre d’exemple, alors que les trois premiers cas sont enregistrés en France le 25 janvier, le Président Macron n’annonce la fermeture des écoles que le 14 mars soit 49 jours après, le premier cas en Italie est recensé 19 février, ce pays ferme ses écoles le 4 mars soit 14 jours après. En Algérie, le premier cas est signalé le 25 février et les écoles sont fermées le 12 mars soit 16 jours plus tard».

Dans le même sens, il estime que «l’Algérie peut se prévaloir d’avoir été assez réactive, elle a pris les mesures les plus anticipées, car le virus était en circulation en Italie bien avant le diagnostic du premier cas sur son sol, d’ailleurs le premier cas diagnostiqué en Algérie est un Italien qui est arrivé dans le pays le 17 février 2020, bien avant donc l’annonce du premier cas italien».

Quid des variants présents dans le pays?

Depuis le début de la pandémie à l’échelle mondiale, le virus SARS-CoV-2 a connu plusieurs mutations dont les plus récentes ont généré de nouvelles souches qui ont supplanté le virus initial en termes de contagiosité et de virulence. Il s’agit notamment des variants Alpha, Bêta, Gamma et actuellement Delta.

Ainsi, Mostefa Khiati informe que «presque tous les variants présents dans le monde sont en circulation en Algérie, cependant, le variant Delta semble prendre le dessus sur les autres [à l’instar de ce qui se passe en Tunisie et dans près de 100 pays dans le monde, selon l’OMS, ndlr]».

Et de souligner que «pour en être sûr il faut pratiquer un séquençage génétique des virus sur des échantillons de virus pris quotidiennement sur les cas détectés, ce qui n’est malheureusement pas fait aujourd’hui». Pourtant, le pays dispose d’équipements et de personnel qualifié pour faire ce travail, «mais il existe un cloisonnement des différents départements, ce qui fait que chacun travaille pour soi, ignorant les possibilités offertes par les autres secteurs», déplore-t-il.

Tout en rappelant que le variant Delta est connu pour sa transmission rapide et peut être sa plus grande virulence, l’interlocuteur de Sputnik affirme que «la seule parade est de vacciner en priorité les couches de la population les plus vulnérables, notamment les sujets âgés et les malades chroniques dont le nombre global avoisine les sept millions de personnes. Cela est possible, il convient d’en faire une priorité».

Les hôpitaux algériens sont-ils débordés?

Concernant la prise en charge des malades notamment ceux nécessitant des soins intensifs, le professeur Khiati affirme qu’«à ce jour, le 6e de la nouvelle épidémie, les nouveaux cas sont encore maîtrisables et les cas graves trouvent des places dans les services de réanimation. Cependant, avec la mobilisation d’un plus grand nombre de lits hospitaliers en faveur des malades du Covid-19, certaines catégories de malades chroniques notamment cardiaques et diabétiques pourraient être exclues du système de soins».

À ce titre, il alerte sur le fait que «l’augmentation importante de cas pourrait aussi mettre à mal le système de soins, car les médecins qui ont perdu près de 200 des leurs par le Covid-19 sont aujourd’hui exténués».

Malgré sa résistance aux différentes épidémies d’une année et demie de pandémie de Covid-19, le professeur Mostefa Khiati estime que «le système national de santé nécessite une réforme en profondeur. Il ne répond plus aux demandes de soins de la population, sa gestion relève d’une autre époque, son organisation est devenue obsolète et son financement repose davantage sur les ménages en contradiction avec le principe de médecine gratuite défendu par l’État». Et de détailler que «les prestations de soins ne sont pas équitables, il existe des différences importantes entre le nord et le sud, les grandes métropoles et les zones enclavées».

«La médecine de demain est une médecine technologique»

Afin de faire face aux besoins immédiats des Algériens et aux défis du futur, notamment l’éventualité de l’apparition d’autres pandémies graves dans le monde à l’image du Covid-19, le professeur Mostefa Khiati juge que «le système de santé doit être revu aux plans de l’organisation, de la cohésion, de la gestion, de la répartition spatiale et du financement».

Dans ce cadre, il constate que «les urgences, véritable fenêtre de ce système, sont médiocres. La prévention présentée comme une priorité souffre de délaissement. La formation est insuffisante et la recherche absente».

Pour lui, le secteur de la santé, malgré les investissements colossaux dont il a bénéficié, son budget ayant été multiplié par trois entre 2003 et 2015, «n’a jamais été réellement une priorité nationale, pire des personnes sans aucune expérience ont été mises à sa tête au cours des 20 dernières années».

Enfin, le professeur Khiati rappelle à qui de droit que «la médecine de demain est une médecine technologique, elle requiert une formation adaptée, des mécanismes d’innovation, une coordination horizontale notamment avec les universités, les centres de recherche et les entreprises industrielles».

«La pandémie de Covid-19 a montré des insuffisantes en matière de produits médicamenteux, de tests de diagnostic, d’équipements médicaux et de vaccins qu’une meilleure préparation aurait pu éviter», conclut-il, rappelant à tout le monde que «la plus grande vigilance est requise pendant la fête de l’Aïd el-Kebir où chacun est tenu de respecter scrupuleusement les consignes et protocoles d’hygiène sanitaire».
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