Guerre civile au Liban? Exsangue, l’armée sur le point de céder

© AFP 2023 MARWAN TAHTAHCrise au Liban
Crise au Liban - Sputnik Afrique, 1920, 01.07.2021
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Des heurts ont opposé des militaires libanais à des manifestants armés dans plusieurs villes du pays. Incapable de rétablir l’ordre, l’armée subit de plein fouet la crise. L’aggravation de la situation économique et sociale fait peser le risque de nouveaux débordements, auxquels l’armée ne pourrait faire face, craint un ancien haut gradé libanais.

Le Liban est au bord du chaos. Le 30 juin, des heurts ont éclaté dans plusieurs villes du pays entre manifestants et militaires. C’est à Tripoli, dans la deuxième ville du Liban, que les tensions ont été les plus palpables. Des hommes armés ont tiré en l’air pour faire fuir les soldats qui patrouillaient. L’armée a dû déguerpir. Face à cette situation explosive, le conseil de Défense appelle au calme et demande aux forces de l’ordre de «se tenir prêtes pour empêcher les fauteurs de troubles de déstabiliser la situation sécuritaire.» Plus ferme, le Président Michel Aoun exige que les militaires ne fassent preuve d’aucune «indulgence» devant les blocages, les débordements et les pillages.

Littéralement acculée, l’armée est dépourvue de moyens pour rétablir la stabilité et la sécurité dans les zones insurgées du pays. «L’armée est à bout, on ne sait plus combien de temps elle va tenir», s’inquiète un ancien haut gradé de l’armée libanaise, qui a souhaité garder l’anonymat.

«Le moral des soldats est à zéro, ils ont faim, ils ne voient que très peu leur famille, ils subissent également de plein fouet la crise avec un rationnement, une baisse des salaires. Si rien ne change, le pire est à craindre pour le Liban. Certains même ont décidé de quitter les rangs de l’armée. Il y a une réelle menace qui pèse sur les militaires dans certaines régions», déplore-t-il au micro de Sputnik.

Il est donc loin le temps où l’armée libanaise faisait consensus auprès de la population. Pourtant, malgré les problèmes économiques, la pression de la rue et l’immobilisme de la classe politique, l’armée pouvait encore jouir d’une certaine sympathie à l’échelle du pays. En 2019, elle avait été la seule institution de l’État à ne pas subir les affres de la révolution libanaise. Multiconfessionnelle, elle faisait office d’exemple dans une nation meurtrie par le communautarisme religieux.

Un tour d’hélicoptère pour renflouer les caisses

«Aujourd’hui, ce n’est plus le cas, car elle défend ce qui reste de l’État et les manifestants, le peuple n’en veulent plus, donc il y a des répercussions notables sur l’armée», explique l’ancien militaire.

Pourtant, les soldats ne sont pas mieux lotis que le peuple. Avant la crise, un officier de l’armée libanaise gagnait 4.000 dollars par mois, aujourd’hui il n’en touche que 400. Un militaire du rang ne touche pour sa part que 80 dollars mensuels.

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Pour tenter de pallier la crise financière, l’armée propose sur son site Internet… des tours d’hélicoptères au-dessus du Liban, pour la modique somme de 150 dollars. Officiellement, il s’agit d’une mesure visant à dynamiser le tourisme interne. En effet, des vols partiront de deux bases militaires, l’une dans la Bekaa et la seconde sur le littoral proche de la ville d’Amchit, à 40 kilomètres de Beyrouth.

Pas certain que cette initiative permette à l’armée libanaise de payer des munitions et des armes. «L’armée manque de tout, la plupart des soldats ont des fusils avec des cartouches à blanc», précise l’ancien haut gradé de l’armée.

Le lien armée-nation rompu?

Ceci expliquerait donc cela. Florence Parly, ministre de la Défense, avait organisé le 17 juin dernier une réunion virtuelle afin de rassembler une aide d’urgence destinée à l’armée libanaise, une «institution pilier, qui permet d’éviter que la situation sécuritaire dans le pays ne se dégrade fortement», avait alors affirmé son cabinet. Une vingtaine de pays ont assisté à cette conférence. Outre la France, les États-Unis, l’Allemagne, l’Italie, la Russie et la Chine, certains pays du Golfe ont également participé.

«Sans une aide financière, l’armée ne tiendra plus et tout le monde le sait ici. Bien évidemment que cette aide sera conditionnée, mais là, il en va de la survie du Liban. Le prochain palier sera fatal pour le pays et pour la région», s’inquiète l’ancien officier supérieur.

Malheureusement pour le pays du Cèdre, la situation va de mal en pis. Tous les signaux sont au rouge. Tout un peuple agonise et n’hésite plus à le faire savoir. La livre libanaise a dégringolé à 17.000 pour un dollar au marché noir, le salaire minimum a perdu environ 90% de sa valeur et le pays connaît une pénurie d’essence et d’électricité. Mais la situation n’en finit pas de s’empirer. Le 29 juin, le prix du pétrole a augmenté de 30% après une levée partielle des subventions sur les produits dérivés pétroliers. Le prix d’un bidon d’essence de 20 litres est passé de 9,1 euros à 35,5 euros, soit quasiment la moitié d’un salaire moyen mensuel d’un Libanais.

L’essence et le pain augmentent de 30%

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Autre hausse et non des moindres, celle du prix du pain, l’aliment principal des libanais. Le ministère de l’Économie et du Commerce a augmenté le 30 juin le prix du paquet de pain libanais de plus de 30%. Une décision lourde de conséquences: selon UNICEF, 30% des enfants au Liban dorment le ventre vide. De surcroît du fait de la crise, les serviettes hygiéniques sont trop chères pour les Libanaises qui doivent les remplacer par… des chiffons.

Cette situation délétère présagerait de nouveaux débordements auxquels l’armée devra faire face. Mais combien de temps pourra-t-elle tenir?

«Du fait de la guerre civile libanaise, beaucoup de ménages ont des armes chez eux. La guerre en Syrie et la porosité des frontières facilitent également le trafic d’armes. Il n’est pas à exclure des scènes de guérilla urbaine si la situation ne change pas. La ville de Tripoli sera sans aucun doute le baromètre de la violence urbaine», prédit le militaire à la retraite.

Une violence déjà visible dans le pays. Entre les barricades urbaines, les pneus brûlés, les sit-in géants, les émeutes, le saccage des banques ou les intimidations devant les bureaux politiques, tous les éléments sont réunis pour voir le pire advenir.

«Le souvenir douloureux de la guerre civile permettait au peuple de rester pacifique. Mais ce temps est révolu, les gens n’ont plus rien à perdre, d’où la méfiance de l’armée de se rendre dans certains quartiers. Le vase est plein, il suffit d’un mort pour que la situation explose… et l’armée le sait», conclut l’ancien officier avec inquiétude.
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