Il faut «un nouveau système économique mondial pour éviter l’abîme des guerres»

© Sputnik . Par Omar AktoufLe professeur Omar Aktouf
Le professeur Omar Aktouf - Sputnik Afrique, 1920, 07.06.2021
S'abonner
Dans un entretien à Sputnik, Omar Aktouf, professeur à HEC Montréal, analyse les causes qui génèrent les crises périodiques du capitalisme avec un accent sur celles de 2008 et du Covid. Pour lui, un nouveau «système de pensée économique doit être basé sur la science physique, la biophysique, l’anthropologie, la biochimie et la biologie».

Depuis la crise financière mondiale de 2008 suscitée par la faillite de la banque d’affaires américaine Lehman Brothers, la dette mondiale globale a connu une spirale infernale de hausses. Fin 2020, les aides publiques liées à la pandémie de Covid-19 ont fait augmenter cette dette de 24.000 milliards de dollars, la portant à un niveau record: 281.000 milliards de dollars, soit plus de 355% du PIB mondial, selon l’Institut international des finances (IIF).

En 2007, cette même dette était de 147.000 milliards de dollars, soit 296% du PIB. Et jusqu'à 2020, la dette mondiale a augmenté de 134.000 milliards de dollars, soit de plus de 91%.

En partant de ces indicateurs, le monde se dirige-t-il vers une autre crise financière d’une plus grande ampleur que celle de 2008? Dix ans après son déclenchement, où en sont tous les plans de sauvetage du système financier et monétaire international par l’impression massive de billets par les banques centrales, notamment la FED (Réserve fédérale américaine)? Quelle peut être l’évolution de l’économie mondiale après la résorption de la crise de Covid-19? Un nouveau système économique de substitution au capitalisme néolibéral est-il possible?

Pour répondre à ces questions, Sputnik a sollicité l’économiste Omar Aktouf, professeur titulaire à HEC Montréal, membre fondateur du centre humanisme, gestion et mondialisation, et membre du conseil scientifique d'ATTAC Québec.

«Le capital a périodiquement besoin de crises»

«Les crises du capitalisme ne sont pas des accidents, mais des étapes nécessaires que le capital provoque, assez régulièrement, par sa dynamique intrinsèque», affirme le Pr Aktouf, soulignant que les différentes crises de 1973 jusqu’à celle de 2008 ont toutes été engendrées suivant le même principe.

Et d’ajouter «qu’en tant que facteur global de contrôle du travail et des ressources naturelles, le capital a périodiquement besoin de crises, car il y a des ajustements qui lui sont nécessaires pour se réalimenter et stimuler sa force».

Ainsi, par sa dynamique interne basée sur l’extraction sans limite des ressources et l’exploitation tout aussi infinie du travail humain, «le capital provoque des crises, dont les couches les plus vulnérables  sont les premières à subir les effets. Dans ce cas, le système en profite pour affaiblir les syndicats et abaisser les contraintes imposées par lois environnementales, afin de continuer à faire fructifier ses investissements à de très bas coûts».

La crise de 2008 ou quand on a fait «de l’argent chez ceux qui n’en avaient pas»

La crise de 2008, connue sous le nom de crise des subprimes, ou bulle de l’immobilier, aux États-Unis, a failli faire exploser tout le système financier et monétaire international. La bulle, qui a explosé en juillet 2007 et provoqué la faillite de Lehman Brothers et d’autres grandes banques en 2008, a été générée suivant un procédé financier fallacieux, explique Omar Aktouf.

Durant le début des années 2000, «il y a eu une spéculation énorme sur le marché de l’Internet et des autres technologies associées qui a généré des bulles financières complètement déconnectées de la réalité économique et des entreprises censées les porter», provoquant leur explosion.

Dans ce contexte marqué par la fusion de la solvabilité de la classe moyenne et la saturation du marché de consommation au sein de la classe la plus riche de la société, en particulier aux États-Unis, «tous les jeunes diplômés des écoles de commerce sortis avec des MBA en finance se sont rabattus sur la solution qui consistait à faire de l’argent chez ceux qui n’en avaient pas, c’est-à-dire les pauvres», poursuit-il.

En effet, selon lui, «ces MBA finance, devenus des agents ou des investisseurs dans l’immobilier, ont eu l’idée de proposer aux personnes pauvres la possibilité d’avoir une maison. Ils leur ont vendu des prêts pour acheter des maisons pour lesquels ils ne devaient payer ni intérêt ni loyer pendant deux ans. De plus, comme le taux de capitalisation en bourse de l’immobilier entre 2003 et 2006 était de près de 8%, ils les ont convaincus qu’avec ce taux et les intérêts composés, au bout de deux ans, non seulement ils ne payeront rien, mais leur maison prendra une valeur telle qu’elle leur permettra de payer tous les arriérés de leur prêt et même de s’acheter une voiture».

Comment le système financier international a-t-il été gangréné?

Pour comprendre comment les prêts aux personnes insolvables aux États-Unis ont pu se retrouver sur les comptes de pratiquement toutes les grandes banques aux quatre coins du monde, le Pr Aktouf expose que «ces agents présentaient des milliers de contrats signés pour l’achat de maisons, à environ 200.000 dollars l’unité, à des banques à qui ils proposaient d’émettre des titres à terme, comme les actions, sur la valeur de ces maisons […]. L’idée était de les vendre ensemble avec, par exemple, 4% de plus que la capitalisation boursière du marché de l’immobilier qui était de 8%».

«Au bout d’un ou deux ans, une fois que les titres étaient vendus, la banque prenait les 4% de plus et les agents immobiliers les 8% restant. Si le rendement était inférieur à 12%, alors les agents immobiliers payaient les 4% à la banque, prenaient le reste et se débrouillaient pour faire sortir leur marge», soutient-il.

Or, «toutes les banques qui avaient acheté ces titres ont fait appel à leur assurance. En effet, elles avaient acquis des assurances de défaut de payement présentant un rendement de 15% chez d’autres banques. C’est ce que les financiers appellent les produits financiers dérivés. Mais voilà, ces dernières allaient également assurer ce qu’elles-mêmes assuraient auprès d’autres banques, à 18% par exemple, et ainsi de suite», explique-t-il.

Le moment de vérité

Quand tout allait bien, tout le monde y trouvait son compte. Mais la fin du mirage n’a pas tardé à sonner.

En effet, selon Omar Aktouf, «au moment du déclenchement de la crise, c’est-à-dire quand arrive l’heure de vendre les titres, chaque banque voulait son dû. Ainsi, la chaîne est remontée en partant du dernier qui avait assuré les titres jusqu’aux agences immobilières qui les ont vendus, et qui à leur tour se sont tournées vers ceux qui avaient acheté les maisons. N’étant pas en mesure de payer, l’insolvabilité de ces personnes pauvres a provoqué une implosion de tout le système qui a mené mécaniquement à l’explosion de la bulle de l’immobilier. C’est comme ça que la crise de 2008 a été provoquée».

Le spécialiste est catégorique: «La crise de 2008, tout comme toutes les autres crises du capitalisme, n’a pas été réglée en raison des dégâts incommensurables qu’elle a générés dans l’économie réelle, avec une fulgurante recrudescence du chômage et de la pauvreté et une destruction accrue de la nature».

Par ailleurs, en ce qui concerne le secteur financier qui «ne représente strictement rien d’un point de vu économique, l’État américain a fait fonctionner la planche à billets et demandé à la FED de lui prêter 15.000 milliards de dollars. Or, la FED, qui est une banque privée, appartient aux grandes banques systémiques de Wall Street, c’est-à-dire à celles qui ont fait faillite dans cette affaire des subprimes. Actuellement, l’État américain doit rembourser ces dettes qui ont servi à renflouer les banques avec des intérêts».

Quid de la crise de Covid-19?

Concernant la crise sanitaire, le Pr Aktouf estime qu’«elle est dans la continuité de la crise financière et économique de 2008. Mais elle se trouve beaucoup plus du côté extractif du capitalisme. Les besoins en matériaux rares, pour la fabrication de téléphones par exemple, imposent d’aller de plus en plus dans les forêts et les montagnes».

En Chine, l’ouvrier en bout de chaîne «se met en contact direct avec des espèces animales et végétales desquelles l’être humain était séparé depuis des milliers d’années. La destruction de ces barrières naturelles permet aux espèces animales porteuses de centaines de virus différents de se croiser et de contaminer l’ouvrier ou le paysan chinois. Ces derniers à leur tour contaminent leur environnement humain direct, propageant ainsi le virus y compris dans le monde entier via les voyages et les moyens de transport modernes», détaille-t-il.

Enfin, Omar Aktouf juge «nécessaire de fonder un nouveau système financier et économique mondial pour éviter l’abîme des guerres».

«Ce système de pensée économique doit être basé sur la science physique, la biophysique, l’anthropologie, la biochimie et la biologie. Ce qui va permettre de comprendre d’un point de vue ontologique la défaillance du capitalisme et les moyens de fonder un autre système», conclut-il.
Fil d’actu
0
Pour participer aux discussions, identifiez-vous ou créez-vous un compte
loader
Chat
Заголовок открываемого материала