Attendu au tribunal de Kigali ce mercredi 24 mars 2021 dans le cadre de son procès pour «terrorisme», Paul Rusesabagina, critique du pouvoir rwandais, a refusé de comparaître au prétexte que ses droits n’étaient pas respectés. Il a fait savoir à ses geôliers à la prison de Nyarugenge où il est détenu qu’il ne comptait plus se présenter à son procès à l'avenir. Le directeur de la prison, Michel Kamugisha, a confirmé l’information dans une correspondance envoyée au tribunal: «Il a dit à la prison de Nyarugenge qu’il ne se présentera plus jamais devant ce tribunal, pas seulement aujourd’hui, mais même pour les audiences futures. Il a dit qu’il n’attendait aucune justice de ce tribunal», selon la lettre.
🇷🇼 #Rwanda: Jugeant son procès biaisé, Paul Rusesabagina refuse de comparaître👇🏿https://t.co/taYWnfkDRi
— VOA Afrique (@VOAAfrique) March 24, 2021
Le président du tribunal, Antoine Muhima, a décidé que le procès se poursuivrait. «Rusesabagina a choisi de ne pas assister à cette audience. Il a le droit de le faire, mais le fait de ne pas se présenter n’empêche pas le procès de se poursuivre», a déclaré le magistrat.
De héros à «terroriste»
Vivant entre la Belgique, où il réside depuis 1996, et les États-Unis, Paul Rusesabagina, 66 ans, s’est fait connaître à travers le cinéma américain, notamment grâce au film Hôtel Rwanda interprété par l’acteur américain Don Cheadle. Celui-ci raconte le rôle — exagéré, selon ses détracteurs — qu’il a joué dans la protection de près de 1.200 Tutsis qui avaient trouvé refuge dans l’établissement (l’hôtel des Mille collines) dont il était le gérant, pendant le génocide. Le genre de récit prisé par Hollywood et qui ne laisse pas indifférent.
Idem dans son pays d’origine (le Rwanda) qu’il a quitté en 1996. Le film Hôtel Rwanda a été bien accueilli par le public et les autorités. Le régime, qui instrumentalise le récit du génocide en s’attribuant le beau rôle, n’a pas manqué de surfer sur le succès du film. Le Président Paul Kagamé a félicité Paul Rusesabagina pour son rôle face aux massacres qui ont endeuillé les collines. Si les deux hommes n’ont pas eu à s’entretenir ou à entretenir de relation particulière, il reste que tout semblait aller pour le mieux jusqu’à ce que Rusesabagina se mette à critiquer le gouvernement rwandais, plus particulièrement le Président Kagamé qu’il a qualifié de «tyran».
À partir de ce moment, de héros, qui avait sauvé un millier de Tutsis d’une mort certaine en 1994, Paul Rusesabagina est devenu la bête noire du pouvoir de Kagamé. Les autorités rwandaises n’ont pas hésité à remettre en question la véracité des faits décrits dans le film Hôtel Rwanda qu’elles avaient pourtant salué...
À la tête d’un parti politique proche de certains mouvements de l’opposition rwandaise en exil, Rusesabagina a été accusé de vouloir déstabiliser le Rwanda par les autorités rwandaises...
Un kidnapping digne des films d’Hollywood
Fin août 2020, le célèbre opposant apparaît menotté à Kigali. La surprise est totale, d’autant plus qu’il se trouvait, quelques jours plus tôt, à Dubaï et avait communiqué avec les membres de sa famille. Les autorités rwandaises ont entretenu le flou sur les circonstances de son arrestation, niant toutefois qu'elles aient procédé au kidnapping de l'opposant. Le kidnapping se trouve toutefois confirmé par le principal intéressé, qui s'est présenté comme étant un «otage», mais aussi, par un dénommé Constantin Niyomwungere, un pasteur burundais qu’il connaissait et qui aurait servi d’appât. Ce dernier a raconté comment il a mis en place, en collaboration avec le Rwanda Investigation Bureau, l’opération spectaculaire qui a permis de ramener Paul Rusesabagina à son insu dans son pays natal.
Un procès qui pourrait se retourner contre le pouvoir de Kagamé
Paul Rusesabagina doit répondre de 13 chefs d’accusation, notamment de terrorisme, financement du terrorisme, recrutement d’enfants soldats, enlèvement, incendie volontaire et formation de groupes terroristes. Bien que les autorités rwandaises aient promis de respecter les droits de l’opposant, la plupart des observateurs s’accordent à dire que le procès est politique et est loin d’être juste et équitable.
En kidnappant l’opposant pour le juger au Rwanda, le gouvernement rwandais n’a pas réalisé qu’il se faisait prendre à son propre jeu. Les critiques se multiplient depuis le début du procès. À l’allure où vont les choses, cette affaire risque de se transformer en un procès contre les pratiques discutables du gouvernement rwandais, tant en matière de respect des droits de l’homme que dans la gestion du pays par le pouvoir de Paul Kagamé...