Intervention de l'armée algérienne au Sahel: le coup de sirocco de Macron

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Logo des opérations spéciales dirigées par la France pour la nouvelle Task Force Barkhane Takuba - Sputnik Afrique, 1920, 23.02.2021
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Le Président Emmanuel Macron a récemment signalé «le réengagement de l’Algérie» au Sahel. Des propos qui ont été interprétés comme une annonce d’envoi de troupes algériennes dans la région. Le ministère algérien de la Défense nationale a démenti vigoureusement ce qu’il considère être des «allégations».

L’intervention du Président français lors de la réunion du G5 Sahel, qui s’est tenue à N’Djamena les 15 et 16 février, a donné lieu à une véritable polémique.

Prenant la parole par vidéoconférence, le Président Emmanuel Macron a annoncé de façon ambiguë «la confirmation d’un réengagement de l’Algérie».

Alger recalé au dernier rang

Le chef de l’État français a fait référence à ce réengagement juste après avoir évoqué la participation de nouveaux pays dans la task force européenne Takuba («sabre» en berbère tamashek, la langue des Touaregs), un groupement de soldats d’élite de plusieurs pays chargé d’appuyer la  force française Barkhane et l’armée malienne. Des propos ambigus qui ont donné lieu à diverses interprétations. Pour l’Algérie, évoquer un réengagement signifie, de fait, que ce pays s’est désengagé au Sahel. De plus, mettre l’Algérie et le Maroc dans le même contexte sécuritaire a certainement dû faire grincer des dents aux Tagarins, le quartier d’Alger où est situé le ministère de la Défense nationale (MDN).

Ce n’est pas tout: le Président Emmanuel Macron a également affirmé être intervenu pour poser les jalons d’une nouvelle coopération sécuritaire entre l’Algérie et le Mali. La collaboration entre l’Algérie et son voisin du sud ne s’est pas arrêtée, elle revêt d’ailleurs plusieurs aspects, notamment sur les plans du renseignement et de l’aide militaire.

«J’ai, avec le Président Tebboune, un dialogue de confiance. Nous avons entre nos équipes des dialogues de confiance sur ce sujet. Je pense qu’il faut ouvrir une nouvelle page de coopération sur le terrain, en particulier entre le Mali et l’Algérie puisque c’est cette zone frontière qui est tout particulièrement concernée. C’est mon souhait le plus cher et la France fera tout ce qui est en son pouvoir pour être utile à ce dialogue et permettre des résultats opérationnels», a-t-il affirmé.

Samedi 20 février, les chefs d’État algérien et français se sont entretenus au téléphone. Lors de cette conversation, Emmanuel Macron a «salué l’amnistie décidée par le Président Abdelmadjid Tebboune, à la veille du deuxième anniversaire du début du Hirak», et il lui a fait part de son soutien «dans la mise œuvre des réformes en cours».

Sur les réseaux sociaux, les déclarations du Président français et la teneur de sa discussion avec son homologue algérien ont donné lieu à la conclusion suivante: l’armée algérienne se prépare à intervenir au Sahel en contrepartie d’un soutien de la France au régime.

«Faux et inadmissible»

Des interprétations qui ont provoqué la colère du commandement de l’armée algérienne. Dimanche 21 février, soit le lendemain de la conversation téléphonique présidentielle, le ministère de la Défense nationale a publié un communiqué au ton acerbe.

«Certaines parties et porte-voix de la discorde ont relayé via leurs pages et comptes subversifs sur les réseaux sociaux des allégations dénuées de tout fondement, proférant que les actions et les opérations menées par l’institution militaire, aux niveaux interne et externe, répondent à des agendas et des instructions émanant de parties étrangères, et que l’Armée nationale populaire s’apprête à envoyer des troupes pour participer à des missions militaires en dehors de nos frontières nationales sous le chapeau de puissances étrangères dans le cadre du G5 Sahel, ce qui est faux et inadmissible. Des intox qui ne peuvent provenir que d’ignares à la solde des services du Makhzen marocain et sionistes», indique ce communiqué.

Le texte ne cite pas le Président français, mais il est évident que ses propos ont été l’élément déclencheur de ce que le MDN considère être des «allégations tendancieuses et manœuvres sournoises, à travers lesquelles leurs auteurs croient pouvoir semer le trouble et déstabiliser le pays». Par ailleurs, la précision sur l’envoi de soldats algériens sous «le chapeau de puissances étrangères» que le communiqué qualifie de «faux et inadmissible» est un rappel de la position de principe d’Alger et pourrait sonner, à ce titre, comme un rappel au gouvernement français.

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Le lieutenant-colonel à la retraite, Ahmed Kerrouche, ancien observateur de l’ONU en Erythrée et en Somalie, explique à Sputnik que ce communiqué «est adressé à toute personne qui colporte des informations sans fondement sur l’intervention de l’armée algérienne en dehors de ses frontières».

«Depuis que la possibilité de faire engager l’armée algérienne à l’étranger a été inscrite dans la Constitution, des voix ne cessent d’annoncer que nos militaires se préparent à intervenir au Mali. Bien entendu, ce ne sont que des rumeurs mais certaines parties s’accrochent à cette illusion», explique ce spécialiste en sécurité.

L’ancien militaire considère que les propos du Président Macron visent à minimiser l’engagement de l’Algérie dans la lutte antiterroriste au Sahel, notamment au nord du Mali.  «L’Algérie, à travers la création du Comité d'état-major opérationnel conjoint (Cemoc), est pleinement consciente des enjeux sécuritaires dans la sous-région du Sahel. Cette initiative a été lancée en avril 2010, soit bien avant le G5 Sahel et les opérations françaises Serval et Barkhane. L’objectif du Cemoc consiste à mettre en place de véritables liens en matière d’échange de renseignement, de surveillance des frontières et de formation pour lutter contre le terrorisme dans le strict respect de la souveraineté de chaque pays membre», ajoute-t-il.

«Replacer les propos dans leur contexte»

Emmanuel Dupuy, spécialiste des questions de sécurité européenne et de relations internationales et président de l’Institut prospective et sécurité en Europe (IPSE), fait une tout autre lecture des déclarations du chef de l’État français lors du sommet du G5 Sahel de N’Djamena. Interrogé par Sputnik, il a indiqué que la question du réengagement de l’Algérie faisait référence à trois facteurs: diplomatique, militaire et constitutionnel. 

«Il faut remettre ces propos dans le contexte du réengagement du Cemoc qui avait été mis en sommeil. Le Président Tebboune avait appelé à la recomposition de cette coordination. Deuxième élément: le bruit circule que l’Algérie participe déjà, avec un certain nombre de forces armées, à des opérations dans l’espace sahélien. Des informations font état d’interventions dans le cadre de G5 Sahel, notamment conjointement avec le Mali. Troisièmement, le Président Macron devait avoir en tête les propos du ministre des Affaires étrangères lors de son déplacement à Alger sur la réforme constitutionnelle de novembre 2020 qui donne la possibilité à l’Algérie d’intervenir à l’extérieur», souligne Emmanuel Dupuy.

Selon lui, il n’a jamais été question que l’Algérie intègre le G5 Sahel ni même la task force Takuba. «Je vois mal un Président français annoncer un engagement militaire de l’Algérie», indique encore le président de l’IPSE.

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À Alger, ces derniers mois, c’est plutôt le rôle de la France dans le Sahel qui a fait l’objet de vives critiques. Paris a notamment été pointé du doigt dans l’affaire de la libération de quatre otages européens au mois d’octobre 2020 au Mali en contrepartie du versement d’une rançon de 30 millions d’euros au profit du Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (GSIM)* et de la libération de 200 terroristes qui étaient détenus par le gouvernement malien. «Ces pratiques inadmissibles et contraires aux résolutions de l'Organisation des Nations unies incriminant le versement de rançons aux groupes terroristes entravent les efforts de lutte contre le terrorisme et du tarissement de ses sources de financement», avait alors dénoncé le ministère algérien de la Défense nationale.

La France, par la voix de son Premier ministre Jean Castex, avait démenti l’implication de son gouvernement dans le paiement d’une rançon. Selon lui, la libération des otages était «un geste humanitaire» du GSIM*. Le 21 novembre 2020, ce groupe terroriste avait annoncé dans un enregistrement vidéo avoir obtenu une rançon de 30 millions d’euros et la libération de 207 islamistes armés en contrepartie de la libération des quatre otages.

*Organisation terroriste interdite en Russie.

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