Rencontre-surprise entre Hariri et Macron: pour sortir le Liban du chaos, ils misent l’un sur l’autre et jouent gros

© AP Photo / Hassan AmmarSaad Hariri, Premier ministre du Liban
Saad Hariri, Premier ministre du Liban - Sputnik Afrique, 1920, 12.02.2021
S'abonner
En visite surprise à Paris, Saad Hariri, le Premier ministre libanais, a rencontré Emmanuel Macron pour échanger sur l’initiative française pour la formation d’un gouvernement d’urgence au Liban. En échec au Levant, l’Élysée modifie son approche. Une nouvelle posture qui s’aligne sur la logique américaine, estime Michel Fayad, économiste libanais.

Les liens privilégiés entre Paris et Beyrouth prennent parfois un tour inattendu: le 10 février, sans prévenir, le Premier ministre libanais Saad Hariri est venu à Paris pour s’entretenir avec Emmanuel Macron. Cette rencontre, très peu médiatisée, fait l’objet de nombreuses spéculations au pays du Cèdre. Pourquoi Saad Hariri s’est-il rendu à Paris, alors que Macron doit prochainement se rendre au Liban?

«Hariri est venu en catimini à Paris pour ne pas gêner le protocole. Il est juste le Président du conseil désigné, et non en exercice» explique à Sputnik Michel Fayad, économiste libanais. «Cette visite imprévue doit préparer la future visite de Macron au Liban.»

Une visite bien discrète, mais dont l’enjeu est donc de taille. Il s’agit de la troisième depuis l’explosion tragique du port de Beyrouth, le 4 août dernier. En effet, Emmanuel Macron a fait du Liban un dossier prioritaire aussi bien pour la France qu’à titre personnel. Cet investissement n’est pas anodin.

Le Liban et Saad Hariri: une affaire personnelle pour Macron

Le Chef de l’État veut également s’assurer d’un maintien de l’influence française en Orient. Sans le Liban, Paris n’a plus de porte d’entrée dans la région. S’étant rendu à deux reprises à Beyrouth après l’explosion du port le 4 août 2020, Macron avait tenté de contraindre les Libanais à la formation d’un gouvernement, allant jusqu’à imposer un ultimatum à la classe politique du pays, afin d’assurer les réformes économiques souhaitées et voulues par tous les partis. Ainsi Saad Hariri, «ami du Président français», serait-il venu s’assurer que Paris ira encore dans son sens pour la formation d’un gouvernement, analyse Michel Fayad.

Jusque-là, le Président de la République semble avoir minoré la complexité du Liban: «il ne peut pas se baser uniquement sur une communauté», explique le consultant économique et financier. Ainsi, lui a-t-on reproché ses liens avec Saad Hariri et la communauté sunnite libanaise. Et si le dirigeant français est apprécié par la communauté chrétienne, souvent francophile, celui-ci s’est dans les faits aligné sur les exigences sunnites… donc «sur celles du Golfe», explique l’économiste libanais.

Les liens entre la famille Hariri (père et fils) et la France sont anciens. Rafik Hariri et Jacques Chirac entretenaient une relation amicale. L’ancien Président de la République avait logé pendant quelque temps dans les appartements de la famille Hariri à Paris. À la mort de Rafik Hariri en 2005, Chirac était présent à ses obsèques et avait accusé le pouvoir syrien d’avoir fomenté l’attentat. La pression internationale et française a mis fin à la tutelle syrienne au Liban en 2005.

La famille Hariri et la France: une longue histoire d’amour

On se rappelle également de l’enlèvement de Saad Hariri par l’Arabie saoudite en 2017, laquelle le jugeait trop timoré face au Hezbollah. Il avait même annoncé sa démission depuis une chaîne de télévision saoudienne. Emmanuel Macron s’était empressé de le faire libérer quelques jours après, en novembre 2017. L’image du locataire de l’Élysée était alors à son apogée dans la région. On le percevait comme le libérateur, l’homme providentiel. Et l’amitié franco-libanaise perdure malgré tout. En effet, malgré la contestation libanaise d’octobre 2019, que la France a soutenue, Saad Hariri avait toujours les faveurs de Paris. Il est même revenu au pouvoir un an après, en octobre 2020.

«Hariri a toujours été considéré comme l’homme de Paris par le gouvernement français», souligne Michel Fayad.

Emmanuel Macron voulait d’abord imposer un gouvernement de technocrates pour répondre aux attentes populaires. Puis il a changé peu à peu sa stratégie, pour finalement redonner son aval au dirigeant sunnite.

«Macron a plusieurs fois changé son fusil d’épaule au Liban. Une fois, il était avec la rue libanaise, puis il s’est retourné à nouveau vers Saad Hariri.»

Aujourd’hui, le Premier ministre libanais veut avoir l’assurance que Macron ira dans son sens lors de sa prochaine visite au Liban, probablement courant mars. En effet, comme nous le rappelle Michel Fayad, Saad Hariri est en désaccord avec le Président de la République libanaise, Michel Aoun. Ce dernier souhaite le maintien des prérogatives communautaires et notamment chrétiennes, tandis que Hariri veut effacer petit à petit les pouvoirs du Président libanais pour étendre son influence sur le Liban. Cet imbroglio politique résulte de la composante confessionnelle du pays, qui compte 18 communautés, défendant chacune ses intérêts.

«Saad Hariri s’est surtout entretenu avec Emmanuel Bonne (ancien ambassadeur français au Liban) et Bernard Emié (directeur de la DGSE), tous deux connus pour leurs positions en faveur des sunnites», fait remarquer Michel Fayad.

Le dossier libanais est à replacer dans un ensemble régional. Hariri est l’homme de Paris, mais il est également l’homme du Golfe. Emmanuel Macron, en misant une fois de plus sur Hariri, joue gros pour l’avenir de la France au Moyen-Orient. Néanmoins, le Président français peut compter sur l’appui de la nouvelle Administration Biden. Washington et Paris semblent s’être mis d’accord sur une gestion commune du Liban, estime notre interlocuteur. Le 4 février dernier, Antony Blinken et Jean-Yves Le Drian appelaient ensemble à la constitution d’un gouvernement.

Les USA veulent affaiblir le Hezbollah, bras armé de l’Iran

«Washington et Paris sont sur la même ligne au Liban», résume ainsi Michel Fayad. Il rappelle que les deux pays sont en accord sur tous les dossiers depuis la guerre civile libanaise (1975-1990): des accords de Taëf –qui ont mis fin à la guerre civile libanaise et qui ont justifié le maintien de la présence syrienne–, des ententes avec le Président du Parlement, le chiite Nabih Berri, l’ancien Premier ministre Rafik Hariri (qui a occupé le poste de 1992 à 1998 et de 2000 à 2004) et Walid Joumblatt, chef de la communauté druze, aux pressions sur le Hezbollah.

«Dernièrement, plusieurs personnalités politiques libanaises ont été sanctionnées économiquement par Washington. Il s’agit des membres du Hezbollah et du CPL, deux partis qui ne sont au gouvernement que depuis 2005 et 2008. Rien n’a été fait contre Berri, Hariri ou Joumblatt alors qu’ils sont au pouvoir depuis la fin de la guerre.»

Les sanctions américaines ont visé le président du Courant patriotique libre (CPL), Gebran Bassil, ainsi que plusieurs personnalités proches du Hezbollah. Nabih Berri, chef du Amal et président du parlement libanais depuis 1992, accusé de nombreuses affaires de corruption, a toujours été épargné par les sanctions. Pour l’économiste libanais, ceci s’explique par les liens qu’entretient la DGSE avec certains partisans du parti Amal en Afrique de l’Ouest.

En revanche, initialement indulgent à l’égard du parti chiite, Emmanuel Macron adopte une politique de plus en plus atlantiste, estime Michel Fayad, «avec une intransigeance vis-à-vis de l’Iran et de ses alliés.»

Washington s’implique au Liban, Paris s’aligne

Il y a également fort à parier que le Président français se servira de l’assassinat la semaine passée du militant chiite Lokman Slim pour intensifier la pression sur le Hezbollah, suspect numéro 1, pense Michel Fayad. Malgré les volontés d’apaisement à l’échelle régionale, Washington adopte la stratégie d’Obama du «leading from behind», à savoir commander des coulisses. Une affirmation que confirme l’économiste, qui en veut pour preuve «la taille gigantesque» et «le prix déboursé» pour la nouvelle ambassade américaine sur les hauteurs de Beyrouth: un signe que «Washington est plus que jamais active sur le dossier libanais», selon notre interlocuteur.

Vue sur Beyrouth depuis la mer - Sputnik Afrique, 1920, 05.02.2021
Assassinat de l’intellectuel libanais Lokman Slim: le Hezbollah coupable idéal?

Dans cette poudrière qu’est le Liban, Washington et Paris misent sur les sunnites au détriment du Hezbollah, mais également de la communauté chrétienne, s’inquiète Michel Fayad. Selon lui, cette visite express de Saad Hariri à Paris annonce de futurs rebondissements pour le Liban. Dans ce billard à trois bandes, les enjeux sont vitaux. Les Libanais doivent impérativement former un gouvernement, la France souhaite garder son influence dans le pays et les États-Unis veulent continuer leur pression sur le Hezbollah.

Fil d’actu
0
Pour participer aux discussions, identifiez-vous ou créez-vous un compte
loader
Chat
Заголовок открываемого материала