Affaire Julie: «Il faut quasiment contraindre la justice à protéger les victimes et à poursuivre pour viol»

© AFP 2023 THOMAS SAMSONManifestation Affaire Julie
Manifestation Affaire Julie - Sputnik Afrique, 1920, 10.02.2021
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La Cour de cassation étudie, ce mercredi 10 février, le dossier de Julie, qui assure avoir été violée par une vingtaine de pompiers à l'âge de 14 ans. La famille de la victime espère que les faits seront requalifiés en «viol», alors que la question de l’âge du consentement enflamme le débat public. Explications avec les avocats des deux parties.

C’est l’ultime recours ou presque pour Julie* et sa famille. Ce mercredi 10 février, la Cour de cassation s’est penchée sur un éventuel renvoi devant la Cour d’assises du dossier de cette jeune fille de 25 ans qui déclare avoir été violée par une vingtaine de membres de la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris (BSPP) entre 2009 et 2010.

À l’issue de l’audience, Lorraine Questiaux, l’un des avocats de Julie, martèle: «C’est le rôle de la Cour de cassation de mettre un terme aux défaillances lourdes dans ce dossier.»

En juillet 2019, le juge de la cour de Versailles avait requalifié les faits en «atteintes sexuelles, sans violence, contrainte, menace, ni surprise» et ordonné le renvoi devant un tribunal correctionnel. Le crime de viol, passible de quinze à vingt ans d’emprisonnement, n’était donc pas retenu par la justice pour les trois pompiers poursuivis.

«Mes clients sont renvoyés devant le tribunal correctionnel pour des atteintes sexuelles et encourent jusqu’à dix ans de prison: ce n’est pas anodin. Remettre en cause cette requalification en prétendant qu’il y aurait impunité est largement contestable», a argué de son côté l’avocat des trois pompiers accusés, Me Guillaume Valdelièvre.

Pour tenter d’expliquer la volonté du procureur de ne pas requalifier les actes en viol, il faut remonter à l’automne 2018. Le parquet avait requis l’abandon des poursuites pour viol, estimant le «défaut de consentement» de l’adolescente «insuffisamment caractérisé». En outre, le juge a estimé que dix-sept hommes ne devaient pas être poursuivis, car la jeune fille leur avait menti sur son âge (14 ans à l’époque des faits).

Débat sur l’âge de consentement

Les avocats de la plaignante espèrent être entendus par la Cour de cassation afin de requalifier les faits conformément à l’accusation de Julie. «Le courage des victimes et l’évolution sociale en matière de violences sexuelles et de sexisme se trouvent aujourd’hui à la porte des tribunaux: nous demandons que les verrous cèdent afin de faire respecter les droits fondamentaux des victimes», explique Lorraine Questiaux.

L’enjeu porte sur la question de l’âge de consentement, lequel est débattu au Parlement. Actuellement, tout acte de nature sexuelle sur un mineur de moins de 15 ans est considéré comme une «atteinte sexuelle», un délit puni de sept ans d’emprisonnement.

«En matière de violences sexuelles, il faut quasiment contraindre l’institution judiciaire à protéger les victimes et à poursuivre pour viol», s’insurge Me Lorraine Questiaux à la sortie de l’audience.

La sénatrice Annick Billon (Union centriste) a proposé le 21 janvier dernier de poser dans le droit «un nouvel interdit: celui de tout rapport sexuel avec un mineur de 13 ans», sans que la justice ait besoin de s’interroger sur le consentement de l’enfant. Autrement dit, si cette proposition entre en vigueur (elle doit encore être votée à l’Assemblée nationale), tout acte de pénétration sur un mineur de 13 ans sera désormais considéré comme un viol. Il ne pourra plus être qualifié comme une atteinte sexuelle ou une agression sexuelle, quelles que soient les circonstances.

«Seules 1% des victimes de viol obtiennent justice»

Durant la période où les faits se sont déroulés, Julie souffrait de «troubles psychiques et psychiatriques avérés et redondants», était placée «sous neuroleptiques, à haute dose» et «suivie en pédopsychiatrie», selon ses avocats. La question du discernement de Julie au moment des faits ne manquera pas d’être posée à nouveau.

«Julie souhaite que la justice l’entende. Elle est en immense souffrance, car elle a été survictimisée durant cette procédure. Elle a subi des violences sexuelles extrêmes à un très jeune âge», déplore l’avocat de la plaignante.

«Seules 1% des victimes de viol obtiennent justice: c’est bien qu’il y a un problème dans l’application de la norme, on ne peut pas se satisfaire de cela», poursuit Lorraine Questiaux.

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Si la Cour de cassation refusait le renvoi en Cour d’assises, quel recours resterait-il à Julie?

«Il reste l’option de la Cour européenne des droits de l’homme: c’est sans doute la voie que nous prendrons si nous n’obtenons pas justice», répond son avocat.

Alors qu’une femme s’écrie: «Nous ne nous tairons pas! Le viol est un crime!» lorsque l’avocat des accusés, Me Guillaume Valdelièvre, s’exprime devant les micros, celui-ci répond, impavide:

«Le viol nécessite la qualification de certains éléments; lorsque ces éléments ne sont pas réunis, la qualification de viol ne peut pas être retenue. L’absence de consentement n’a pas été retenue en l’espèce».

La plus haute juridiction française devrait rendre sa décision le 17 mars prochain.

*Le prénom a été changé.

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