Martin Ziguélé: La présence de groupes armés en Centrafrique «c’est un problème de vie ou de mort»

© AFP 2023 ISSOUF SANOGOAffiche électorale de Martin Ziguélé à Bangui
Affiche électorale de Martin Ziguélé à Bangui  - Sputnik Afrique
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Tant que des groupes armés sévissent en RCA, la relance de l’économie qui permettrait d’assurer le bien-être de la population se heurte au problème de la sécurité, estime le candidat à la présidentielle Martin Ziguélé, qui rappelle que près de deux ans après la signature de l’accord de Khartoum, ces groupes n’ont fait que de gagner des forces.

«Il y a deux manières de faire progresser un pays. Soit vous faites une révolution, soit vous faites les réformes. Moi, je pense qu’il faut procéder par des réformes», déclare dans une interview à Sputnik Martin Ziguélé, homme politique centrafricain. Après avoir occupé, au début des années 2000, le poste de Premier ministre, il brigue aujourd’hui le fauteuil présidentiel, pour lequel l’élection est prévue le 27 décembre. Au micro de l’agence, il livre sa vision des problèmes les plus cruciaux à résoudre pour assurer la sécurité et le bien-être de ses concitoyens.

Sputnik: Quelles réformes politiques et économiques sont, à votre avis, aujourd’hui indispensables?

Martin Ziguélé: On a un pays qui peut réformer son économie en relançant d’abord l’agriculture de manière sérieuse. Parce que l’agriculture concerne 70% de la population. Et dès que vous stabilisez les revenus, [...] vous assurez le bien-être au moins de la plus grande partie de la population et c’est ça le sens de la République. Les réformes, à mon avis, c’est la relance de l’économie qui produit des richesses, des activités, des revenus monétaires à la plus grande partie de la population.

Et l’agriculture peut être aussi bien commerciale -par exemple le coton, le café, le cacao, le poivre, etc.- que vivrière. Et les pays qui sont au nord de la République centrafricaine sont des pays qui sont en déficit alimentaire chronique. On peut imaginer aussi d’énormes entreprises agro-industrielles qui exportent des céréales ou d’autres produits agricoles vers les pays africains frères, frontaliers et qui sont en difficulté en matière agricole, dans le nord du continent.

Sputnik: Quelle est votre évaluation de la situation sécuritaire du pays et estimez-vous que l’accord de Khartoum s’est soldé par un échec?

Martin Ziguélé: Moi, je pense que l’accord de Khartoum n’est pas un échec. Moi-même j’étais à Khartoum, -pas en tant que participant aux négociations, mais dans les couloirs- j’ai appuyé le processus et [...] je soutiens toujours l’accord de Khartoum parce que lorsqu’on est un pays en crise il faut qu’il y ait un accord de paix pour en sortir.

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Je suis membre du comité de suivi [de l’accord, ndlr] et j’ai toujours dit que [l’une des] insuffisances majeures de l’accord de paix -qui n’est pas mauvais en lui-même- est que n’y a pas été prévu un cantonnement des groupes armés. Lorsque vous n’avez pas cantonné des groupes armés, vous ne pouvez pas les recenser, vous ne pouvez pas savoir combien il y a de membres. Il y a 14 groupes armés mais combien d’éléments dans chacun? Quelle est leur identification? Quand vous avez ces éléments et entrez dans le processus de désarmement vous pouvez dire «j’ai réussi» ou «je n’ai pas réussi». Mais dès le moment où les groupes armés ne sont pas cantonnés, je ne vois pas comment on peut résoudre ce problème parce que dans ce vaste territoire peu peuplé, les groupes armés se baladent comme ils veulent, d’un coin à l’autre du pays.

Donc la pression sécuritaire sur les forces de défense et de sécurité est maximale. [...] Et lorsque j’ai posé la question dans le cadre du comité de suivi, on ne m’a pas dit que mon idée étaient absurde. On m’a dit simplement que ça coûte très cher. C’est-à-dire que tout le monde sait que la solution c’est le cantonnement.

Sputnik: Redoutez-vous une déstabilisation au cours des élections?

Martin Ziguélé: Je ne pose pas le problème en ces termes, je pense que le problème se pose en termes de sécurité de la population. [...] Pour qu’il y ait des élections, il faut qu’il y ait des hommes et des femmes qui aillent voter et dans ces régions qui sont, comme par hasard, les plus peuplées de notre pays, il y a des mouvements armés depuis 4-5 jours qui font que les villes se vident de leur population, les autorités -civiles ou militaires- ne maîtrisent pas la situation... Comment on fait pour distribuer les cartes d’électeur qui sont censées être distribuées du 19 au 24 décembre, c’est-à-dire trois jours avant le scrutin? Comment faire pour que les électeurs puissent sortir de leurs cachettes pour venir dans les centres de vote appropriés?

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Là, nous sommes dans une urgence sécuritaire aujourd’hui. Je pense qu’il faut réfléchir à un moyen d’éteindre le feu. Il faut trouver une solution pour apaiser la situation et pour permettre que le scrutin se déroule. Il faut que le scrutin puisse se dérouler sur l’ensemble du territoire.

L’élection doit avoir un sens et être un passage vers la paix, les élections ne peuvent pas être comme un facteur de guerre. Je pense qu’il faut faire attention à cela et faire en sorte qu’il y ait un minimum de concertation politique pour apaiser la situation, sinon les résultats de l’élection seront toujours contestés et ça donnera toujours des arguments aux uns et aux autres pour continuer ce qu’on est aujourd’hui en train d’observer.

Sputnik: En ce qui concerne la sécurité, les pays amis -dont la Russie- peuvent-ils prêter main forte à votre pays dans ce domaine?

Martin Ziguélé: Nous avons des relations diplomatiques avec l'ancienne URSS déjà depuis 1960. Et nous souhaitons que les relations entre notre pays et la Russie se développent et se renforcent dans tous les domaines, y compris dans la formation militaire. Mais, il faut faire très attention pour que cette coopération ne se ressemble pas à un soutien à un individu, à un régime, et pas à un pays.

Sputnik: Et, selon vous, peut-on parler d’une sorte de rivalité entre Paris et Moscou en Centrafrique? Comment évaluez-vous la situation?

Martin Ziguélé: Écoutez, la Russie et la France ont beaucoup de relations entre elles -diplomatiques, économiques, scientifiques. [...] Donc la RCA ne peut pas être un intérêt de bataille entre ces deux pays, c’est une notion qui paraît un peu surréaliste dans la situation de notre pays. Nous sommes un pays en développement, nous avons besoin du soutien de tous les pays du monde.

Sputnik: Dans un contexte d’élections, considérez-vous que la demande de changements trouve un écho auprès de la société?

Martin Ziguélé: La première préoccupation, c’est la sécurité. La première préoccupation centrafricaine, c’est de savoir comment on va faire pour que ce pays soit débarrassé des groupes armés et qu’il y ait la paix définitivement. Ils [les électeurs, ndlr] attendent des réponses fermes. Donc, ils ne se contenteront pas de promesses.

Sputnik: Et quid des sanctions et de l’embargo sur les armes? Jugez-vous indispensable de les lever et que doit-il être fait pour que cela puisse devenir une réalité?

Martin Ziguélé: Oui, moi, je pense qu’il faut lever l’embargo parce qu’il n’a aucun sens à mon avis. Puisque les autres armées peuvent se ravitailler en armes là où elles le veulent, là où elles le peuvent. Donc imposer l’embargo à l’armée centrafricaine, pour moi c’est un contresens puisque cette obligation n’est pas imposée aux groupes armés.

Sputnik: Si vous remportez ce scrutin, quelles seront vos premières démarches?

Martin Ziguélé: Mais on ne fait pas les choses les unes après les autres, on fait les choses ensemble. S’il n’y a pas de sécurité, comment voulez-vous relancer l’économie? Je vous dis: la question de la présence des groupes armés dans le pays, c’est un problème pour les Centrafricains, c’est un problème cardinal, c’est un problème de vie ou de mort.

Lorsque deux tiers du pays sont occupés par des groupes armés, comment lever l’impôt sur l’ensemble du territoire, vous faites quoi pour avoir un budget équilibré et pour faire face au fonctionnement de l’État, aux investissements publics, etc.?

Il y une annexe dans l’accord de Khartoum. Elle dit que trois mois après sa signature, les groupes armés devaient disparaître. Dans deux mois, c’est le deuxième anniversaire de l’accord de Khartoum et les groupes armés sont plus forts qu’avant l’accord de Khartoum. Il faut se poser des questions.

Propos recueillis par Ekaterina Ivanova 

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