La Turquie prolonge sa présence militaire en Libye: un pas de plus vers la partition du pays?

© AFP 2023 GIANLUIGI GUERCIAUn membre des forces de sécurité libyennes se tient sur un toit alors que le ministre libyen de la justice par intérim, Ali Hamiada, visite la nouvelle prison d'Al-Hadba et le tribunal spécial le 26 mai 2012 à Tripoli. La prison, qui peut accueillir 100 prisonniers politiques de haut rang, accueillera les procès des personnalités pro-mamer Kadhafi
Un membre des forces de sécurité libyennes se tient sur un toit alors que le ministre libyen de la justice par intérim, Ali Hamiada, visite la nouvelle prison d'Al-Hadba et le tribunal spécial le 26 mai 2012 à Tripoli. La prison, qui peut accueillir 100 prisonniers politiques de haut rang, accueillera les procès des personnalités pro-mamer Kadhafi - Sputnik Afrique
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La Libye se dirige vers le démembrement. C’est la prédiction amère de Riadh Sidaoui, spécialiste du monde arabe. Ce 22 décembre, le vote de la Grande Assemblée nationale, à Ankara, visant à prolonger la présence militaire turque sur le sol libyen ne fait que confirmer ce scénario, explique le chercheur au micro de Sputnik. Clarifications.

La Turquie continue de solidifier ses positions en Méditerranée orientale. Quelques jours après que l’Union européenne et les États-Unis ont décidé de rendre coup pour coup en imposant des sanctions à Ankara, la Parlement turc a voté en faveur du prolongement de la présence militaire en Libye.

Militaires turcs (image d'archive) - Sputnik Afrique
Ankara prolonge la présence de ses troupes en Libye

La motion approuvée prolonge de dix-huit mois le déploiement de troupes dans ce pays, initialement autorisé en janvier 2020. «Il y a des menaces provenant de Libye contre la Turquie et toute la région et, si les attaques reprennent, les intérêts de la Turquie dans le bassin méditerranéen et en Afrique du Nord en seront affectés», justifie le texte.

Mort des accords convenus à Tunis

Lors des dernières discussions entre factions libyennes mi-novembre à Tunis, les participants s’étaient pourtant mis d’accord sur le fait d’expulser toutes les forces étrangères du sol national sous trois mois. Y compris les troupes turques! «Un accord tué dans l’œuf» par le vote des élus turcs et la volonté de maintenir cette présence du gouvernement de Fayez el-Sarraj, qui contrôle l’ouest du pays, analyse Riadh Sidaoui, directeur du Centre arabe de recherches et d’analyses politiques et sociales (CARAPS):

«Cela repousse une éventuelle solution de la crise libyenne de dix-huit mois, car il y aura une présence turque tout ce temps. Or la crise libyenne est alimentée par les ingérences étrangères, qu’elles soient, politiques, économiques, ou militaires», ajoute-t-il au micro de Sputnik.  

La Turquie juge sa présence légitime sur le plan du droit international parce que répondant à une demande du gouvernement de Tripoli. Si cet exécutif est certes reconnu par l’ONU, il reste toutefois illégitime aux yeux de nombreux acteurs, en particulier libyens:    

«La présence militaire turque n’est pas légitime. Le Parlement de Tobrouk refuse cette présence. [Elle émane d’un] accord bilatéral entre Fayez el-Sarraj et Recep Tayyip Erdogan. Au plan du droit international, il n’y a pas de résolution de l’ONU ou du Conseil de sécurité qui autorise les forces turques à entrer en Libye.»

Peu importe, les dés sont jetés. L’armée turque sera donc, sauf retournement de situation, présente en Libye pour encore dix-huit mois. Au moins...

Erdogan avance ses pions

Et cette situation devrait effectivement bénéficier sur le moyen et long terme à Ankara.

«La Turquie voit dans la Libye des intérêts purement économiques. Ceux-ci passent au-delà de toute affinité idéologique ou politique. Il y a le pétrole libyen évidemment, même si la plupart des gisements se situent dans l’Est libyen aujourd’hui contrôlé par le maréchal Haftar, mais aussi la possibilité d’inonder le marché de produits turcs», analyse Riadh Sidaoui.
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L’implantation ottomane a d’ores et déjà mis des concurrents sur la touche: «La Tunisie a perdu 70% de son marché tripolitain à cause de cette présence turque», explique le politologue tunisien.  

Malgré –ou à cause de– la guerre civile qui s’abat sur le pays depuis près d’une décennie, la Libye attire bien des convoitises. Avec des réserves pétrolières aux alentours de 48 milliards de barils, le pays dispose des plus grandes nappes d’Afrique. Il se classe même parmi les dix plus grandes réserves du monde. 

​Recep Tayyip Erdogan en est conscient. Cela explique en grande partie son désir de prolonger la présence de ses troupes, estime Riadh Sidaoui. Ayant Washington derrière lui, le Président turc n’aurait d’ailleurs pas beaucoup de soucis à se faire. Il peut avancer ses pions en toute tranquillité,  affirme le chercheur:  

«L’ingérence turque est, en grande partie, permise pas les États-Unis, qui n’ont pas voulu se salir les mains en Libye. Ils ont laissé la Turquie faire le boulot à leur place quand ils ont vu que Khalifa Haftar marchait sur Tripoli avec l’appui russe.»

Selon notre interlocuteur, «la Turquie ne peut pas intervenir en Libye et en Syrie comme elle le fait sans avoir la bénédiction d’une grande puissance. Malgré les grands discours d’Erdogan, la Turquie n’est pas une puissance mondiale, mais régionale.»

Partage du gâteau libyen?

Ces ingérences auront pourtant un coût selon Riadh Sidaoui. En effet, la perspective d’une solution politique et pacifique pour retrouver une Libye une et indivisible semble irrémédiablement s’éloigner:

«La Libye est en voie de partition: la Tripolitaine à l’Ouest, la Cyrénaïque à l’Est et le Fezzan au Sud-Ouest.», analyse-t-il.  

Une triple fracture qui serait selon lui d’ores et déjà «un fait accompli» sur le terrain.

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