La vie des sans-abris à Moscou à travers le prisme du SAMU social à la russe – reportage exclusif

Cela fait trois mois que le Bus de nuit de Nochlezhka, organisation caritative qui aide les sans-abris, circule le soir à Moscou pour distribuer de la nourriture à ceux qui en ont besoin. Sputnik a accompagné les bénévoles de ce SAMU social à la russe lors d'une de ses missions et a parlé à ses bénéficiaires, particulièrement vulnérables lors de la pandémie.
Alors que le Bus de nuit de Nochlezhka approche de sa première destination, près de 90 personnes se bousculent dans un square près de la gare de Iaroslavl, à Moscou. Il ne fait que quelque 8 degrés en ce soir d'octobre. En attendant un dîner chaud, ces gens, les «clients» de la Nochlezhka, comme les appellent les employés de cette ancienne organisation caritative qui s'occupe des sans-abris en Russie, font la queue en discutant: la majorité d'entre eux se connaissent bien.

Les raisons pour lesquelles ils se sont retrouvés ce soir sont variées: de «je n'ai pas assez d'argent pour me procurer de l'alimentation car je dois payer le crédit» à «je n'ai personne et je n'ai pas d'argent même pour me payer un repas».

«En règle générale, les sans-abris apprennent l'existence de la Nochlezhka par le biais du bouche à oreille, certains ont des téléphones portables et peuvent googler la localisation de l'arrêt du Bus de nuit», raconte l'une des personnes dans la file d'attente.

«Qui plus est, il existe même un guide papier pour les sans-abri, où les lieux où il est possible de trouver de la nourriture chaude gratuite sont indiqués», ajoute un autre en montrant le petit livre «capable de sauver des vies».
De la soupe aux pois au pain d'épice

Aujourd'hui, purée et boulettes sont au menu. S'approchant de la carrosserie du Bus dans laquelle au moins trois bénévoles s'occupent de la distribution de la nourriture chaude, les sans-abris se demandent s'il y en aura pour tout le monde. Ce soir-là, la purée est épuisée au bout d'une vingtaine de minutes, laissant quelques personnes, arrivées en retard, sans dîner. Ils vont pourtant pouvoir se procurer du thé, accompagné, en règle générale, de pain d'épice, presque toujours en abondance dans le Bus.

Pour Antonina, une habituée de ces repas du Bus de nuit, les plats distribués par Nochlezhka sont «délicieux». Interrogée par Sputnik, cette retraité de 62 ans raconte: «Les aliments sont très bons, si ma mémoire est bonne, le mardi et le jeudi on nous donne une entrée: soit de la solianka, soit du borsch, soit de la soupe aux pois ou bien du velouté de champignons, mon préféré. Mais la purée avec des boulettes, comme aujourd'hui, c'est très bien aussi».

«Nous sommes tous très reconnaissants à l'équipe de la Nochlezhka pour tout ce qu'elle fait pour les gens comme nous», confie Antonina.
La pression de la pandémie

Guennadi, âgé de 64 ans, s'est retrouvé dans le besoin en raison de la pandémie, il a donc dû avoir recours à l'aide du Bus de nuit. D'après l'homme, c'est un concours de circonstances qui l'a poussé dans la rue: la pandémie, la maladie, l'attitude de ses proches.

«À cause de la pandémie il m'est devenu nécessaire de recevoir de l'aide de la part des organisations qui aident les sans-abris ou les personnes défavorisées économiquement», raconte-il à Sputnik. «Premièrement, je suis architecte de formation, mais aujourd'hui il y a de moins en moins de travail pour nous. J'ai rempli mon dernier contrat en février et après il n'y avait plus de travail. Deuxièmement, lors de la pandémie j'ai survécu à un AVC et suis resté seul par la suite».

Alors que dans cette vie, Guennadi «n'est plus sûr de rien», grâce à Nochlezhka, il y a au moins une chose dont il est certain: il aura de quoi se nourrir du lundi au vendredi.
«Regardez-moi ces belles bottes d'hiver»

La nourriture mise à part, dans le Bus de nuit il est également possible de recevoir une assistance médicale, un médecin professionnel bénévole effectuant des consultations dans le Bus le mardi. D'après Alexandre, chauffeur du Bus, ce service est particulièrement apprécié par les clients de la Nochlezhka, qui dans la plupart des cas ne disposent tout simplement pas des documents nécessaires pour s'adresser à l'hôpital.

De plus, la Nochlezhka distribue des vêtements sur commande. Pour s'en procurer il faut faire une demande, laisser son nom, prénom, l'article demandé ainsi que la taille et attendre l'arrivée du prochain Bus. Si les articles demandés sont présents dans le dépôt du bureau principal de la Nochlezhka, le Bus les ramènera la prochaine fois.
«Et voilà! Regardez-moi ces belles bottes d'hiver, ce sont les miennes, j'en suis très content», raconte Saïd, tout souriant. Dans sa vie, il est resté «tout seul» et aujourd'hui l'aide de la Nochlezhka est immense, voire vitale pour lui.

«J'ai fait une demande la semaine dernière et aujourd'hui, voilà! Désormais j'ai de quoi affronter le froid sévère de cet octobre». Actuellement en train de refaire ses documents pour pouvoir postuler à un emploi, il passe pour le moment ses nuits dans la rue.
Des produits d'hygiène personnelle comme du dentifrice, du déodorant ou bien des serviettes hygiéniques sont presque toujours présents dans le Bus. Soit des donateurs privés, des gens ordinaires, en déposent au bureau de l'organisation, soit des entreprises sponsors en achètent en masse.
«En mesure d'aider les gens»

Ce soir c'est Vika, bénévole depuis plusieurs mois, qui est en charge de la distribution de nourriture. Elle admet qu'en tant que c'est le travail dans le Bus de nuit qui lui procure le plus de plaisir.

«Le truc c'est que, quand on travaille dans le Bus, l'effet de nos actes est tout de suite visible, il est direct. On voit les sourires de ces gens, on les entend nous dire merci». Elle explique sa décision de devenir bénévole à la Nochlezhka de manière simple: «Je sais que je suis en mesure d'aider les gens, alors pourquoi ne pas le faire?»

Selon elle, ces derniers temps de plus en plus de personnes veulent rejoindre l'initiative et devenir bénévoles. «Certes, aujourd'hui il y a beaucoup de bénévoles dans l'organisation, mais en même temps, on n'en a jamais assez».
Les sans-abris à Moscou

Dans un commentaire à Sputnik, Nikolaï, employé de l'organisation, chargé de la coordination de ses nombreux programmes, explique qu'outre organiser le Bus de nuit, la Nochlezhka fait un tas de choses pour améliorer la situation «des milliers de sans-abris à Moscou».

Ainsi, la Nochlezhka met en place des consultations et aide les gens à refaire leurs documents et à trouver du travail, fait de la sensibilisation dans la société russe en essayant de briser la stigmatisation des sans-abris et travaille avec l'État afin d'attirer l'attention sur ce problème dont l'ampleur est souvent sous-estimée.

En parlant de Moscou, Nikolaï dégage trois raisons principales pour lesquelles les gens se retrouvent dans la rue. Contrairement à ce que «l'on a l'habitude de croire», ni l'alcoolisme ni la dépendance aux drogues ne figure dans le top trois. Ainsi, la grosse majorité de ces gens se sont retrouvés dans une telle situation à cause d'une immigration intérieure qui n'a pas abouti.
«Jusqu'à 40% des sans-abri le sont devenus suite à un échec de l'immigration de travail. La plupart des sans-abris à Moscou sont venus d'autres régions russes à la recherche de travail et d'un salaire digne. D'abord il s'agissait donc d'une tentative de déménager dans la capitale. Mais quelque chose n'a pas marché et une circonstance, ou plutôt un concours de circonstances, les a poussés dans la rue. Il ne s'agit jamais d'une seule raison, mais de plusieurs».

Selon lui, la deuxième raison la plus récurrente pour laquelle les gens se trouvent «au bord de la route» de la vie, est le résultat d'opérations immobilières frauduleuses, ce qui arrive particulièrement souvent à des personnes âgées. «Finalement, la troisième raison est un conflit familial, quand, par exemple, des enfants laissent errer dans la rue leurs parents», explique-t-il.

Nochlezhka moscovite

Créé en 1990 à Saint-Pétersbourg, Nochlezhka a commencé son travail dans la capitale russe en 2018. Quant au Bus de nuit, il circule à Moscou depuis juillet dernier mais est déjà très connu parmi ses bénéficiaires. Aujourd'hui, la Nochlezhka moscovite s'apprête à passer un nouveau cap dans son évolution: ce sont les derniers préparatifs avant l'ouverture d'un foyer pour sans-abris qui sera composé de quatre chambres et pourra abriter 24 personnes.

«Certes, on ne pourra pas aider tout le monde, mais on fera de notre mieux pour donner un coup de main à celles et ceux qui veulent sortir de la rue et reprendre une vie normale. Maintenant, nous sommes en attente des dernières confirmations de la part des autorités, il ne reste que quelques soucis juridiques à régler et on sera prêt à ouvrir. On compte pouvoir le faire avant l'arrivée du froid de l'hiver, une période particulièrement difficile pour les sans-abris», détaille Nikolaï.
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