«Dévastatrice pour le monde», une violente crise du dollar est-elle proche?

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Le dollar pourrait perdre plus d’un tiers de sa valeur d’ici la fin 2021, selon l’économiste Stephen Roach. D’après lui, son statut en tant que monnaie de réserve mondiale pourrait être remis en cause. Véronique Riches-Flores, économiste et présidente de RF Research, livre également au micro de Sputnik une analyse pessimiste pour le billet vert.

«Un krach se profile.» Dans une tribune publiée le 5 octobre dans le Financial Times, le célèbre économiste Stephen Roach, professeur à Yale et ancien président de Morgan Stanley Asie, livre de très sombres prévisions concernant le tout-puissant dollar. C’est en substance ce qu’il avait expliqué peu avant dans une autre tribune, cette fois pour Les Échos.

​Le billet vert est chahuté depuis plusieurs mois sur les marchés. Alors qu’il était de 103,605 points le 19 mars, le dollar index, un indice qui suit le dollar par rapport à un panier de six autres devises majeures, était sous la barre des 94 points ce 7 octobre. À en croire, Stephen Roach, la chute pourrait se poursuivre. «Même si l’on tient compte de sa récente et relativement modeste correction, le billet vert demeure la devise la plus surévaluée du monde, avec un TCER [taux de change réel effectif, ndlr] supérieur de 34% à son plancher de juillet 2011. Selon toute vraisemblance, cet indice large peut encore plonger de 35% d’ici la fin de l’année 2021», prévient l’économiste dans Les Échos

«Je suis tout à fait d’accord avec ce diagnostic. Le dollar est fragilisé par les déséquilibres de l’économie américaine, notamment sa dette extérieure, à laquelle s’ajoute une explosion du déficit public que l’épargne domestique a bien du mal à couvrir», explique dans une interview à Sputnik France Véronique Riches-Flores, économiste, présidente de RF Research et ancienne spécialiste de l’économie des États-Unis à l’OFCE.

Les anticipations de Stephen Roach se basent notamment sur ce qu’il considère comme «l’exacerbation des déséquilibres de l’Amérique». Il souligne que le taux d’épargne nationale nette est devenu négatif lors du deuxième trimestre 2020, à -1%. «Mais le point le plus important de cette évolution tient à la vitesse de l’effondrement. Avec -1% au deuxième trimestre, le taux d’épargne nette enregistre une chute totale de 3,9 points de pourcentage si l’on considère le niveau d’avant la crise du Covid-19, c’est-à-dire 2,9% au premier trimestre. C’est, de loin, la baisse la plus brutale de l’épargne intérieure jamais enregistrée depuis 1947», explique le professeur de Yale dans Les Échos.

Une économie américaine qui a «peu d’attraits»

D’après Stephen Roach, un tel contexte s’ajoute à une prochaine et forte diminution de l’épargne individuelle et à une explosion du déficit budgétaire, qui pourrait atteindre 16% du PIB en 2020, selon les calculs du Bureau du budget du Congrès.

«À l’instar de l’effondrement de l’épargne, l’évolution des paiements courants s’oriente vers un dénouement tout aussi féroce. Relativement aux 2,1 % du PIB enregistrés par le déficit de la balance des paiements courants au cours du premier trimestre 2020, le creusement de 1,4 point de pourcentage au cours du deuxième trimestre de cette année représente la plus forte détérioration trimestrielle jamais enregistrée depuis qu'existent ces statistiques, c'est-à-dire depuis 1960», détaille-t-il dans sa tribune aux Echos.

Un son de cloche lugubre comme un glas, partagé par Véronique Riches-Flores:

«Les déséquilibres de l’économie américaine ne sont pas nouveaux. Mais le dollar était protégé jusqu’à peu par une économie dynamique et une bonne productivité, qui attiraient les capitaux. De plus, les taux d’intérêt étaient attractifs par rapport à d’autres grandes économies. Aujourd’hui, la situation a changé. Il y a un tassement de la croissance et des gains de productivité et les taux sont moins attractifs.»

Stephen Roach assure dans le Financial Times que les Etats-Unis «sont en train de liquider l'épargne nette nécessaire à l'expansion de la capacité de production». «Sans emprunter l'excédent d'épargne à l'étranger, la croissance devient impossible. Le déficit du compte courant ne fera que s'aggraver en conséquence», précise-t-il dans le quotidien économique anglais de référence.

​Or, d’après Stephen Roach, cette obligation d’aller chercher de la manne financière à l’étranger ne sera pas sans conséquence pour la valeur du dollar. L’ancien de Morgan Stanley assure dans le Financial Times que les prêteurs étrangers sont susceptibles de demander des concessions sur les conditions d’un tel financement extérieur massif.

La baisse du dollar en variable d’ajustement?

La Réserve fédérale (FED) n’a aucune intention de remonter ses taux, comme sa récente décision d’abandonner en partie le sacro-saint objectif d’inflation à 2% le montre. Reste alors l’ajustement de change. «En conséquence, une plus grande partie de l'ajustement du compte courant sera désormais forcée par un dollar plus faible», analyse Stephen Roach.

«L’économie américaine a aujourd’hui peu d’attraits et il y a peu de chance que les investisseurs s’y précipitent pour apporter des capitaux ou qu’ils se ruent sur les Bons du Trésor US. Les éléments de faiblesse de l’économique américaine qui proviennent de ses déséquilibres commencent à jouer pleinement leurs effets», alerte Véronique Riches-Flores.

À l’instar de son confrère Stephen Roach, la présidente de RF Research, spécialiste de l’analyse économique, n’est pas très optimiste pour l’avenir du dollar:

«Il y a de quoi être assez négatif. On peut imaginer un krach du dollar, surtout avec un taux de change réel à ses plus hauts niveaux depuis près de vingt ans et qui montre que cette monnaie est très surévaluée.»

Stephen Roach voit d’autres raisons d’anticiper une chute de la valeur du billet vert. L’accord trouvé le 21 juillet entre les 27 sur un plan de relance européen, d’un montant de 750 milliards d’euros (858 milliards de dollars) «établit enfin une politique budgétaire paneuropéenne», selon le professeur de Yale, de quoi «stimuler l'euro sous-évalué». Depuis le 1er janvier, l’euro s’est apprécié de plus de 4,8% face au dollar.

Le yuan en successeur?

«La situation économique internationale est plus favorable à l’euro qu’au dollar», rappelle Véronique Riches-Flores. D’après l’économiste, la décision européenne sur le plan de relance amène non seulement de l’argent frais, mais est surtout une avancée symbolique qui montre une cohésion, avec une mutualisation d’une partie de la dette émise. «Cela a rassuré les investisseurs sur ce que j’appelle le risque existentiel de la monnaie unique», précise-t-elle.

​L’euro est-il un candidat solide à la succession du roi dollar? Véronique Riches-Flores émet des doutes: «Le risque d’explosion de l’euro existe toujours et les perspectives de croissance en zone euro sont faibles. De plus, des questions sur l’efficacité du plan de relance commencent à se poser. Les montants ne sont pas suffisants pour remettre la zone euro sur de bons rails. Sans oublier que la question de la solvabilité de certains Etats européens risque de revenir bientôt sur la table avec le regain de l’épidémie de Covid-19 et le choc économique qui est susceptible de l’accompagner.»

«Le taux de change effectif de l’euro est déjà quasiment sur des plus hauts historiques. De plus, si l’euro monte trop par rapport au dollar, cela serait insupportable pour la croissance européenne», ajoute-t-elle.

Comme aime à le répéter Véronique Riches-Flores, «on a tout pour que le dollar baisse, sauf le candidat pour absorber le choc». D’après l’ancienne économiste de l’OFCE, qui a également officié à la Société générale, l’heureux élu pourrait être chinois. Un point évoqué par Stephen Roach, pour qui la volonté de la Chine d’internationaliser le yuan pourrait mener la monnaie chinoise à faire concurrencer le dollar.

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Véronique Riches-Flores souligne quant à elle que Pékin a plutôt intérêt, pour des raisons structurelles, à montrer qu’elle a une devise forte qui peut assumer son ambition de monnaie réserve. «La crise du Covid-19 a changé la donne et les ressorts de croissance à l’exportation de la Chine sont considérablement érodés. Elle n’a donc plus besoin d’un yuan faible pour soutenir les exportations. Au contraire, Pékin a besoin d’une monnaie forte afin de mettre la main sur des entreprises internationales qui ont été laminées par la crise. Accepter un yuan fort permettrait également à la Chine de se délester de ses Bons du Trésor US», analyse-t-elle.

Si elle admet qu’«il est toujours difficile de raisonner sur le cas chinois, vu le manque de transparence», Véronique Riches-Flores pense qu’un yuan fort permettrait un ajustement contre un dollar «clairement surévalué».

Afin d’évoquer la possible fin de l’hégémonie dollar, Stephen Roach fait, dans le Financial Times, référence à un ancien Président et ministre des Finances français, Valéry Giscard-d'Estaing: «Giscard déplorait que les États-Unis aient profité de la position privilégiée du dollar en tant que monnaie de réserve dominante mondiale et se soient appuyés sur le reste du monde pour soutenir leur niveau de vie trop élevé. Ce privilège est sur le point de disparaître.»

Véronique Riches-Flores imagine de son côté un possible «mouvement de défiance extrême contre le billet vert dans les six à neuf prochains mois»: «Il y a un risque sociétal fort actuellement aux Etats-Unis, la situation s’enlise. Une épidémie qui repartirait outre-Atlantique comme c’est le cas actuellement en Europe ou un blocage persistant sur les négociations budgétaires pourraient accélérer le mouvement de la chute du dollar.»

«Mais une crise subite et violente sur cette monnaie serait dévastatrice pour le monde, y compris pour les Chinois, qui verraient une appréciation trop rapide du yuan», prévient-elle.
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