Les «fermes à papiers» qui fabriquent de fausses études scientifiques, un business «opaque» et «juteux»

© Photo Pixabay / geralteuros
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Peu connu, le phénomène de «fermes à papiers» fabriquant à la chaîne de fausses études scientifiques est toutefois bien réel. Dans une enquête exclusive publiée ce 2 octobre, L’Express analyse ce business «opaque» qui se développe en Asie et qui rapporterait des millions d’euros.

Outre les fermes à clics produisant de faux «like», «retweet» ou du faux trafic sur les réseaux sociaux et sites internet, un autre phénomène, celui des «fermes ou moulins à papiers», est observé aujourd’hui. Ces paper mill fabriquent de fausses études scientifiques vendues à des médecins ou chercheurs souhaitant obtenir un diplôme ou une promotion, ainsi qu’à des étudiants, explique L’Express dans une enquête.

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Selon l’hebdomadaire, il n’y a que quelques chercheurs spécialistes de l'intégrité scientifique, domaine visant à faire face à la fraude en sciences, qui se penchent sur le sujet et dénoncent ce «système opaque» qui se développe en Asie.

La microbiologiste néerlandaise Elisabeth Bik est l’un de ces «détectives». Elle a pris la décision de se spécialiser dans la détection d'images dupliquées après avoir constaté dès 2013 l'existence de ce type de fraudes dans des laboratoires.

521 articles créés

Sur son blog «Science Integrity Digest», elle dévoile en février 2020 l'existence du plus gros paper mill identifié jusqu’à présent. Cette ferme à papiers située en Chine a créé 521 articles différents, utilisant une série d'images presque identiques. D’après Mme Bik, ces études frauduleuses ont été publiées dans des journaux scientifiques très sérieux. Elle indique que cette seule «entreprise» a pu produire des milliers de faux.

«Pour autant que je sache, aucune nouvelle étude présentant les fausses images que j'ai détectées n'a été publiée depuis que nous avons découvert le paper mill. Mais cela ne signifie pas que le moulin a cessé de produire des papiers: au contraire, il est fort probable qu'il continue de falsifier des documents, mais de manière plus subtile et plus difficile à repérer qu'avant», confie-t-elle au média, ajoutant que cette ferme n'est pas la seule.

Milliers d'euros

Selon les experts, le prix de ces fausses études peut s’élever à quelques milliers d'euros.

«Il existe des sociétés de communication américaines ou européennes qui produisent de véritables études pour le compte d'entreprises ou de laboratoires: leur prix se situe en général entre 10.000 et 20.000 euros, donc, sans connaître les tarifs pratiqués par les moulins chinois, on peut imaginer que leurs faux articles se monnaient autour de 2.000 euros», raconte à L’Express Hervé Maisonneuve, médecin spécialiste de l'intégrité scientifique.

De son côté, Elisabeth Bik dit avoir «entendu» que le prix «se situerait plutôt autour de 5.000-8.000 euros l'étude».

Ainsi, le principal paper mill identifié par Mme Bik pourrait avoir gagné grâce à ses fausses études des millions d'euros. «Un business juteux», résume le magazine.

Qui est derrière?

Hervé Maisonneuve considère que les personnes qui se trouvent derrière ces sociétés opaques sont «avant tout» des professionnels de la rédaction et de la mise en forme.

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«Ils partent sans doute de données plus ou moins fiables, ont probablement des domaines de spécialisation […] mais il est certain qu'ils arrondissent les angles en modifiant les chiffres, en réutilisant des jeux de données, des images, etc. pour que cela paraisse vrai.»

Claude Forest, Jacques Haiech et Christian Hervé, respectivement chercheurs à l'Inserm, au CNRS et à l'Académie internationale d'éthique (Iameph) confirment dans un éditorial à paraître dans la revue Ethique, médecine et politiques publiques, consulté par L'Express, que ces agences se spécialisent dans la création d'articles scientifiques «à partir de banques de données provenant d'expériences réelles soit déjà publiées soit produites par des laboratoires de recherche». Il est toutefois impossible de découvrir qui dirige ces fabriques.

Les trois spécialistes estiment que ce phénomène ne touche pas la France pour le moment mais ils redoutent que des chercheurs se laissent un jour tenter par ces méthodes.

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