RDC: Entre Kabila et Tshisekedi, la fin des combats à fleurets mouchetés?

© AFP 2023 TONY KARUMBALe président sortant de la RDC Joseph Kabila (à gauche) et le nouveau président Félix Tshisekedi
Le président sortant de la RDC Joseph Kabila (à gauche) et le nouveau président Félix Tshisekedi  - Sputnik Afrique
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Ce 20 septembre 2020, Félix Tshisekedi a rencontré son prédécesseur, Joseph Kabila, pour discuter des tensions que traverse la coalition au pouvoir FCC-CACH. Ce tête-à-tête, qualifié de rencontre de la dernière chance, épargnera-t-il le divorce aux deux familles politiques? Analyse pour Sputnik du chercheur et journaliste Patrick Mbeko.

C’est une rencontre particulièrement attendue qui a eu lieu ce dimanche 20 septembre 2020 à la résidence présidentielle de la N’Sele entre les deux patrons de la coalition au pouvoir, Félix Tshisekedi et Joseph Kabila. Au menu des discussions, plusieurs sujets qui fâchent et qui risquent de faire voler en éclat ladite alliance. Quelques jours avant le tête-à-tête entre les deux hommes, Néhémie Mwilanya Wilondja, le coordonnateur du FCC (Front commun pour le Congo), la famille politique de Joseph Kabila, avait donné le ton en faisant savoir que l’heure était venue pour les deux plateformes de cesser de ruser et de jouer cartes sur table quant à leurs réelles intentions, dévoilant au passage pour la première fois le contenu du fameux «deal» conclu entre Tshisekedi et Kabila au lendemain du scrutin de décembre 2018 et qui prévoit, entre autres, que le FCC reprendra la présidence du pays en 2023.

​Au commencement était le «deal»

Les élections présidentielle et législatives congolaises de décembre 2018 ont été caractérisées par de nombreuses irrégularités, lesquelles ont poussé la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) à mettre en doute les résultats proclamés par la CENI (Commission électorale nationale indépendante). Selon cette institution chargée d’organiser et de superviser le scrutin, l’opposant Félix Tshisekedi, candidat de CACH (Cap pour le changement), est arrivé en tête de la présidentielle avec 38,57% des voix devant Martin Fayulu (34,8%), candidat de la coalition d’opposition LAMUKA, et le candidat de la coalition au pouvoir FCC Emmanuel Ramazani Shadary (23,8%).

Néanmoins, une fuite des documents téléchargés depuis les serveurs de la CENI par un lanceur d’alerte est venue questionner ces résultats, jetant un nouvel éclairage sur la réalité de cette présidentielle. En effet, selon les données qui ont fuité et auxquelles  ont eu accès le Financial Times et Radio France internationale (RFI), c’est l’opposant Martin Fayulu qui aurait remporté le scrutin avec 59,4% des voix, loin devant Emmanuel Shadary et Felix Tshisekedi qui auraient flirté respectivement avec 16 et 15% des voix. Des résultats qui ont été corroborés par la CENCO qui avait quelque 40.000 observateurs éparpillés à travers le territoire national congolais.

Malgré tout, la Cour constitutionnelle a confirmé les résultats provisoires de la CENI, proclamant Félix Tshisekedi vainqueur de l’élection présidentielle. Dans la capitale, Kinshasa, les observateurs les plus avisés ne se sont pas fait d’illusion sur le tour de passe-passe qui venait de s’opérer. Des voix se sont élevées dans le pays pour fustiger l’accord que le Président sortant, Joseph Kabila, aurait conclu avec Félix Tshisekedi pour se maintenir au pouvoir dans l’ombre de son successeur. Plusieurs heures avant la proclamation des résultats par la CENI, une source proche de Kabila avait contacté l’auteur de ces lignes pour lui confier que «le chef [allusion à Kabila, ndlr] a décidé d’imposer Félix

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Même si le fameux «deal» n’a jamais été rendu public, il n’en reste pas moins qu’il y a eu un accord entre le Président sortant et son successeur. Lors de sa visite à Windhoek, en Namibie, le nouveau chef de l’État avait en effet admis avoir conclu une entente avec son prédécesseur, mais pour un gouvernement de coalition. Ce qu’une enquête menée par un journal belge avait démenti en révélant les coulisses de la désignation de Tshisekedi par Kabila.

Si ce dernier a décidé, à son corps défendant, de piocher dans l’opposition pour choisir son successeur, c’est parce qu’il redoutait un soulèvement populaire et surtout une intervention directe des Occidentaux au cas où il aurait imposé son dauphin Emmanuel Shadary.

La «vérité des urnes» a ainsi cédé le pas à ce que le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, a appelé «un compromis à l’africaine». Un compromis dans lequel le FCC et CACH ont décidé de diriger le pays ensemble au sein d’une coalition, et ce sous l’œil attentif d’un Joseph Kabila qui est parti de la présidence sans quitter le pouvoir...

«Je t’aime, moi non plus»

Si les premiers jours du régime Tshisekedi ont été caractérisés par des embrassades et autres marques d’affection entre membres de la coalition FCC-CACH, faisant dire à certains d’entre eux que l’alliance avait de beaux jours devant elle, les semaines et mois qui ont suivi ont cependant mis en évidence l’énorme fossé qui sépare les deux familles politiques, tant sur le plan politique que sur le plan idéologique.

Lors de sa première visite officielle aux États-Unis, le chef de l’État congolais avait dévoilé ses véritables intentions, déclarant qu’il allait se défaire du système dictatorial de son prédécesseur. «Je le dis sans peur. Je suis là pour déboulonner le système dictatorial qui était en place», avait-il affirmé lors d’une conférence au Council on Foreign Relations. Des propos qui avaient fait bondir de colère le FCC. Depuis, la coalition évolue sur fond de coups bas et de méfiance réciproques...

​En fait, Félix Tshisekedi n’a jamais porté Joseph Kabila dans son cœur -en témoignent plusieurs de ses interventions publiques- et c’est réciproque. Les partisans des deux plateformes ne s’apprécient pas non plus. Le «mariage d’intérêt» entre les deux hommes devait permettre à Kabila de continuer à diriger le pays de l’arrière. Si Tshisekedi a accepté de jouer le jeu, il ne compte pas non plus se laisser imposer certains choix politiques du FCC. En témoigne, par exemple, le cas Ronsard Malonda que le FCC a voulu imposer à la tête de la CENI avant de se heurter au veto de Félix Tshisekedi. En témoigne également la controverse liée aux nominations de deux juges effectuées par le même Tshisekedi à la Cour constitutionnelle, au grand dam de la Kabilie.

Mieux installé dans son fauteuil et soutenu par les Américains qui le poussent à se soustraire à la «tutelle» de son prédécesseur, Félix Tshisekedi manœuvre tant bien que mal pour positionner ses hommes de confiance à des postes clés dans les services de sécurité, dans la magistrature ainsi qu’à la CENI, multipliant ainsi les «accrochages» avec un FCC de plus en plus sur les dents et qui promet de réagir...

Le Retour du Raïs

C’est dans ce climat de tension et de méfiance au sein de la coalition que Joseph Kabila, devenu «sénateur à vie» comme le veut la Constitution, a décidé de faire son grand retour sur la scène politique congolaise. C’était à l’occasion de la rentrée parlementaire, qui a eu lieu le 15 septembre dernier. S’il est vrai que celui que les Congolais ont surnommé «le Raïs» n’a jamais véritablement quitté la vie politique dans les faits, se contentant de tirer les ficelles depuis les coulisses via le FCC qui a gardé la haute main sur toutes les institutions du pays, il est aussi vrai que ce «retour» effectué en grande pompe marque un tournant important dans la vie politique congolaise.

En effet, par ce «come back», Kabila entend désormais peser directement sur le cours des évènements en prévision des élections de 2023 à venir. Son retour est un message envoyé aussi bien à ses partisans pour les rassurer qu’à CACH pour lui faire comprendre qu’il a intérêt à respecter les «règles du jeu» relatives au «deal». C’est dans cette optique de «stricte mise au point» que le coordonnateur du FCC (aussi ancien directeur de cabinet de Kabila), Néhémie Mwilanya Wilondja, a évoqué pour la première fois le contenu de l’accord qui lie Félix Tshisekedi à son prédécesseur et qui prévoit que le FCC reprendra la présidence de la République en 2023. Au sein de cette plateforme, on y travaille déjà, comme l’a déclaré l’un de ses membres éminents, le ministre de l’Environnement Claude Nyamugabo: «Le retour de Joseph Kabila n’est pas un slogan, c’est une réalité. Il va retourner au pouvoir et nous sommes en train d’y travailler. Toute la population attend cela avec impatience.»

Quel avenir pour la coalition?

Pour l’heure, les deux parties semblent avoir opté pour l’apaisement. Les discussions pour harmoniser les points de vue se poursuivent sur fond de tensions mais aussi de l’ingérence discrète quoique de plus en plus prégnante des États-Unis. Ce qui n’est pas de nature à arranger les choses.

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Une chose semble certaine, c’est qu’au regard de la configuration politique actuelle, la partie sera particulièrement difficile pour Félix Tshisekedi qui devra désormais composer avec un FCC plus que jamais revigoré par le retour en puissance de son autorité morale Joseph Kabila sur la scène politique. Au sein même de CACH, qui réunit son parti l’UDPS et l’UNC de son directeur de cabinet Vital Kamerhe, rien ne semble aller depuis l’arrestation de ce dernier. Et rien ne présage un avenir meilleur pour cette coalition, à moins que Félix Tshisekedi ne décide d’esquisser un geste de bonne foi en direction de son directeur de cabinet, comme une grâce présidentielle. Ce qui est loin d’être acquis, compte tenu des rivalités en sourdine entre l’UNC et l’UDPS...

En cas de désaccords ou de brouille majeure au sein de la coalition FCC-CACH, la plateforme de Joseph Kabila pourrait activer l’un des trois leviers suivants pour affaiblir, voire neutraliser Félix Tshisekedi et l’UDPS:

  • Exploiter les dissensions au sein de CACH, en misant sur l’UNC de Vital Kamerhe, quitte à le débaucher afin d’en faire un allié, ce qui isolerait davantage Tshisekedi et le placerait en minorité;
  • Utiliser le levier législatif en se servant des deux chambres qu’elle contrôle à la majorité absolue pour mettre en accusation Félix Tshisekedi (art. 166 de la Constitution). Sur ce point, ce ne sont pas les griefs qui manquent;
  • Dévoiler le contenu du «deal», ce qui aurait pour conséquence majeure de remettre en question les résultats des élections entérinés par la Cour constitutionnelle et, par là-même, le pouvoir même de Félix Tshisekedi.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’avenir de la coalition FCC-CACH va dépendre de la posture que chaque camp, et plus particulièrement l’UDPS, va adopter dans les semaines et mois à venir...

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