Jean-Yves Le Drian –«le menhir», comme il se fait appeler– est avec Bruno Le Maire et Florence Parly l’un des trois rescapés du remaniement. Il a même été nommé en premier sur le perron de l’Élysée lors de la présentation du gouvernement Castex. S’il reste en poste jusqu’à la fin du quinquennat d’Emmanuel Macron, il aura tenu dix ans de suite à la tête de ministères régaliens et donc survécu durant deux présidences et sept gouvernements de suite. Un record en Ve République. Quel est le secret de sa longévité?
La caution «de gauche» d’un gouvernement qui penche de plus en plus à droite
Bien sûr, la fortune semble lui avoir fréquemment souri. Le septuagénaire s’est souvent trouvé au bon endroit, au bon moment. Exemple type: s’il a été un des rescapés du dernier remaniement, c’est aussi le résultat d’un calcul politique qui le dépassait:
«S’il est resté au gouvernement c’est surtout parce qu’il est de gauche et qu’il maintient un équilibre cher à Macron. Ce dernier aurait été obligé de le remplacer par quelqu’un de gauche s’il s’en allait, et il n’avait personne d’autre sous la main», confie à Sputnik un ambassadeur, sous couvert d’anonymat.
Lors de la transition Hollande-Macron en 2017, là aussi, il a bien su jouer ses cartes. Celui qui a d’abord soutenu Manuel Valls lors de la primaire de la gauche a ensuite apporté un soutien vigoureux à l’actuel Président de la République. Un coup de poker qui lui a rapporté gros: il s’est vu confier le ministère des Affaires étrangères par le tandem Édouard Philippe/Emmanuel Macron.
Sollicité deux fois par Sarkozy pour prendre le ministère des Armées
Cette même source diplomatique souligne toutefois que les portefeuilles tenus par Le Drian s’avèrent moins clivants que d’autres: «contrairement aux ministères liés à l’économie du pays, ceux liés à la politique étrangère font moins souvent l’objet de critiques virulentes des Français et c’est un élément de plus qui explique cette longévité.»
Graphique faussé par la longévité de Jean-Yves Le Drian qui a explosé tous les records de temps passé à la Défense et aux Affaires étrangères https://t.co/BV6qv2jKuj pic.twitter.com/RSy9s1kPfn
— Etienne Baldit (@EtienneBaldit) July 16, 2019
L’autre atout de cet ancien proche de François Hollande, c’est son parcours. En effet, le «Baron de l’ouest» a connu une lente ascension vers les sommets de l’État. Il est resté maire de Lorient de 1981 à 1998, et revendique depuis toujours un attachement particulier à cette ville et sa région. Bien ancré localement en Bretagne, il rassurerait l’actuel Président, qui connaît des difficultés à parler à la France périphérique. Une caution terroir, donc.
Et puis peut-être une caution intello. Titulaire d’un doctorat en histoire, Jean-Yves Le Drian n’est jamais resté éloigné des questions géostratégiques. Ses connaissances et son réseau de contacts avaient d’ailleurs déjà incité Nicolas Sarkozy à lui proposer, par deux fois, le ministère des Armées. C’est sous François Hollande qu’il y a entrera. Son bilan y a d’ailleurs largement été salué par ses pairs, mais semble-t-il pour un fait d’armes plus économique que proprement martial: la vente de quelque 84 Rafale à l’Inde, l’Égypte et le Qatar.
Complaisant avec les atlantistes et davantage encore avec l’UE
Pourtant, au sein de la diplomatie française, surtout celle qui n’est pas sur une ligne atlantiste, il est loin de faire l’unanimité. Contactée par Sputnik France, une autre source diplomatique qui a tenu de nombreux postes d’ambassadeur, estime qu’il est réellement le porte-voix d’une vision géopolitique… qui laisse à désirer.
«C’est la politique extérieure française qui est à déplorer, en particulier dans le monde arabo-musulman. La France a été marginalisée sur tous les dossiers, elle n’a pas de ligne bien nette, sinon qu’elle s’inscrit dans une forme de suivisme des États-Unis», regrette le diplomate, sous couvert d’anonymat.
Une politique à laquelle Jean-Yves Le Drian ne fait qu’acquiescer. Après tout, nous dit-on, «il accepte de rester ministre, alors que personne ne l’y oblige.»
Bien sûr, le patron du quai d’Orsay tend à se détacher de la politique étrangère américaine, en particulier depuis l’arrivée de Donald Trump au pouvoir. Il défend une ligne européiste, quasi fédéraliste, sur les questions stratégiques et diplomatiques: «l’évolution nous oblige, nous Européens, à affirmer notre autonomie stratégique, dans l’Alliance, pour assurer notre propre sécurité. Il y a eu beaucoup d’avancées depuis quelques années», affirmait «le menhir» dans un entretien accordé à La Croix le 17 juin.
Un créneau diplomatiquement correct qui ne l’a, jusqu’ici, jamais trahi. Et qui pourrait faire de lui le seul ministre régalien à faire dix ans de suite en fonction sous la Ve République.