La planète commence à peine se remettre d’une crise considérée comme l’une des plus importantes de ces trente dernières années. Mais connaîtra-t-elle vraiment bientôt une fin? Pour Alain Deneault, ce n’est pas si évident, car selon lui, la parenthèse du coronavirus aura moins été une crise sanitaire qu’une crise de la mondialisation, laquelle est encore loin d’avoir dit son dernier mot.
Crise sanitaire, crise de la mondialisation
En Occident, cette période inattendue aura permis aux États de «tester l’obéissance» de leurs citoyens, observe le célèbre philosophe et économiste québécois:
«La première chose qui m’a frappé durant cette crise est la capacité des appareils étatiques à mettre aussi rapidement et efficacement au pas des sociétés. C’est incroyable et je le dis indépendamment du débat sur le bien-fondé ou non des mesures. Il est fascinant de voir comment les États ont pu modifier les comportements sociaux en aussi peu de temps», souligne d’abord le philosophe en entrevue.
Pour Alain Deneault, qui a publié à l’automne 2019 une série de livres sur l’économie, si les gouvernements ont si vite pris des moyens pour le combattre, c’est que «le virus s’est attaqué aux intérêts de la classe dirigeante».
Interdit d'interdire ⛔️ #IDI
— Interdit d'interdire (@IDIRTFr) March 4, 2020
Économie : «La marque se suffit à elle-même, elle devient la cause», explique Alain Deneault
(Re)voir l’émission :
⏯ https://t.co/JtRW6NCVIC pic.twitter.com/DypfxQmpTj
«Il est presque comique d’avoir vu des chefs d’État tenter de reprendre leurs prérogatives des mains de ceux à qui ils les avaient abandonnées: les marchés, le grand capital et la haute finance», ironise l’enseignant de l’Université de Moncton, plus grande ville de la province canadienne du Nouveau-Brunswick.
M. Deneault ne s’explique pas qu’une grande partie des sociétés ait été mise «sur pause» pour prévenir la propagation de ce virus, alors que selon lui, des menaces beaucoup plus graves pèsent sur l’humanité:
«Sur certains points, c’est surtout un virus médiatique que les gens ont subi. […] Il a été étonnant et ironique de voir nos dirigeants mettre autant d’énergie sur ce virus alors que nos sociétés sont déjà confrontées à d’énormes problèmes écologiques et de santé publique. […] Nous sommes en train de saccager les ensembles vivants sur un mode inouï, jamais vu dans l’histoire, et pour ça nous ne faisons rien», se désole-t-il.
«Le régime capitaliste contemporain est un géant qui a le cancer. […] Le capitalisme produit ce qui nuit à ses propres conditions de survie. Il n’y a rien aujourd’hui qui représente davantage une menace pour le capitalisme que le capitalisme lui-même […] En détruisant la nature, il détruit ce dont il a besoin pour générer de la croissance», poursuit l’enseignant québécois.
Mais quelle serait alors la solution à cette économie vue comme insoutenable? C’est d’abord par l’établissement d’un «cadre régional très fort» que l’humanité pourrait parvenir à développer un modèle alternatif à la mondialisation.
L’ancrage régional, solution de rechange à la mondialisation?
De même, Alain Deneault croit qu’il faut revenir au sens premier du mot économie, lequel ne renvoie pas seulement à l’argent et au développement, mais au bien-être intégral des collectivités.
«J’ai été très surpris de relire récemment Le Suicide d’Émile Durkheim. Dans ce livre, le célèbre sociologue se demande pourquoi on se suicide plus à telle place plutôt qu’à une autre. Durkheim en vient à la conclusion que chaque fois qu’on se suicide, c’est parce que l’individu perd le lien à sa région en se situant sur une échelle trop abstraite, trop vaste, trop invisible», fait-il remarquer.
«Il me semble très clair qu’un pays comme le Canada ne pourra pas survivre aux grands bouleversements du XXIe siècle. Il sera démantelé par la force des choses. Le Canada est trop anonyme. Ce pays est trop “rien”. C’est un pays qui par son échelle empêche la mobilisation politique et où l’enracinement n’est pas acquis», a-t-il conclu.