Au soir du 25 mars 2020, l’entrée en vigueur du couvre-feu au Sénégal avait été marquée par des violences d’agents de la force publique sur des citoyens coupables de n’avoir pas respecté les horaires de circulation. Le tollé général avait contraint la direction de la police à présenter ses excuses.
Deux mois plus tard, alors que les appels à un retour à une situation normale se multiplient, un jeune boulanger de Diourbel (à environ 160 km de Dakar) a été violemment «corrigé» par un employé ASP (Agence de sécurité de proximité), un établissement public d’appoint pour l’administration et les forces de sécurité. Sa faute: non-respect du couvre-feu qui court de 21 heures à 6 heures du matin.
Cet événement pourrait être la dernière bavure d’un dispositif dont plus personne ne semble vouloir désormais. La question que tout le monde se pose est la suivante: jusqu’à quand le Président Macky Sall pourra-t-il résister à la demande quasi générale de levée du couvre-feu?
#COVID19sn : Les actes de violence des forces de défense et de sécurité et leurs supplétifs, les ASP contre des personnes ne peuvent plus continuer. Le couvre-feu, qui ne sert plus qu'à installer la terreur au sein de la population, doit être levé. @Macky_Sall @Aly_Ngouille pic.twitter.com/PGlGdZLsdf
— Seydi Gassama (@SeydiGassama) May 26, 2020
«Le (semi-) confinement ne sert à rien car la chaîne de transmission de la maladie n’a pas été rompue au bout de deux mois. Le virus continue toujours à circuler. Or, le confinement n’est qu’un élément qui vient s’ajouter à l’armada de dispositifs de lutte contre le Covid-19», a plaidé, sur les ondes de la radio RFM, le Dr Pape Moussa Thior, expert en santé publique, ex-directeur du Programme national de lutte contre le paludisme.
Annuler toutes les restrictions inutiles pour être cohérent
Partisan décomplexé de l’immunisation collective face au coronavirus, le Dr Thior demande à l’État de prendre en compte les dégâts collatéraux engendrés par la limitation stricte des déplacements des populations.
«Dakar a la particularité d’abriter l’essentiel des structures de santé de qualité. Les malades qui sont dans les régions voisines et qui ont un rendez-vous médical dans la capitale, comment doivent-ils faire pour y parvenir alors que l’état d’urgence les en empêche?»
«La levée de l’état d’urgence et du couvre-feu s’impose car le Président Macky Sall a annulé les régimes restrictifs qu’il préconisait pour les lieux de culte, les transports, les marchés traditionnels, les établissements scolaires et supérieurs, sans oublier l’autorisation de rapatriement de Sénégalais morts du Covid-19 à l’étranger», défend l’ex-leader parlementaire dans une déclaration à Sputnik.
Du reste, certaines des dispositions prises par le gouvernement dans le cadre de la crise sanitaire sont loin d’être respectées. Ainsi, à la fin du mois d’avril, le ministère de l’Intérieur avait annoncé l’immobilisation de 6.000 véhicules dont les propriétaires avaient enfreint les règles du couvre-feu et de l’état d’urgence.
Interpellation d'1 chauffeur de camion pour transport irrégulier et mise en danger de la vie d'autrui. Il a été découvert dans la caisse 13 pers cachées sous une bâche qui tentaient de quitter Dakar. Le camion qui avait pris départ à THIAROYE, cherchait à rallier FASS BOY(Mboro). pic.twitter.com/XdIdopUWRP
— Mahmoud Gueye 🇸🇳 (@billmahmuud) May 23, 2020
Ça grogne dans les troupes
Sous tension depuis plusieurs semaines, les policiers et gendarmes réquisitionnés pour faire respecter les dispositions du couvre-feu semblent eux-mêmes lassés des patrouilles nocturnes qui les obligent à affronter la défiance de certaines populations, comme cela s’est passé à la Médina en avril dernier. Par conséquent, la grogne et le blues auraient atteint les troupes. «On nous a annoncé que nous allions recevoir une prime de 7.100 francs CFA (environ 11 euros) pour les deux mois et dix jours de couvre-feu […] Vous voyez bien que depuis quelques jours, les agents ne sont pratiquement plus sur le terrain, surtout dans la région de Dakar. Les collègues sont frustrés», rapporte le journal Le Témoin quotidien, généralement bien informé dans la police.
Du reste, le gouvernement lui-même semble condamné à poursuivre les mesures d’assouplissement de l’état d’urgence après celles relatives à la réouverture des lieux de culte, marchés et centres commerciaux. Entre la reprise annoncée des liaisons aériennes pour le début du mois prochain, les complaintes des milieux économiques et, surtout, le retour en classe fixé au 2 juin 2020, le couvre-feu risque bien de vivre ses derniers instants.
Départ de la première vague d'enseignants en partance pour Thiès et Diourbel. Il n'y a aucune organisation malheureusement.
— Pa'Diabel Mbaye 🇸🇳 (@PaDiabelM) May 26, 2020
100 commentaires 😭😭#kébétu pic.twitter.com/bgS6NfN7fF
Dans un désordre indescriptible, les enseignants rejoignent leurs écoles à l’intérieur du pays à bord de bus publics mis à disposition par le gouvernement. Dans son message du 11 mai dernier, le Président Macky Sall avait appelé les Sénégalais à une cohabitation durable avec le virus en perspective d’une «relance de l’économie nationale». Sous cet angle, le couvre-feu mérite-t-il de perdurer?