«Flou», «irréaliste», «technocratique», «pas applicable»: l’Institut Santé tacle le plan de déconfinement des écoles

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Le plan de déconfinement des écoles est loin de faire l'unanimité. À partir du 12 mai, les élèves pourront retourner en classe, en commençant par les plus petits et ce, sur la base du volontariat. Une décision qui n’a pas de sens, selon Frédéric Bizard, président de l’Institut Santé.

À mesure qu’approche la date du déconfinement, la grogne et l’inquiétude montent: mis devant le fait accompli par l’allocution d’Emmanuel Macron du 13 avril, ses ministres ont eu peu de temps pour préparer le retour progressif à la normale et leurs annonces n’ont pas forcément rassuré.

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Ainsi, après une période de flottement durant laquelle de nombreuses informations contradictoires ont circulé, le ministre de l’Éducation nationale a-t-il donné le 21 avril plus de détails concernant le retour des enfants à l’école à partir du 12 mai. Les grandes sections de maternelle, CP et CM2 seront les premiers à retourner en classe, suivis des 6e, 3e, 1ere et terminales la semaine du 18 mai. Enfin, la semaine suivante, tous les autres élèves pourront revenir en cours, à condition de ne pas dépasser 15 personnes par classe. Jean-Michel Blanquer précise encore que ce retour sur les bancs de l’école se fera sur la base du volontariat. Un plan pour le moins complexe:

«Il a parlé de volontariat, mais ça ne veut rien dire, puisque les classes vont être limitées à 15. Mais aujourd’hui, ça veut dire quoi, premier arrivé, premier servi? Sans oublier les enseignants qui vont exercer leur droit de retrait à cause du manque de protections, donc ça n’a pas de sens», s’insurge Frédéric Bizard, président du think tank «l’Institut santé», au micro de Sputnik.

Une annonce qui a pour but de «lutter contre les inégalités sociales et d’aider à la reprise du travail», selon l’entourage d’Emmanuel Macron. Cette décision fait écho à celle de l’Allemagne ou du Danemark, des pays où l’épidémie est «sous contrôle», à l’opposé de l’Italie ou de la Roumanie, qui prévoient une rentrée pour septembre.

​Mais pour le ministre de l’Éducation nationale, rouvrir les écoles en septembre «aurait été une solution de facilité», parce qu’il n’y a pas que le coronavirus qui fasse des morts en France: «je pense notamment aux violences familiales ou à la mauvaise alimentation du fait de la fermeture des écoles», a déclaré le responsable politique lors de son audition devant l’Assemblée nationale le 21 avril.

«D’abord, il faut reconnaître que le cadre défini par le Président de la République est à la base relativement flou, puisqu’il est parti d’une proposition qui a très vite été vue comme irréaliste, c’est-à-dire de reprendre les cours le 11 mai. On a habillé ça de valeurs sociales et d’égalité sociale, mais la première motivation, c’était de permettre le retour au travail des parents», lance l’économiste.

Un calendrier qui a inquiété tout d’abord les parents, craignant de voir le virus apparaître au sein du foyer, les enfants étant considérés comme fréquemment porteurs asymptomatiques.

Les classes, nid de virus?

Des craintes qui prennent une nouvelle dimension alors que l’on apprend le 27 avril que le National Health Service (NHS), le système public de soins britannique, a émis une alerte sur un syndrome proche du Covid-19 qui frappe les enfants.

«L’école reste un espace confiné où vous avez une forte concentration de personnes et ensuite de personnes qui pour la plupart ne peuvent pas respecter les gestes barrières, la distanciation sociale, etc. Et même si ces enfants sont asymptomatiques, ils sont quand même porteurs et les débats scientifiques ne servent à rien, il y a quand même des enfants qui sont morts, le risque n’est pas nul pour leur propre santé et l’on ne sait pas quelle est la force de leur contagiosité», détaillait Frédéric Bizard avant que l’on ait connaissance de cette étude du NHS.

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Car le moins que l’on puisse dire, c’est que les publications scientifiques sur le Covid-19 se suivent et ne se ressemblent pas. L’une d’entre elles, parue le 11 avril dans la revue des infectiologues américains (Clinical Infections Diseases), a conclu que les enfants transmettraient peu le Covid-19. Un résultat fort optimiste, mais qui se fonde sur l’examen d’un seul cas: un enfant de neuf ans contaminé en Haute-Savoie, qui n’a transmis le virus à personne, alors qu’il a fréquenté trois écoles. «Il est possible que les enfants, parce qu’ils ne présentent pas beaucoup de symptômes et qu’ils ont une charge virale faible, transmettent peu ce nouveau coronavirus», explique à l’AFP Kostas Danis, épidémiologiste à Santé publique France et auteur principal de cette étude.

«Dans cet univers d’incertitude scientifique, il faut prendre une hypothèse centrale. On ne connaît pas la durée et la force de l’immunité lorsque vous avez été porteur du virus, mais l’hypothèse centrale, c’est que vous êtes protégé. Aujourd’hui, vous n’avez pas d’étude qui vous permette d’affirmer que les enfants ne sont pas contagieux, peut-être qu’ils le sont moins. Mais on sait que si vous êtes dans une classe avec dix enfants porteurs du virus, vous avez une charge virale qui est importante ou en tout cas suffisamment importante pour que l’enseignant ait un choc viral important», martèle le président de l’Institut Santé.

Les motifs de santé publique ne sont pourtant pas les seuls invoqués contre le plan de Jean-Michel Blanquer. L’opposition et les syndicats sont également montés au créneau, voyant là une contradiction avec des structures recevant aussi du public (bars, restaurant, commerces) qui restent fermées. Il en va de même pour les transports en commun, où les gestes barrières et surtout la distanciation physique vont devoir être respectés. La question est de savoir comment.

Même le Conseil scientifique, sur lequel le Président de la République affirme s’appuyer dans toutes ses décisions, préconise une reprise en septembre. L’instance «a pris acte de la décision politique» dans un avis publié le 25 avril, dans lequel il liste les précautions à prendre pour le déconfinement, notamment le port du masque «systématique» pour tous.

«Des plans technocratiques»

Signe du flottement au sommet de l’État, l’annonce du ministre de l’Éducation nationale a même surpris Matignon, puisque selon Le Monde, il n’avait pas prévenu les collaborateurs du Premier ministre de ces mesures. Le directeur du cabinet d’Édouard Philippe a regretté les «déclarations hasardeuses» de Blanquer. Depuis, Matignon «verrouille et centralise la communication», indique Le Figaro. Qu’est-ce que ce cafouillage révèle? D’après Frédéric Bizard, le gouvernement s’est précipité dans ces annonces, puisque l’école fait partie des activités à haut risque Covid-19.

«C’est assez étonnant qu’au plus haut niveau de l’État, on sorte comme ça des plans, en plus des plans qui sont purement technocratiques, qui semblent bien sur le papier, mais qui ne sont pas applicables, avec des hauts fonctionnaires qui ne sortent pas vraiment de leur bureau et qui ne connaissent pas la vraie vie.»

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Lors de l’annonce de ses mesures, Jean-Michel Blanquer a essayé de construire une reprise progressive de l’école et de la vie active, «mais dans le fond, ça ne veut pas dire grand-chose», s’insurge Frédéric Bizard. Selon le président de l’Institut Santé, «sans évènement positif précoce», c’est-à-dire l’espoir avéré d’un remède parmi les molécules existantes ou le miracle de la création rapide d’un vaccin, la sortie de crise va être longue.

«On est plutôt sur: en 2021, on aura un vaccin et donc le temps que le produit soit administré, en 2022, retour à une situation quasi normale. Elle est là, l’hypothèse centrale. Donc il faut travailler sur un déconfinement pour une phase de transition de un à deux ans. Concernant les écoles, nous pensons qu’il faut définir des critères précis afin que toutes les communes de France et tous les ménages de France puissent se projeter dans l’après.»

L’Institut Santé a émis un plan de sortie de crise, qui préconise lui aussi une reprise des cours début mai, mais en minimisant le nombre d’élèves selon plusieurs critères, avec trois objectifs en tête: sanitaire, économique et social. Au niveau sanitaire, la solution serait de faire rentrer le moins d’élèves possible, en fonction de la situation de chacun. Tout d’abord, faire rentrer les élèves qui ont ou qui risquent le décrochage scolaire, lequel menace entre 5 et 7% des enfants en métropole et jusqu’à 20% en outre-mer, selon Jean-Michel Blanquer.

Une «deuxième vague, c’est tellement le scénario noir»

Ensuite, le côté économique a un grand rôle à jouer, «puisqu’une fois sans revenus, vous tombez dans la pauvreté et votre espérance de vie diminue», explique Frédéric Bizard. C’est pourquoi les enfants des familles monoparentales, qui ont besoin de retourner au travail et les enfants des parents qui n’ont pas la possibilité de télétravailler ou sans possibilité de garde doivent eux aussi être prioritaires.

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Et enfin le social, qui a son importance. Le chercheur prend notamment l’exemple des personnes âgées, pour qui le confinement a presque été rendu obligatoire. Une erreur selon Frédéric Bizard, «parce que si vous tuez la vie sociale d’une personne âgée, elle meurt. Donc il faut un équilibre qui est difficile à trouver.»

«La solution, c’est que le moins d’élèves possible retournent à l’école, parce que le risque d’une deuxième vague, c’est tellement le scénario noir qu’il faut absolument le prendre en considération.»

Un scénario catastrophe devenue réalité pour le Japon, qui après la fermeture de ses écoles le 2 mars, a décidé de les rouvrir partiellement le 6 avril. Une mesure qui a été prise sur fond de contestation du côté des parents comme des enseignants. Même les élèves les plus âgés ont demandé à ce que des masques et des gants –dont le pays manque pourtant bien moins qu’en France– soient fournis. Si une petite partie des établissements a finalement rouvert, pendant les jours qui ont suivi, les cas de contamination ont doublé, obligeant le gouvernement a instaurer l’état d’urgence et à fermer de nouveau les écoles dès le 13 avril.

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Rentrée scolaire

La situation de la France concernant le déconfinement reste donc encore floue et marquée par de nombreuses inconnues, à seulement deux semaines de la rentrée des classes des plus petits. Ce mardi 28 avril à 15h, Édouard Philippe doit présenter «une stratégie nationale du plan de déconfinement» devant l’Assemblée nationale sur six grands chapitres: rentrée scolaire, commerces, transports, retour au travail des adultes, politique sanitaire et rassemblements religieux ou culturels. Un discours très attendu par les Français. Cependant, Frédéric Bizard regrette la mauvaise préparation du gouvernement face aux nombreux défis que pose cette opération à risque:

«Un séminaire gouvernemental autour des mécanismes et des enjeux de la sortie du confinement aurait été utile. Et Jean-Michel Blanquer n’est pas le seul. Quand le ministre des Sports dit que le sport, ça ne sera pas dans les priorités, c’est ne pas connaître les enjeux. Ça montre que le pouvoir est dans les mains d’un seul, tout le monde attend la voix du maître, sauf que dans une crise comme ça, cela ne marche pas.»
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