«Justin Trudeau fait toutes les erreurs des dirigeants occidentaux en Afrique»

© REUTERS / BLAIR GABLEJustin Trudeau
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Justin Trudeau complète un voyage en Afrique pour courtiser le vote des pays africains en vue de l’obtention par le Canada d’un siège au Conseil de sécurité de l’Onu. Trop peu, trop tard? Dans tous les cas, pour les deux experts interrogés par Sputnik, le Canada commet une erreur stratégique en brillant par son absence sur ce continent d’avenir.

Le Premier ministre canadien s’est lancé dans une courte opération de séduction de l’Afrique. Après avoir séjourné en Éthiopie où il a rencontré son Premier ministre, Abiy Ahmed, Justin Trudeau se rendra cette semaine au Sénégal. Le 9 février dernier, à l’occasion du 33e sommet de l’Union africaine, Trudeau a aussi rencontré des chefs d’État africains parmi lesquels le Président du Nigeria, Muhammadu Buhari, et le Président de Madagascar, Andry Rajoelina.

​«Ces visites seront axées sur les opportunités et la prospérité économiques, les changements climatiques, la démocratie et l’égalité des sexes. Elles offriront l’occasion de renforcer nos relations», annonçait Justin Trudeau par communiqué.

Au-delà de ce discours officiel, le but du voyage est surtout de courtiser les pays africains en vue de la prochaine élection de deux sièges non permanents du Conseil de sécurité de l’Onu. Durant sa première campagne électorale de 2015, Trudeau avait promis aux Canadiens qu’il parviendrait à obtenir un siège au Conseil, gage à venir, selon lui, de la valeur de sa politique étrangère. Le Canada a occupé six fois un siège au Conseil de sécurité depuis les années 1940, mais son dernier mandat remonte déjà à 1999-2000.

​Pour Jocelyn Coulon, ex-conseiller du ministre canadien des Affaires étrangères Stéphane Dion (2016-2017), Justin Trudeau entreprend beaucoup trop tard ses démarches. M.Coulon publiera dans quelques semaines un livre sur le Conseil de sécurité de l’Onu.

«Sous les ex-Premiers ministres Brian Mulroney et Jean Chrétien, le Canada avait mené des campagnes du début à la fin. Ils étaient quotidiennement impliqués pour promouvoir la candidature du Canada au Conseil de sécurité. Trudeau a seulement commencé à se mobiliser à l’automne dernier en nommant à sa place deux envoyés spéciaux, l’ex-Premier ministre canadien Joe Clark et l’ex-Premier ministre québécois Jean Charest. C’était déjà mauvais signe», souligne M.Coulon à notre micro.

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Pour ce chercheur de l’université de Montréal, l’absence du Canada en Afrique explique l’accueil plutôt timide de ses dirigeants face à Justin Trudeau. Depuis le gouvernement conservateur de Stephen Harper (2006-2015), le Canada a plutôt choisi de concentrer ses efforts en Amérique latine et en Chine. Les ambassades du Canada en Amérique latine sont effectivement considérées comme très actives depuis cette période: elles s’emploient notamment à défendre les intérêts des minières canadiennes, selon certains experts.

«Justin Trudeau a au moins pu rencontrer une demi-douzaine de chefs d’État en Éthiopie. En revanche, il n’a pas été invité à prononcer un discours devant l’Union africaine, alors que les chefs d’État étrangers reçoivent habituellement une invitation. [...] Au temps de Stephen Harper, le Canada a décidé de se tourner vers l’Amérique latine et l’Asie, mais il s’agit d’un calcul à court terme qui ne se révélera pas très visionnaire», estime le chercheur.

Expert français en économie politique africaine, Loup Viallet relativise le désengagement du Canada en Afrique. Selon lui, le Canada demeure une petite puissance, autrement dit un pays privé des moyens d’une implication soutenue. Rédacteur du blog Questions africaines, il écrit régulièrement dans Les Échos, Mondafrique, Les Yeux du Monde et Conflits.

«L’Afrique n’a jamais été un partenaire majeur du Canada. [...] Toutefois, certaines puissances tentent d’acheter le vote des pays africains pour faire valoir leurs intérêts au sein des organisations internationales comme l’Onu. Il s’agit d’une sorte de marchandage. Le Canada n’a pas vraiment de poids réel à l’international. Trudeau ne cherche donc pas à régler des conflits, à régler le problème de la désertification et à s’intégrer au jeu géopolitique: il cherche à conforter son discours sur le monde», observe M.Viallet en entrevue avec Sputnik.

Pour Jocelyn Coulon, «en n’offrant rien de concret» à ce continent, le Canada renonce même au multilatéralisme, principe phare de la politique étrangère des Libéraux canadiens dans l’Histoire.

«Contrairement à l’Allemagne et la Russie qui ont fait de vrais efforts pour se rapprocher de l’Afrique, le Canada n’a que des beaux discours à lui offrir. Par exemple, la question de l’égalité des sexes ne relève pas du Conseil de sécurité... Le Conseil s’occupe des questions liées à la paix et la guerre. Le Canada ne doit pas s’étonner de ne pas peser dans la balance s’il n’envoie pas de soldats dans les opérations de paix de l’Onu», déplore-t-il.

Pour courtiser l’Éthiopie, Trudeau a suggéré qu’un accord d’investissement avec elle puisse éventuellement être mis sur la table. Cet accord prendrait notamment la forme de nouveaux investissements canadiens dans ce pays de la Corne de l’Afrique.

​Le Premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, est considéré comme l’un des dirigeants les plus influents en Afrique. En 2019, il a remporté le prix Nobel de la paix et figurait parmi les 100 personnalités les plus influentes au monde selon le Time Magazine. Malgré tout, Loup Viallet estime que l’opération séduction du Canada ne suffira pas à compenser son manque d’engagement concret:

«Justin Trudeau fait toutes les erreurs des dirigeants occidentaux en Afrique. Le Premier ministre canadien continue de voir les pays africains comme des États avec lesquels on peut marchander. [...] Le Premier ministre canadien ne cherche pas à développer une vraie relation économique et diplomatique avec l’Afrique. Ce continent est vu comme un comptoir. Justin Trudeau s’adresse à l’Afrique pour faire de la communication et servir son image», tranche Loup Viallet.

Le Canada parviendra-t-il à décrocher le siège convoité? Les chances sont minces pour ces deux experts.

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