Fatiha Boudjahlat: «l’islamophobie, c’est fait pour créer et coaliser la communauté musulmane»

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La manifestation contre l’islamophobie du 10 novembre a suscité de nombreuses controverses, tant dans la teneur de son appel que sur le déroulé de l’événement. Fatiha Boudjahlat, militante féministe et laïque, récuse au micro de Sputnik le discours véhiculé par les organisateurs de la mobilisation. Entretien.

Des militants scandant «Allahu Akbar», des étoiles jaunes portées par des enfants, autant dire que «la marche pour dire stop à l’islamophobie» qui s’est tenue dimanche 10 novembre dans les rues de Paris n’a pas été très consensuelle. La mobilisation, organisée par les militants Madjid Messaoudene, Taha Bouhafs et le Collectif contre l’islamophobie (CCIF) très polémique pour sa proximité avec les Frères musulmans, était pourtant soutenue par de nombreuses personnalités à gauche, de Jean-Luc Mélenchon aux écologistes, en passant par le NPA.

Sputnik a interrogé la militante féministe Fatiha Boudjahlat, enseignante en Histoire-Géographie à Toulouse et qui a publié cette année l’essai, Combattre le voilement (Éd. du Cerf). Celle qui a reçu cette année le prix spécial de la laïcité s’insurge contre «la gauche qui a trahi» et le processus de victimisation des musulmans.

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Tout avait commencé avec le discours offensif d’Éric Zemmour lors de la Convention de la droite, assimilant grosso modo l’islam au nazisme. L’affaire Julien Odoul en a remis une couche. Lors du Conseil régional de la région Bourgogne Franche-Comté, l’élu du Rassemblement national avait demandé à la présidente du Conseil régional de faire sortir de l'assemblée une femme voilée, qui accompagnait une sortie scolaire. De plus, l’attaque de la mosquée de Bayonne, le 28 octobre, faisant deux blessés, contribuait encore à hystériser médias, réseaux sociaux et politiques évoquant le terme, désormais entré dans le vocabulaire courant, d’islamophobie.

Être musulman en France

La publication d’un sondage de l’IFOP le 6 novembre commandé par la fondation Jean-Jaurès et la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH), en rajoute une dernière couche. Selon cette étude, 42% des musulmans en France vivant en France affirment avoir fait l’objet d’au moins une forme de discrimination liée à leur religion. Est-ce difficile d’être musulman en France?

«Non, ce n’est pas dur d’être musulman. On essaie de faire croire ça, parce qu’il faut qu’il y ait le feu pour que les gens commencent à penser en termes de musulmans et qu’ils combattent.»

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Fatiha Boudjahlat refuse le mot, estimant qu’il s’agit d’un piège islamiste visant à victimiser et à communautariser les musulmans.

«Il n’y a pas de race musulmane. Il n’y a pas d’ethnie musulmane […] Personne ne me fera taire. On dit souvent que l’islamophobie, c’est pour introduire le délit de blasphème. C’est pire. L’islamophobie, c’est fait pour créer et coaliser la communauté musulmane. En France, la communauté musulmane se vit au niveau individuel […] Il faut créer cette intolérance, cette panique, cette peur, cette angoisse pour que les gens ne disent plus je, mais moi musulman, on m’attaque.»

La gauche et la laïcité

La militante ne mâche pas ses mots envers les organisateurs qui ont maintenu la mobilisation du 10 novembre, entachée de polémiques sur la définition de l’islamophobie, du supposé «racisme d’État» et la remise en cause de «lois liberticides», c’est-à-dire la loi sur le port du voile en 2004 et celle sur le niqab en 2010. Autant de raisons qui ont par exemple poussé le PS a refuser de s’associer à l’événement. De plus, la présence initiale sur la liste des signataires de personnages peu fréquentables, à l’instar du sulfureux imam Nader Abou Anas, en aurait aussi découragé certains, comme Adrien Quatennens ou François Ruffin.

«Oser faire ça trois jours avant le 13 novembre, qui nous permet de nous rappeler qu’en France, la seule communauté qui est visée et massacrée, ce sont les juifs. Qu’en France la seule idéologie qui a massacré des gens, c’est l’islamisme. Et là on est en train de construire une figure de la victime.»

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Le discours vigoureux de Fatiha Boudjahlat lui attire souvent des ennuis, notamment sur Twitter où elle ferraille avec des féministes tendance «décoloniale», davantage soucieuses de «l’intersectionnalité des luttes». Sur le réseau social, elle se fait qualifier de «négresse de maison», de «harkiette» ou encore de «collabeurette». Pas avare non plus en invective et en sarcasme, elle a écopé une plainte de Rokhaya Diallo. Débarquée des mouvements laïques, Le Printemps républicain, dirigé notamment par l’universitaire Laurent Bouvet, et de Vivre la République, Fatiha Boudjahlat fraie désormais avec la formation politique de Djorde Kuzmanovic, République Souveraine. L’ancienne secrétaire nationale à l’Éducation du MRC (Mouvement républicain et citoyen), fondé par Jean-Pierre Chevènement, dénonce les trahisons successives de la gauche ainsi que l’hypocrisie de la droite et du manque «d’intelligence et de finesse» du Rassemblement national. Elle évoque la gauche Terra Nova, du nom de ce rapport explicitant la stratégie des socialistes délaissant les classes populaires pour favoriser les minorités.  

«La gauche a trahi […] Comme elle ne peut plus lutter contre les inégalités sociales, ce cher François Hollande, qui a tout accepté de l’austérité aux Grecs, qui a tout accepté de l’austérité de l’Union européenne, ils ne peuvent plus lutter contre les inégalités sociales. Il leur faut de nouveaux combats.»

La question du voile

Elle-même est musulmane, plusieurs de ses frères et sa mère le sont aussi. Pour elle, le voile est synonyme d’orthodoxie religieuse, elle en veut pour preuve sa mère qui le porte après un voyage à La Mecque. Mais elle ne le porte pas pour autant, estimant qu’il signifie que «la femme est un organe génital total» s’inscrivant dans une logique patriarcale: «la femme doit être vierge, la femme doit être discrète et la femme doit être pudique. Une femme qui se respecte, c’est donc la femme voilée». Elle estime qu’il faut distinguer la spiritualité de ce que l’on doit à l’époque, sans pour autant adapter l’islam à la République. Pourfendant le multiculturalisme, Fatiha Boudjahlat vante enfin les mérites de l’intégration républicaine et de la laïcité à la française:

«La laïcité, ce n’est pas du libéralisme politique. C’est justement le fait de dire en France, ce n’est pas le MacDo. Ce n’est pas “Venez comme vous êtes” ou “venez comme on dit que vous êtes”. C’est “je construis mon identité de citoyen et je pense à l’intérêt général”. Et l’intérêt général, ce n’est pas que ceux qui me ressemblent. C’est tout le monde.»
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