Le mensonge du recyclage des déchets en Espagne

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L'Espagne occupe la 6e place en Europe en matière de déchets recyclés. Le taux de recyclage atteint 78,8%, ce qui signifie que le pays a déjà dépassé les objectifs fixés par l'UE pour 2025. Mais ces infos concernent uniquement les déchets jetés par les citoyens dans le conteneur jaune.

Le chercheur Victor Vescovo ne soupçonnait pas ce qu'il retrouvera au fond de la fosse des Mariannes dans l'océan Pacifique. Il n'y avait pas de vestiges millénaires ou de signes de vie extraterrestre… Au lieu de cela il a trouvé un sachet plastique et un emballage de bonbons. Et ce à une profondeur de 10.927 mètres à l'endroit le plus profond et mystérieux de la planète.

D'après la Banque mondiale, chaque année les villes du monde entiers produisent plus de deux milliards de tonnes de déchets durs, et d'ici 2050 leur quantité augmentera de 70%. Ce problème englobe le monde entier, mais il est probablement possible de le régler au niveau local.

La solution devrait résider dans la législation européenne, mais...

Chaque pays gère à sa manière le recyclage des déchets et du plastique, et en ce sens l'Europe est un modèle. Il est possible de citer en exemple les démarches les plus résolues entreprises actuellement par la Commission européenne. Bruxelles a l'intention de mettre un terme à la culture de l'usage unique sur le Vieux Continent. Conformément à la nouvelle loi, d'ici 2030, 90% de toutes les bouteilles en plastique seront sélectivement récoltées et recyclées. Il existe également d'autres mesures progressistes.

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Déchets

Cependant, dans le cas des pays tels que l'Espagne il existe de sérieux doutes quant à la réalisation de changements aussi radicaux. Le système recyclage des déchets ne rassure pas les protecteurs de l'environnement, les compagnies et les représentants du pouvoir. Le recyclage de pratiquement tous les déchets des villes en Espagne est pris en charge par l'organisation à but non lucratif Ecoembes.

Ecoembes: juge et partie à la fois

A première vue, cette organisation à but non lucratif est un garant du développement durable et du recyclage des déchets: «Ecoembes regroupe les citoyens, les conseils municipaux et les compagnies pour assumer ensemble la responsabilité et avancer vers l'objectif commun – respecter l'environnement en réduisant au minimum l'impact des déchets.» C'est précisément ce qui a été écrit dans la présentation du projet qu'il a fallu consulter, parce que depuis plusieurs semaines la direction de la compagnie refuse d'accorder une interview.

© Photo Greenpeace murcia Ecoembes
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Ecoembes

Dans l'activité de la compagnie Ecoembes il convient de noter avant tout une campagne active pour informer et montrer son travail. Selon ses informations, en 2018, les Espagnols ont commencé à jeter dans les conteneurs jaunes, prévus pour les déchets recyclés, 12,3% de plus de déchets qu'en 2017. Ainsi, l'Espagne se retrouve sixième en Europe en termes de déchets recyclés.

Ecoembes affirme que l'indice de recyclage dans le pays atteint 78,8%, ce qui signifie que l'Espagne a rempli et même dépassé les objectifs ambitieux fixés par l'UE d'ici 2025. C'est un exploit indéniable. Mais le fait est que cette interprétation des données actuelles n'est confirmée que par la compagnie Ecoembes.

La guerre des chiffres

Les informations sur le recyclage n'ont aucun sens: dans certains cas ils varient de 80%, chez Ecoembes, à un peu plus de 20% chez d'autres organisations. Est-ce des calculs visent à obtenir un bénéfice ou un simple mensonge? Il faut tenir compte du fait qu'il existe des chiffres divers et variés qui servent à évaluer le recyclage des déchets s'il existe des différences les déchets ramassés et les déchets qui ont été réutilisés ou recyclés. En jouant avec ces données il est possible de déformer non seulement les chiffres, mais également la réalité.

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Dans ce jeu avec les chiffres Ecoembes prend en compte seulement les tonnes de déchets ramassés dans 383.974 conteneurs jaunes constituant la base du Système complexe de gestion des déchets. Mais que ce passe-t-il dans les régions du pays où ne sont pas installés les conteneurs jaunes avec des bouteilles jetées par votre voisine dans une poubelle ordinaire ou des canettes de bière jetées par terre, au lieu des conteneurs jaunes? Tous ces déchets ne sont pas pris en compte par la compagnie, or ils sont nombreux. Selon les estimations de différentes autorités municipales, seulement 1 emballage sur 3, bouteilles ou canettes se retrouvent finalement dans le conteneur jaune, tandis que Ecoembes se réfère seulement à un tiers des déchets qui sont effectivement jetés dans le bon conteneur.

C'est pourquoi nous avons cherché et trouvé d'autres informations différentes de celles fournies par Ecoembes. Elles indiquent que l'Espagne recycle peu de déchets, et le fait mal. D'après les organisations comme les Ecologistes en action et Greenpeace, le taux de recyclage est bien plus bas. En 2017, par exemple, la compagnie Ecoembes se vantait d'un taux de 77,1%, tandis que Greenpeace a apporté d'autres chiffres – 25,4%. Selon l'association européenne pour le recyclage du plastique, représentée en Espagne par la compagnie Cicloplast, parmi tous les déchets jetés dans les conteneurs jaunes en 2017 (et non sur tout le plastique) seulement 37% ont été recyclés. Ce qui n'est même pas la moitié du chiffre avancé par Ecoembes. Le fait est que les données de cette compagnie sont utilisées sans vérification spéciale par les organes publics espagnols.

«Le modèle de la compagnie Ecoembes est peut-être bon, mais il possède un défaut. Il n'est aucunement contrôlé, son activité n'est pas surveillée, tout comme l'efficacité du recyclage, ainsi que la dépense des fonds annuels conséquents alloués», déclare José Luis Canga, représentant de l'Institut supérieur de l'environnement.

Un système basé sur le revenu et la coopération avec les grandes compagnies

Il s'agit d'un recyclage des déchets selon le Système complexe de gestion des déchets qui, avec le soutien de la compagne Ecoembes et avec l'accord des organes publics, recycle le plastique: des compagnies-productrices la responsabilité est rejetée sur les citoyens qui achètent le produit et doivent le jeter dans un conteneur jaune. Puis la responsabilité retombe sur les autorités municipales, qui doivent ramasser les déchets de ces conteneurs et les envoyer dans les usines de tri. Ensuite, Ecoembes vend une partie des déchets aux compagnies de recyclage privées. Devinez qui se cache derrière ce système?

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Déchets plastiques en Andalousie

Un appareil entrepreneurial géant: Ecoembes fait participer au système de recyclage plus de 12.000 compagnies, dont 60 sont ses propres actionnaires. La majeure partie concerne ce qu'on appelle les «producteurs d'emballage», comme Danone, Nestlé, L’Oréal, Procter & Gamble ou Henkel… A ces géants se joignent également les compagnies PepsiCo et Coca-Cola, les hypermarchés comme Carrefour, Alcampo, Mercadona ou El Corte Inglés et, enfin, les compagnies des manières premières et les associations de transformation des matières premières.

Le monopole de telles corporations sur le recyclage suscite des débats, car les producteurs et les entreprises de vente au gros doivent eux-mêmes recycler leurs déchets. Pendant la préparation de ce reportage l'expression qui revenait le plus souvent était: «En Espagne c'est le loup qui s'occupe du poulailler.»

Les citoyens paient deux fois

La question à se poser est la suivante: comment une telle organisation comme Ecoembes s'est assurée la domination dans un secteur ayant une signification prioritaire au niveau social, économique et environnemental? La réponse se cache en principe dans la «responsabilité élargie du producteur» inscrite à la législation espagnole en 1996. En fait, conformément à ce principe, ceux qui sont à l'origine des différents emballages, bouteilles et canettes sur le marché, c'est-à-dire les producteurs ou les compagnies de gros, doivent prendre en charge les frais pour leur futur recyclage.

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C'est pourquoi la compagnie Ecoembes a fait son apparition en Espagne en 1997. De nombreuses compagnies et corporations se sont unies pour réagir à la loi sur les emballages. Le Système complexe de gestion des déchets est une réponse des entreprises, pas des citoyens.

D'un côté, si le produit comporte «la marque verte», une partie de la somme versée par le consommateur sera l'argent qui sera utilisé pour recycler l'emballage de ce produit. Mais les consommateurs paient le double prix parce que, d'une part, ils paient des impôts au conseil municipal en charge du ramassage des déchets des conteneurs jaunes pour les envoyer au recyclage dans le Système complexe de gestion des déchets (or le consommateur l'a déjà payé en achetant le produit). Enfin, la compagnie Ecoembes fait payer aux entreprises de recyclage pour la vente des déchets déjà triés.

«C'est une compagnie qui, malgré ses efforts de montrer qu'elle se bat pour l'environnement sans chercher à faire profit, tout simplement contourne habilement la loi, déclare le responsable de Greenpeace Julio Barea. Ces compagnies ont calculé et ont choisi le système le plus opaque: le Système complexe de gestion des déchets. Grâce à «la marque verte» Ecoembes récupère déjà près de 1,2 milliard d'euros par an.»

Les matériaux non rentables est un autre signe du fait que le Système complexe de gestion des déchets possède ses défauts.

«Avec un tel système de recyclage des déchets il s'avère qu'il existe des matériaux dont le recyclage est bénéfique, mais d'autres entraînent des pertes. Il faut savoir qu'il est nécessaire de payer pour le recyclage, par conséquent il doit rapporter des revenus», explique le patron d'Aborgase, l'un des plus grands centres de recyclage au Sud de l'Espagne, Agustin Martinez.
© Photo Aborgase/ AndalucíaDéchets plastiques en Andalousie
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Déchets plastiques en Andalousie

Son usine reçoit tous les jours les déchets jetés par 1,3 million d'habitants de l'Andalousie. On y retrouve des matériaux coûteux, comme des canettes compressées ou des bouteilles de détergents. Cependant, d'autres matériaux comme le plastique alimentaire ou les déchets mixtes ne rapportent rien aux compagnies de recyclage. D'où la question: qui veille à ce que ces matériaux qui ne rapportent pas de revenus soient effectivement recyclés? Comment s'assurer que les déchets non rentables ne sont pas brûlés, enterrés ou exportés par bateau, comme cela était pratiqué ces dernières années jusqu'à ce que les pays asiatiques ne s'insurgent?

La réponse est toujours la même: c'est Ecoembes qui veille.

«Malheureusement, de nombreux matériaux ne se retrouvent pas dans le cycle de recyclage. Ce système est complètement insensé. La plupart des emballages et conteneurs renvoyés de Malaisie contiennent des matériaux non rentables, or personne ne les recycle… De cette manière, le conteneur jaune dans lequel les Espagnols jettent tous les emballages ressemble davantage à une boîte noire. Dès que les déchets s'y retrouvent, la responsabilité pour leur recyclage passe d'une compagnie à l'autre. Sachant qu'il n'existe pas sur le marché de recyclage des déchets de compagnie de surveillance qui en assurerait le contrôle.»

Le développement durable volé

La question est de savoir pourquoi le monde entier a été frappé par la vague de prise de conscience de l'importance d'une activité écologiquement efficace, mais l'Espagne ne s'est pas dotée d'un autre système de recyclage? Greenpeace estime que c'est dû à la pression de la compagnie Ecoembes.

«Elle investit dans la publicité, joue le rôle de sponsor, ouvre des chaires d'études et ainsi de suite… C'est un moyen d'exercer la pression. Elle dépense 2,5 millions par moi, un chiffre vérifié, pour ce camouflage vert (greenwashing). De cette manière ils trompent les compagnies et les citoyens. Il s'agit d'un immense monopole qui recevait des bénéfices pendant des années et qui ne remplissait même pas sa fonction principale – recyclage des déchets. En même temps, elle dépense de l'argent pour se faire passer pour une compagnie qui soutient le développement durable.»

Et qu'en disent les autorités? En général, le gouvernement espagnol fournissait volontiers les statistiques du recyclage des déchets, mais à présent, heureusement pour les écologistes, le ministère de la Transition écologique a décidé de vérifier le système en place. On nous explique que si la situation politique le permettait, la nouvelle stratégie de recyclage des déchets correspondrait au projet de l'UE. Ainsi serait créée une économie en circuit fermé et un plan spécial pour le recyclage du plastique incluant les systèmes de ramassage, de recyclage et de réutilisation des déchets, et qui serait différent des méthodes d'Ecoembes.

Le nouveau conflit politique: le Système complexe de gestion des déchets contre le ramassage, le recyclage et la réutilisation

Le système de ramassage, de recyclage et de réutilisation des déchets implique que le citoyen ou le consommateur lui-même place les déchets dans un appareil spécial moyennant une certaine somme. Il s'agit d'un système alternatif qui nécessitera d'immenses investissements pour l'acquisition de nouveaux équipements. Un tel système est soutenu par les protecteurs de l'environnement, qui notent que c'est un moyen très simple pour rendre le recyclage plus transparent.

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Le choix entre le Système complexe de gestion des déchets et le ramassage, le recyclage et la réutilisation des déchets (utilisé avec succès en Allemagne et dans les pays scandinaves) était politisé, comme bien d'autres thèmes en Espagne. Les libéraux sont favorables au système actuel d'Ecoembes, alors que la gauche prône l'alternative. Une véritable guerre est en cours entre les partisans des deux systèmes de recyclage, et des millions d'euros sont en jeu. Par exemple, des politiques qui ont cherché à mettre en place le système alternatif de recyclage des déchets commencent à perdre leur poste.

En essayant de trouver une évaluation impartiale de la situation nous sommes tombés sur le «Laboratoire des idées pour la gestion des déchets» qui cite en exemple le Portugal: «Les deux systèmes y coexistent. C'est admissible et intéressant du point de vue de la compétitivité… » Mais l'apparition d'un système de recyclage alternatif en Espagne le système actuel d'Ecoembes perdrait de grandes quantités de matériaux rentables, très importants pour un business qui soutient la stabilité depuis des années.

Un changement de paradigme affectant tout le monde

Ce business gère des millions et détermine notre réaction aux problèmes environnementaux les plus urgents, et cela doit nous faire réfléchir à notre modèle de production et de consommation. Selon le «Laboratoire des idées pour la gestion des déchets», «les améliorations globales du système doivent commencer par le fait quand le secteur principal assumera la responsabilité et les dépenses factuelles pour le recyclage des déchets et la transformation de l'ensemble du processus de recyclage quel qu'il soit».

Il sera difficile pour l'Espagne de remplir les exigences de la Commission européenne, car elle n'a même pas commencé à analyser les statistiques vérifiées en question qui vont à l'encontre des informations fournies par le patron actuel du recyclage – Ecoembes. De plus, il sera impossible de développer une activité écologique efficace sans faire appel aux autorités et au secteur privé. La plus grande pression est exercée aujourd'hui sur les citoyens ordinaires qui croient que leurs déchets seront recyclés et continuent donc de consommer sans préjugés.

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