Prostitution et esclavage sexuel, «au Canada, Montréal est la Bangkok de l’Est»

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Le Canada, ce paisible pays, plaque tournante de la prostitution? Plusieurs experts tirent la sonnette d’alarme sur cette réalité. Pour Maria Mourani, criminologue réputée, le Canada est loin de faire bonne figure en la matière. Selon elle, au moins 80% des prostituées au pays débutent alors qu’elles sont encore mineures. Entrevue.

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Le 4 novembre dernier s’ouvrait au Québec une importante commission parlementaire dont le but est «d’établir un portrait de l’exploitation sexuelle des mineurs au Québec, y compris les conséquences sur le passage à la vie adulte». Criminologue et ex-députée au Parlement fédéral (2006-2015), Maria Mourani se réjouit de la tenue de cette commission, à laquelle elle participe comme expert.

«L’exploitation sexuelle au Canada est loin d’être un nouveau phénomène. Mais tant mieux si cette commission fait en sorte que nous recommencions à en parler. Nous avons banalisé, voire normalisé le discours sur la prostitution dans les pays occidentaux. Même certaines féministes ont contribué à cette banalisation. C’est un milieu extrêmement violent et inimaginable dans un pays comme le Canada», a-t-elle d’abord réagi au micro de Sputnik.

Un phénomène qui n’est pas nouveau, mais surtout qui n’a pas diminué ces dernières années. Maria Mourani rappelle qu’au moins 11% des hommes canadiens font appel plus ou moins régulièrement aux services d’une prostituée, majeure ou mineure.

«On estime à 40% le nombre de prostituées mineures au Canada. Il faut toutefois noter une chose importante: les données que nous avons sont partielles. Nous ne parlons que des victimes détectées et non des victimes réelles. Il y a donc beaucoup plus de victimes que les chiffres ne le prétendent», a expliqué la criminologue.

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Quels sont les principaux facteurs qui encouragent le développement d’un tel marché illicite? Maria Mourani évoque d’abord le tourisme et les grands événements comme les spectacles et les congrès. Les villes canadiennes reconnues pour leur dynamisme sont les premières à voir se développer d’importants réseaux de proxénètes.

«Si on compare le Canada avec des pays qui ont le même statut juridique, on s’aperçoit qu’il s’agit d’un important pays de recrutement de tourisme sexuel et de transit des femmes vers les États-Unis. C’est assez majeur. [...] Vancouver, Toronto, Montréal et Québec sont des villes reconnues pour abriter des réseaux de prostituteurs. À l’échelle canadienne, les provinces du Québec, de l’Ontario et de Colombie-Britannique sont des plaques tournantes. Au Canada, Montréal est la Bangkok de l’Est», observe-t-elle. 

Réunissant tous les partis de l’Assemblée nationale, la commission sera chargée de formuler des recommandations visant à enrayer l’exploitation sexuelle sur le territoire québécois. Pour ce faire, la commission doit tout de même se pencher sur l’exploitation sexuelle dans les autres provinces, car les proxénètes obligent souvent les femmes sous leur contrôle à aller se prostituer partout dans le pays. Les femmes francophones seraient d’ailleurs particulièrement appréciées de la clientèle anglophone.

«Les filles sont appelées à se déplacer au gré de l’offre et la demande. Dans les villes où il y a beaucoup d’effervescence touristique, il y a des filles qui sont restées sur place, mais aussi des filles qui viennent d’autres villes et provinces. [...] De la même manière que les Québécois des régions vont apprécier les femmes noires et asiatiques, les Canadiens anglais vont aimer les femmes francophones. La prostitution est aussi un système qui fait appel à un imaginaire raciste», s’est indignée Mme Mourani.

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Intervenant régulièrement dans les médias, Maria Mourani n’hésite jamais à parler d’esclavage sexuel. Selon elle, loin d’être exagéré, ce concept décrit très bien la situation, surtout lorsque ce sont des filles mineures qui sont exploitées. Au Canada, au moins 80% des prostituées ont commencé avant d’avoir atteint leur majorité. La criminologue estime toutefois que ce chiffre pourrait atteindre les 95% si l’on tenait compte des cas non recensés par les experts et autorités.

«Le concept d’esclavage sexuel est maintenant celui que l’on emploie pour parler de la traite des personnes à des fins d’exploitation sexuelle. C’est la nouvelle forme d’esclavage [...] Les filles ne sont pas traitées comme des princesses.... Les victimes n’ont aucun droit: elles sont traitées comme des esclaves sexuelles. Les sévices sont incroyables. On parle de séquestration, de viols collectifs, de cas de torture, etc. Les proxénètes sont très imaginatifs pour instaurer la terreur», déplore-t-elle.

Que faire alors pour enrayer le phénomène? Maria Mourani considère que les autorités doivent davantage viser les clients. Au Canada, s’il n’est pas illégal d’offrir ses propres services sexuels, il est tout de même interdit d’en acheter. Les clients qui se font pincer par la police s’en sortent souvent sans conséquence grave.

«Il faut s’attaquer aux clients, en particulier à ceux qui demandent des mineurs. Ces clients sont des pédophiles qui agressent des enfants et adolescents par le biais de la prostitution. Au lieu de simplement porter des accusations pour achat de services sexuels, il faudrait aussi les inculper pour agression sexuelle sur personne mineure. C’est ce que je vais proposer à la commission», a conclu Maria Mourani.
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