Gram et Libra, tensions autour des nouvelles cryptomonnaies

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Profitant de la crise de 2008, les cryptomonnaies ont bénéficié de la défiance de nombreux particuliers pour les devises officielles, comme l’a attesté leur croissance exponentielle. Leur ambition préoccupe les autorités nationales cherchant à conserver leur prérogative régalienne de battre monnaie: retour sur les cas de Gram et Libra.

L’usage des cryptomonnaies –appelées aussi cryptodevises en certains salons bien éduqués– profite à de nombreux adeptes désireux d’échapper à l’emprise des banques de détail et d’investissement de leur pays.

Ces monnaies digitales présentent, en règle générale, plusieurs avantages incitant à franchir le pas: sécurisation des transactions (au travers du processus de la blockchain), accessibilité aisée (un appareil doté d’une connexion Internet), aucun frais caché (pas de facturation relative à la tenue de compte ou d’abonnement à un service), envolée du cours des cryptomonnaies (rendement exponentiel, mais à haut risque), indépendance vis-à-vis de tout établissement bancaire.

Il est par ailleurs évident que des individus rompus à la criminalité en col blanc ont rapidement saisi l’usage détourné qu’ils pouvaient faire de certaines cryptomonnaies. Ils les ont notamment exploitées pour procéder à du blanchiment d’argent (d’où l’avertissement lancé en juin 2019 par le groupe d’action financière, le GAFI) et des rançonnages (ce fut l’épisode des rançongiciels tels Petya et WannaCry). Il n’en demeure pas moins que le développement des cryptomonnaies s’est étendu, malgré les mises en garde des autorités nationales, politiques et financières, et qu’elles s’emploient à gommer les aspects spéculatifs comme les failles de sécurité freinant encore leur essor pour le plus grand nombre. 

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Comme nous le rappelions dans un précédent article, le géant américain Facebook, cherchant toujours des relais de croissance (comme dans le secteur de la réalité virtuelle avec le rachat de l’Oculus Rift), souhaite se lancer dans le secteur: ce sera le Libra, prévu pour le premier semestre 2020. Afin de s’assurer qu’il s’agira d’une cryptomonnaie solide et pérenne, débarrassée de son aspect par trop volatil, le réseau social a monté un consortium, destiné également à asseoir la crédibilité du projet, tant dans ses aspects financiers que techniques.

Un projet qui inquiète à telle enseigne que Bruno Le Maire, ministre des Finances, déclara le 18 octobre 2019 s’être entretenu avec ses homologues allemand et italien afin de bloquer toute transaction de la Libra sur le sol européen. En ligne de mire, une conséquence effectivement envisageable: la perte de souveraineté monétaire (encore que l’Euro peut justement prêter à discussion sur ce point, puisqu’il s’agit d’une monnaie unique dont les attributs ne dépendent pas des États). En vérité, au-delà de cette crainte, c’est la capacité pour la Libra d’influencer les cours en fonction de son panier de devises qui attise les plus vives inquiétudes. On peut par ailleurs conjecturer que les départs fracassants de Visa et MasterCard, associés fondateurs du projet Libra, seraient liés à des pressions au sommet de l’État américain.

Le cas de Gram participe aussi à la prise de conscience des États de la dangerosité pour leur souveraineté de l’émergence des cryptomonnaies. Fort de son expérience dans le domaine de la messagerie chiffrée Telegram, employé aussi en Russie comme réseau social, ses créateurs ont annoncé travailler sur le lancement d’une cryptomonnaie basée sur le TON (Telegram Open Network). Le Gram, cette cryptomonnaie de troisième génération entend améliorer la rapidité des échanges (le point faible des cryptomonnaies), tout en renforçant la sécurité des transactions. Au fil de l’avancée du projet, Pavel et Nikolaï Durov ont vu se dresser devant eux la puissante Securities and Exchange Commission, le gendarme américain de la bourse. Cette dernière leur a interdit l’accès du territoire aux jetons digitaux Grams, au nom de la défense des investisseurs nationaux.

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Les cryptomonnaies sont en effet diversement appréciées par les États: cela va de l’indifférence au rejet, en passant par les échanges en zone grise, qui n’excluent d’ailleurs pas le réalisme fiscal en imposant une taxation des transactions. Si le Bitcoin a défrayé la chronique en raison de sa fulgurante bulle de décembre 2017, s’échangeant unitairement à 17.500$ alors qu’il en valait 280$ en janvier 2015, il est désormais dépassé technologiquement par de nouvelles générations de devises numériques qui contournent ou annihilent les contraintes de la première.

Leur avènement oblige désormais les États à se positionner plus concrètement sur le phénomène, d’autant que ces flux de ressources financières (virtuelles) sont autant de richesses qui échappent aux services fiscaux. Et comme nombre d’États sont impécunieux parfois pour des raisons conjoncturelles, mais souvent structurelles, ils prennent conscience que la défiance de leurs administrés envers les institutions financières va les priver d’un matelas pour amortir le choc de la future crise économique. En effet, après 2008 et ses répliques sismiques, le système bancaire décrié a été sauvé grâce aux deniers publics (exemple du sauvetage de Dexia à hauteur de 6 milliards d’euros) et à l’épargne privée (exemple du bail-in mis en place à Chypre), au détriment de l’activité économique productive et du capital accumulé.

L’essor des cryptomonnaies doit être apprécié sur un plan technique, mais aussi au regard d’une situation récente qui a conduit nombre d’individus à se détourner des acteurs bancaires traditionnels tout en se soustrayant à la prédation étatique pour envisager d’autres perspectives de placement et d’investissement, ce qui alimente par ailleurs une activité spéculative autour de ces devises électroniques. Libra et Gram, avec leurs objectifs propres, sont la résultante de ce processus, qui ne devrait pas faiblir, ce dont le succès des levées de fond et les partenariats, comme des réactions à leur égard, sont la meilleure démonstration.

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