Kosovo: l’héritage empoisonné des Clinton laissé aux Européens

© AFP 2023 ARMEND NIMANIPristina
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Plaque tournante de tous les trafics sur le continent, le Kosovo est toujours une poudrière, 20 ans après l’intervention de l’Otan. Peu avant la convocation de son Premier ministre devant le tribunal international devant juger d’ex-chefs de guerre de l’UÇK, Sputnik évoquait les perspectives de paix entre Pristina et Belgrade avec Xavier Moreau.

Pour la deuxième fois de sa carrière politique, Ramush Haradinaj, ancien commandant de l’UÇK (Ushtria Çlirimtare e Kosovës, ou «Armée de libération du Kosovo», la guérilla albanaise au Kosovo), a démissionné le 19 juillet de ses fonctions de Premier ministre après une nouvelle convocation devant un tribunal à La Haye.

Un tribunal spécial pour le Kosovo, financé par le contribuable européen, qui s’est donné pour mission de poursuivre les anciens guérilleros kosovars suspectés de crimes de guerre durant et après le conflit d’indépendance (1998-1999). Une mission à laquelle n’était pas parvenu le Tribunal Pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), sous l’égide de l’Onu.

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Ce nouvel épisode politico-judiciaire pourrait-il, en cas de condamnation d’ex-chefs de guerre albanais, endiguer la montée des tensions entre les peuples et les États des Balkans? En effet, tous justes 20 ans après l’arrêt des frappes de l’OTAN qui pousseront l’armée serbe à se retirer de sa province du sud, les tensions sont plus que jamais exacerbées entre Belgrade et Pristina, tant et si bien que les Présidents serbe et kosovar, envisagent une nouvelle scission ethnico-territoriale.

Un échange territorial qui rappelle que des populations d’origines et de confessions différentes, qui vivaient encore côte à côte, partageaient les mêmes villes et villages dans les années 80, vivent aujourd’hui drastiquement séparées les unes et des autres. Au Kosovo, les enclaves où vivent les derniers Serbes sont d’ailleurs régulièrement la cible de provocations des autorités et d’actes de violence d’Albanais, visant toujours à l’épuration des populations non albanophones de cette province qu’ils ont prise à la Serbie. Une province qui est toujours serbe, selon la résolution 1244 des Nations unies.

«On a créé de toutes pièces le conflit au Kosovo et aujourd’hui on ne sait pas quoi en faire. On a créé un État mafieux, absolument non viable économiquement, non viable politiquement, en plein cœur de l’Europe et personne ne sait comment le résoudre», déplore Xavier Moreau au micro de Sputnik.

Des tensions sur lesquelles nous revenions –avant la démission de Ramush Haradinaj– avec Xavier Moreau, fondateur du Centre d’analyse politico-stratégique Stratepol. Spécialiste sur les relations soviéto-yougoslaves pendant la guerre froide, installé Russie depuis plus de quinze ans.

«Il y a une réalité politico-économique, le Kosovo ne peut pas exister en tant qu’entité indépendante. Soit il sera rattaché à l’Albanie, soit il sera rattaché à la Serbie. Il n’a pas les ressources économiques pour pouvoir survivre», souligne Xavier Moreau.

En tout, pas moins de 35 États à travers le monde, dont la Chine et la Russie, l’Ukraine, le Brésil ou encore l’Inde ne reconnaissent pas le Kosovo. Une situation qui ne s’arrange pas pour Pristina, car depuis octobre 2017, treize autres États sont revenus sur leur décision de reconnaître l’indépendance du Kosovo, la jugeant ainsi illégale. Une situation inédite dans l’histoire des Nations unies.

Parmi ces États refusant de reconnaître le Kosovo, l’Espagne, la Grèce, la Roumanie, Chypre et la Slovaquie. Une situation embarrassante pour Bruxelles qui, depuis 2008, envisage d’intégrer à terme le Kosovo comme État membre à part entière. Autre prérequis à cette hypothétique adhésion à l’UE: la normalisation des relations entre Pristina et Belgrade. Problème, les tensions tant diplomatiques qu’interethniques n’ont jamais été aussi vives dans la région depuis la guerre, d’où certainement cette volonté de juger enfin les criminels de guerre kosovars qui, jusqu’à présent, ont été largement épargnés par la justice occidentale.

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Une situation qui a nourri tant les ressentiments en Serbie vis-à-vis de l’Occident, qu’un sentiment d’impunité au Kosovo. Un double standard qui non seulement a empêché tout apaisement et perspective de paix, mais a même fini par encourager les responsables politiques kosovars à faire du chantage à l’Union européenne, comme le relate le centre moscovite du think tank américain Carnegie. Résultat: des responsables kosovars au discours puissamment nationaliste, face auxquels les Occidentaux se sont trop longtemps effacés, soucieux de préserver «leur image internationale de victimes de Milosevic».

Dans un article publié par le Figaro à l’occasion du 10e anniversaire de la déclaration d’indépendance de la province, le rédacteur en chef du Courrier des Balkans et auteur de Le piège du Kosovo, Jean-Arnault Dérens, dénonçait ainsi la «lâcheté du camp occidental» face à d’anciens chefs de guerre qui ont eu tout le temps de s’établir aux commandes du pays.

Les Serbes n’ayant pas fui leur ancienne province au lendemain du cessez-le-feu lesquels doivent aujourd’hui composer avec ces responsables politiques kosovars, qui hier prenaient les armes contre Belgrade pour faire du Kosovo une terre d’Albanais. Minoritaires, les Serbes du Kosovo vivent dans des enclaves, au sein de communes dirigées par d’anciens membres de l’UÇK, qui les ont privés de leur langue et relégués au rang de citoyens de seconde zone.

Des populations qui vivent sous la menace, comme le relatait à Marianne le père Sava, prêtre d’une église byzantine construite au XIVe siècle et aujourd’hui située au beau milieu du fief du sulfureux Ramush Haradinaj. Toujours protégée par la KFOR, l’église fut la cible de tirs de mortier, de RPG, ou encore de tags tels que «ISIS, califat is coming» énumère cet homme de foi, chez qui le souvenir des émeutes antiserbes de 2004, où en deux jours, trente-cinq églises furent incendiées en 48 heures, reste vif.

«Ces populations-là sont à la merci de ces gouvernements mafieux. Même une partie des Albanais, qui ne vivaient pas si mal du temps de Milosevic, sont à la merci de ce régime. Il n’y a rien à faire au Kosovo, à part trafiquer», se désole le fondateur de Startpol.

Ce dernier se dit «particulièrement inquiet» pour les Serbes vivant dans l’enclave de Štrpce, tout au sud, à la limite entre la région du Kosovo et la République de Macédoine. «Le jour où les Albanais décideront de les massacrer, personne ne les protégera», craint-il, dressant un parallèle avec les enclaves au nord du Kosovo, proches des territoires sous contrôle de Belgrade.

Notre intervenant rappelle ainsi que les albanophones, une fois maîtres de la province, s’en sont pris à toutes les minorités et pas uniquement aux Serbes et aux Roms: «mêmes les Bosno-musulmans vivent sous la menace des Albanais qui veulent les forcer à parler albanais. […] y compris les Albanais catholiques, qui vivent sous la pression des Albanais musulmans.»

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Des méthodes qui rappellent justement celles qui aujourd’hui sont reprochées aux anciens chefs de guerre de l’UÇK, reconvertis dans la politique. Une épuration ethnique aux motivations pas seulement nationalistes, mais également mafieuses. Comme le rappelle l’OFPRA (Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides) en octobre 2015– évoquant un rapport du renseignement allemand de 2005, «publié illégalement» par WikiLeaks– une vingtaine de groupes criminels se partageaient le Kosovo suivant trois zones d’influence: le centre, tenu par Hashim Thaçi (depuis devenu président du Kosovo); l’ouest, tenu par Ramush Haradinaj (depuis devenu Premier ministre) et le nord-est contrôlé par Rrustem Mustafa (depuis condamné par la justice kosovare pour crime de guerre), tous anciens commandants de l’UÇK. Un Kosovo qui depuis la fin de la guerre est devenu le carrefour de tous les trafics, en plus d’être en proie à l’islamisme radical.

Si Ramush Haradinaj est sous le coup de nouvelles poursuites, après avoir été acquitté deux fois par le TPIY de pas moins de 37 chefs d’inculpation, notons qu’Hashim Thaçi pourrait lui-même avoir à répondre devant le tribunal spécial pour le Kosovo. En effet, l’ex-chef de guerre, devenu chef d’État, est soupçonné d’être impliqué dans un trafic d’organes, prélevés sur des prisonniers serbes et roms déportés en Albanie, où ils étaient alors exécutés suivant la demande.

«Si vous êtes l’ami des États-Unis, vous pouvez être mafieux, vous pouvez trafiquer des organes, vous pouvez trafiquer de la drogue, vous pouvez trafiquer des blanches aussi, parce qu’il suffit de regarder à Paris d’où viennent les prostituées, vous voyez que c’est quand même beaucoup d’Albanaises», souligne Xavier Moreau.

Des exactions sur lesquelles est notamment revenue Carla Del Ponte, ex-Procureure générale du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), dans ses mémoires, ou encore le député suisse Dick Marty dans un rapport présenté devant le Conseil de l’Europe en décembre 2010. «Les organes de justice internationaux sont faits pour condamner les ennemis des États-Unis», lâche Xavier Moreau, qui dresse le parallèle avec le sort qui fut réservé à l’époque par le TPIY aux responsables serbes.

«La criminalité fait partie de ce que j’appelle les quatre piliers non officiels de la politique étrangère américaine», estime Xavier Moreau, ajoutant que «le radicalisme religieux, le trotskisme, le terrorisme et les mafias sont un moyen pour les Américains de renverser les pouvoirs qui ne leur plaisent pas.»

Notre intervenant rappelle que l’UÇK, avant que ses commandants régionaux ne soient portés au pouvoir par l’intervention de l’Otan, était désignée comme une organisation terroriste, y compris par Washington, qui a aujourd’hui établi au Kosovo sa plus grande base militaire dans le sud-est de l’Europe, le Camp Bondsteel.

«Du jour au lendemain, parce qu’on en a besoin, elle est réhabilitée et ses unités sont entraînées par les services secrets occidentaux, malheureusement également par ceux de la France», regrette Xavier Moreau.

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Contrairement à son Premier ministre, interpellé à sa descente d’avion à Mulhouse en janvier 2017, Hashim Thaçi ne sera pas importuné lorsqu’il se rendra en France en 2018, à l’occasion des célébrations du 11 novembre, où il sera assis juste derrière Emmanuel Macron, aux côtés des principaux dirigeants, alors que le Président serbe Aleksandar Vučić sera quant à lui relégué à une place secondaire. Une situation vécue comme une «humiliation» par la Serbie. «Lorsque vous regardez l’histoire, globalement les Albanais, les bosno-musulmans ou les Croates étaient nos ennemis, si on se considère dans le camp des Alliés», rappelle Xavier Moreau, qui fait un parallèle avec la situation en Ukraine.

«On peut trouver leur cause merveilleuse ou pas, mais en tant que Français, il faut quand même se poser la question: est-ce que ces gens-là ont un jour été nos alliés? Non, ils ont toujours été dans le camp de nos adversaires. Pourtant, la Serbie, qui devrait être notre alliée traditionnelle, est mise de côté au profit d’entités –on ne peut pas parler de pays– kosovares dirigées par des mafieux.»

Xavier Moreau rappelle notamment que, contrairement aux Serbes qui furent des alliés de la France durant les deux grands conflits mondiaux, les Albanais furent de précieux soutiens de l’Allemagne. Berlin qui, à l’époque des deux récents conflits qui déchirèrent les Balkans, fut avec Washington le principal sponsor d’une dislocation de l’ex-Yougoslavie.

«Paradoxalement, ces élites, essentiellement libérales […] qui sont très antiracistes de certains côtés, se sont finalement appuyées sur les races et les ethnies pour détruire une nation qui finalement ne fonctionnait pas si mal», assène Xavier Moreau.

Plus récemment, le mois dernier, afin de célébrer le 20e anniversaire du déploiement des troupes de l’Otan dans la province, Bill Clinton, Madeleine Albright et Wesley Clark (alors commandant de l’Alliance atlantique) se sont rendus à Pristina. Aux côtés Hashim Thaçi et de Ramush Haradinaj, l’ancien Président américain déclare aux 3.000 personnes présentes que ce fut «le plus grand honneur de ma vie d’avoir été à vos côtés contre le nettoyage ethnique et pour la liberté.»

Parlant de nettoyage ethnique, 35 personnes soupçonnées de crimes de guerre ont déjà été – ou vont être – entendues par le nouveau tribunal spécial pour le Kosovo. Parmi elles, Ramush Haradinaj, mercredi 24 juillet, qui déclarait aux journalistes avoir «utilisé le droit que me donne la loi de garder le silence» devant la chambre, Jakup Krasniqi ancien président du Parlement, ainsi que Bislim Zyrapi, conseiller du Président Thaçi. Aucune mise en inculpation n’a pour l’heure été prononcée.

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