Le Vatican s'apprête à dévoiler les archives secrètes sur le «pape d'Hitler»

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Le Saint-Siège compte déclassifier l'an prochain les documents faisant état des relations entre le chef de l'Église catholique et les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale. Selon le Vatican, cela permettra de donner une appréciation juste, bien qu'éventuellement critique, à l'activité du pape Pie XII.

Pourquoi les victimes de l'Holocauste exigeaient-elles la publication des informations confidentielles sur les relations entre le pape et Hitler et y trouveront-elles les réponses à leurs questions? Le quotidien Izvestia fait le point. 

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Le Vatican offrira l'an prochain aux historiens et aux chercheurs la possibilité d'étudier les documents des Archives secrètes portant sur le pontife Pie XII (Eugenio Pacelli), notamment sur ses relations avec les nazis d'Allemagne et d'Italie pendant la Seconde Guerre mondiale. Le pape François en a fait la promesse ce 4 mars lors de sa rencontre avec le personnel des archives. Des milliers de documents tels que des télégrammes, des discours et des lettres seront ainsi mis au jour.

La date d'annonce ne relève pas du hasard: le 2 mars a marqué le 80e anniversaire de l'élection du pape Pie XII.

Selon le pape François, la déclassification d'une partie des archives permettra de mener des «investigations sérieuses et objectives», ainsi que d'«apprécier à juste titre les moments difficiles du pontife à l'époque» et de prendre conscience des tentatives entreprises par l'Église pendant la Seconde Guerre mondiale pour «soutenir, au moins secrètement, les initiatives humanitaires».

Initialement, le Vatican ne comptait divulguer les archives concernant la période d'Eugenio Pacelli qu'en 2028: par tradition, les informations sont déclassifiées seulement 70 après le décès du pontife et Pie XII est décédé en 1958. Cependant, selon le pape François, le Saint-Siège «ne craint pas l'histoire». Il a souligné également que la critique visant Pie XII «était, on peut le dire, préconçue et exagérée». Il sera bientôt possible d'en juger sur la base de documents réels.

«Pape d'Hitler» ou diplomate?

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Eugenio Pacelli a été élu pape en mars 1939, six mois avant le début de la Seconde Guerre mondiale. Le thème de ses relations avec les nazis est activement étudié par les historiens, notamment car il est activement accusé par les victimes de l'Holocauste et leurs proches. Ainsi, par exemple, la photo du pape Pie XII au mémorial de Yad Vashem consacré à l'Holocauste est accompagnée de l'inscription stipulant que le pontife «n'est pas intervenu» quand les Juifs de Rome avaient été envoyés à Auschwitz.

«Ses critiques soulignent également qu'il avait reçu avec enthousiasme l'arrivée au pouvoir d'Adolf Hitler et ne défendait pas les prêtres s'opposant à la persécution des Juifs qui, dans certains cas, aidaient ces derniers et les représentants d'autres ethnies à éviter les camps de concentration nazis», écrit l'hebdomadaire britannique The Guardian. La prétendue sympathie du pontife pour le chef du IIIe Reich a été la raison pour laquelle l'historien et journaliste John Cornwell a intitulé son ouvrage sur Eugenio Pacelli, publié en 1999, «Le pape et Hitler: l'histoire secrète de Pie XII».

Ce dernier n'est pas accusé seulement pour ses actes commis après le début de la Seconde Guerre mondiale. En tant que cardinal, il avait déjà travaillé pendant plusieurs années à la signature d'un concordat avec l'Allemagne nazie. Le document, dont de nombreux termes restent en vigueur à ce jour, a été signé en 1933. Conformément au concordat, l'Allemagne reconnaissait la liberté du Vatican dans le règlement des questions ecclésiastiques et autorisait l'accès des prêtres aux hôpitaux et d'autres établissements publics. De son côté, le Vatican renonçait au droit de créer des organisations politiques et acceptait l'interdiction que des membres du clergé deviennent membre de partis.

De nombreux critiques pensent qu'en signant ce concordat, le Saint-Siège a passé un accord avec le diable étant donné que l'idéologie nazie et les valeurs chrétiennes étaient incompatibles.

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Le Vatican rétorque que dans le contexte de la menace nazie pesant sur le Vieux Continent, les cardinaux avaient sciemment élu Pacelli en comptant sur ses compétences diplomatiques. Le futur pape avait appris l'art de négocier pendant son travail en Allemagne, où il était nonce apostolique entre 1917 et 1929 — période pendant laquelle il avait établi des contacts personnels et professionnels, ce qui n'a fait qu'ajouter des atouts à la main de ses critiques par la suite.

David Kertzer, professeur de l'université Brown (USA), note que Pie XII «est probablement l'un des papes les plus controversés de l'histoire contemporaine de l'Église». Ayant réuni des informations pour son livre sur les relations de Pacelli avec le dictateur italien Benito Mussolini, il a également décrit le pontife dans une interview au Washington Post comme un «homme prudent ayant pesé ses décisions en prenant en compte l'estimation selon laquelle les nazis pouvaient vaincre et même occuper le Vatican».

Une béatification «en pause»

Outre son rôle important dans l'établissement du concordat et des liens avec les régimes politiques européens qui avaient accepté de collaborer avec Hitler, Pie XII est également accusé d'avoir refusé de condamner ouvertement le génocide des Juifs par les nazis. Toutefois, l'absence de déclarations de colère du Vatican et la retenue, probablement forcée, de ses appréciations, lui ont en fait permis d'aider les Juifs, dont certains ont pu être sauvés précisément parce que la ville-État les avait accueillis sur son territoire.

Le rôle du Vatican dans l'aide apportée aux Juifs a également été souligné par certains hauts dirigeants d'Israël. L'ancienne Première ministre Golda Meir écrivait notamment que «pendant les dix années de terreur nazie, quand notre peuple traversait les horreurs du martyre, le pape élevait sa voix pour condamner les persécuteurs et exprimer sa compassion envers les victimes.»

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Toutefois, tout le monde n'était pas d'accord avec le point de vue de Golda Meir — loin de là. Quand, il y a dix ans, le pape Benoît XVI a initié la procédure de béatification de Pie XII, plusieurs organisations juives ont condamné cette initiative. Le président du Congrès juif mondial Ronald Lauder, par exemple, a déclaré que «tant que les archives couvrant la période critique de 1939-1945 restaient confidentielles et qu'il n'y avait pas de consensus sur ses actions ou son inaction dans le contexte de la persécution de millions de Juifs pendant l'Holocauste, son élévation au rang des bienheureux serait déplacée et prématurée».

«Bien que les décisions sur le décret d'honneurs religieux ne peuvent être prises que par l'Église catholique, il existe de sérieuses craintes concernant le rôle politique de Pie XII dans la Seconde Guerre mondiale, qui ne doivent pas être ignorées», expliquait Ronald Lauder.

Le lancement de la procédure de béatification du «pape d'Hitler» il y a 10 ans a failli conduire à l'annulation du voyage du pape en Terre sainte, même si au final cette visite a tout de même eu lieu. Le processus de béatification de Pie XII a depuis été suspendu face à la montée des critiques à son égard.

Certaines questions resteront sans réponse

La décision du Vatican de déclassifier les archives a été positivement perçue par la communauté juive à travers le monde, mais avec un certain scepticisme. Le Président israélien Reuven Rivlin a notamment déclaré que cette démarche du pape François était «particulièrement importante aujourd'hui que se poursuivent les attaques antisémites, les tentatives de réécrire l'histoire et de nier l'Holocauste».

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La déclassification des archives ne changera pas l'opinion de la communauté juive de Rome au sujet de Pie XII, estime le grand rabbin de la capitale italienne, Riccardo Di Segni.

«En ce qui concerne les événements qui ont eu lieu à Rome, nous sommes face à deux faits contradictoires. Le premier est que les Juifs capturés pendant les rafles ont été déportés par train à Auschwitz, et que ce train n'a pas été stoppé. Cette histoire a toujours soulevé de nombreuses questions chez nous. D'un autre côté, au même moment ont été ouverts des monastères pour cacher les Juifs. Par conséquent, les événements qui ont eu lieu à Rome à cette époque sont fortement contradictoires. Mais essayez d'expliquer cela aux milliers de personnes qui se sont retrouvées à Auschwitz», analyse Riccardo Di Segni.

«Nous savons que le pape Pie XII a joué un rôle important dans les tentatives de protéger les Juifs des nazis», indique le rabbin David Rosen, directeur international pour les affaires interreligieuses du Comité juif américain. Et de poursuivre: «Je suis certain qu'il pensait bien faire, à ses yeux», mais même après la déclassification des archives, le désaccord perdurera entre les Juifs et les catholiques au sujet de savoir si les actions du pape étaient suffisantes.

D'après le rabbin, la question principale — savoir si le pontife aurait pu faire davantage pour empêcher le génocide des Juifs par les nazis en adoptant une position plus active et ouverte — est purement hypothétique.

«Pour la génération des survivants»

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Le révérend Roberto Regoli, historien à l'Université pontificale grégorienne de Rome, pense également que le dévoilement des archives ne permettra pas de répondre clairement à la question de l'attitude du pontife envers l'Holocauste, car de nombreux documents ont déjà été publiés à ce sujet par le Saint-Siège et des prêtres en Allemagne.

«Mais nous ignorons quels ont été les débats au Vatican pour savoir s'il fallait se prononcer publiquement contre le nazisme», note le révérend.

Ce dernier ajoute que les documents des Archives secrètes pourraient également permettre de comprendre «quel était le motif du refus d'adopter une position publique: sauver des vies ou autre chose».

Difficile de dire dans quelle mesure les réponses apportées par les archives aux questions qui persistent sur le rôle de Pie XII seront suffisantes.

«Cependant, les tentatives de combler les blancs dans cette histoire sont déjà encourageantes», affirme Sara Bloomfield, directrice du musée du mémorial américain de l'Holocauste à Washington.

«Les rumeurs doivent céder depuis longtemps la place aux données scientifiques fondées, qui ne peuvent être obtenues qu'après l'octroi d'un accès total des chercheurs à tous ces documents, ajoute-t-elle. C'est important du point de vue de la vérité historique, mais aussi pour des notions morales extrêmement importantes: cela doit être fait pour la génération des survivants, qui se réduit rapidement».

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur de l'article repris d'un média russe et traduit dans son intégralité en français.

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