Saxo Banque imagine «l’UE au bord du gouffre»: et si on annulait les dettes en 2019?

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Selon la tradition, Saxo Banque a publié ses «Prévisions choc» pour la prochaine année. Parmi les scénarios envisagés par la banque danoise pour 2019, on trouve une annulation d’une partie conséquente de la dette des pays de la zone euro. Pour les auteurs, c’est un scénario très improbable. Mais du domaine du possible.

Une hypothèse aux allures de cauchemar pour les afficionados de l'orthodoxie budgétaire. Depuis plusieurs années, Saxo Banque publie début décembre ses scénarios explosifs ou «Prévisions choc» pour le prochain millésime économique. Vous les avez peut-être vues passer ces derniers jours sur votre fil d'actualité. En 2019, parmi le rachat de Tesla par Apple ou l'entrée en récession de l'Allemagne, la banque danoise a imaginé l'annulation d'une grande partie des dettes des pays de la zone euro. Attention, les économistes de Saxo Banque rappellent qu'il ne s'agit que d'hypothèses volontairement choc mais envisageables:

«Il s'agit plutôt de risques peu probables qui sont encore sous-évalués et qui pourraient modifier radicalement les perspectives d'investissement et l'économie au cours des douze à vingt-quatre prochains mois, s'ils venaient à se réaliser.»

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Les auteurs soulignent que «depuis la Babylone antique à l'Europe des années 1930, les annulations de dettes ont été beaucoup plus fréquentes que ce que pensent la plupart d'entre nous». Et que ces dernières «ont également joué un rôle important dans la résolution des crises financières». Alors que des économistes de renom tel que Nouriel Roubini annonce un prochain drame sur la planète éco, Bruxelles et la BCE seront-ils contraints à une telle décision?

«L'UE est au bord du gouffre»

Tout d'abord, jetons un œil au tableau d'ensemble imaginé par Saxo Banque et qui pourrait conduire à un tel choix:

«En 2019, le niveau insoutenable de la dette publique, la montée du populisme, une hausse des taux d'intérêt de la Banque centrale européenne, une diminution des liquidités et une croissance lente ont rouvert le débat européen sur la manière de se préparer à une nouvelle crise.»

L'expression «niveau insoutenable de la dette publique» peut être parfaitement illustrée par l'infographie ci-dessous. Plusieurs pays de la zone euro doivent composer avec des ratios dette/PIB supérieurs à 100%. C'est très largement le cas pour la Grèce, l'Italie ou le Portugal, mais c'est également une réalité pour la Belgique et selon toute vraisemblance, bientôt pour la France.

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Pour ce qui est de «la montée du populisme», les sondages pour les élections européennes de mai 2019 ne doivent pas rassurer dans le camp des européistes. À travers le Vieux Continent, de nombreuses formations qualifiées de «populistes» par leurs détracteurs sont créditées de hautes intentions de vote. En Allemagne, l'Alternative pour l'Allemagne (AfD) est placée en quatrième position par une enquête Insa datée du 12 décembre. En France, c'est encore plus inquiétant pour Bruxelles. Marine Le Pen est largement en tête avec 24% des intentions de vote selon un sondage Ipsos pour L'Opinion. Selon la même enquête, La République en Marche d'Emmanuel Macron serait distancée avec 18%. Et l'Italie, encore elle, fait décidément figure de casse-tête pour l'Union européenne. Une enquête de Der (europäische) Föderalist datée du 19 novembre 2018 place La Ligue de Matteo Salvini et le Mouvement 5 Etoiles de Luigi Di Maio très largement en tête au niveau des projections de sièges. Les deux formations eurosceptiques en obtiendraient respectivement 28 et 24 au Parlement européen.

​Revenons maintenant sur la «hausse des taux d'intérêt de la Banque centrale européenne», la «diminution des liquidités» et la «croissance lente» mentionnées dans le scénario de Saxo Banque. Pour ce qui est de la première projection, elle n'est pas d'actualité comme l'a rappelé Mario Draghi le 13 décembre. En plus d'un engagement à réinvestir ses stocks de dette arrivant à échéance, et ce pour une «période prolongée», l'institut francfortois a déclaré que les taux directeurs ne devraient pas augmenter jusqu'à la fin de l'été 2019. Une annonce de taille a cependant été faite le même jour concernant «la diminution des liquidités». Mario Draghi a annoncé la fin du programme de rachat d'actifs ou «quantitative easing» (QE). C'est à fin décembre 2018 que l'institut francfortois cessera d'acheter de nouveaux titres de dette privée et publique. Cette stratégie avait pour but de fournir en liquidités les marchés et ainsi soutenir l'économie. La BCE aura tout de même injecté le pactole de 2.600 milliards d'euros en l'espace de trois ans et demi.

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Parlons maintenant «croissance lente». Toujours le 19 décembre, la Banque centrale européenne a dû se résoudre à baisser les prévisions de croissance de la zone euro pour 2018 et 2019. Devant les difficultés traversées par l'économie, la hausse du PIB pour cette année devrait être de 1,9% contre 2,0% lors des dernières projections fournies en septembre. Même chose pour 2019 avec +1,7% contre +1,8% précédemment. Mario Draghi a parlé de «dynamique de croissance plus faible qu'auparavant».

«L'Italie est le principal pays concerné, car elle est confrontée à un énorme mur d'échéances qui devrait atteindre environ 300 milliards d'euros de refinancement en 2019 en raison de la flambée des taux d'intérêt», nous dit la «Prédiction choc» de Saxo Banque.

Retour dans le monde réel. L'accord trouvé le 19 décembre entre Rome et l'Union européenne sur le budget italien après des semaines de bras de fer n'a pas totalement convaincu Bruxelles. Le vice-président de l'exécutif européen, Valdis Dombrovskis, a parlé d'une solution «pas idéale». L'exécutif transalpin a accepté de ramener le déficit public à 2,04% du PIB, contre 2,4% au départ, principalement en ayant reporté deux mesures phares de la coalition La Ligue-Mouvement 5 Etoiles: la réforme des retraites et la mise en place du revenu de citoyenneté pour les plus défavorisés. Après avoir été fortement remaniées dans la loi de finance validée par le Sénat le 24 décembre, ces réformes seront lancées par le gouvernement italien en avril 2019.

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Durant les semaines de lutte acharnée entre Rome et Bruxelles, le marché obligataire avait vivement réagi. Le 14 novembre, l'Italie refusait de présenter un nouveau budget à la Commission européenne qui avait refusé le premier soumis le 23 octobre: une première. Une décision qui avait fait grimper en flèche le spread Italie-Allemagne qui avait alors atteint 314 points de base. Quelques semaines avant, il battait déjà un record vieux de cinq ans et demi. Cette donnée économique indique l'écart de taux pour les emprunts à 10 ans sur les marchés entre l'Italie et l'Allemagne, emprunteur de référence. Plus il est haut, plus il indique une défiance du marché. Une situation qui a avait fortement inquiété les banques italiennes.
Et Saxo Banque continue de déployer son scénario catastrophe:

«Rapidement, la contagion italienne affaiblit les banques européennes alors que l'UE s'enfonce dans la récession. La BCE recourt à un nouveau TLTRO et à de nouvelles directives pour limiter les dégâts, mais ce n'est pas suffisant et lorsque la contagion s'étend à la France, les responsables politiques comprennent que l'UE est au bord du gouffre.»

La gestion du niveau des taux d'intérêts directeurs est un véritable casse-tête pour la Banque centrale européenne. Les augmenter, même légèrement, pourrait avoir des incidences sur l'économie car cela limiterait le crédit. Un problème dans une économie déjà fragile. D'un autre côté, la BCE ne pourra effectuer une remontée suffisante pour dégager des marges de manœuvre en cas de crise, les taux actuels étant historiquement bas.

​Un contexte délicat comme le rappelait récemment dans nos colonnes Philippe Béchade, le président des Econoclastes:

«La BCE n'a aucune marge de manœuvre en termes de niveaux de taux. Et ces derniers ne devraient pas bouger avant la fin septembre 2019. Ensuite, on ne sait pas. Reste les opérations de refinancement à plus long terme ciblées ou TLTRO (targeted longer-term refinancing operations) qui sont grosso modo des paquets d'argents que l'on crée ex nihilo et que les banques peuvent utiliser pour soutenir l'activité de crédit. Mais il ne sert à rien de mettre de l'argent dans le système s'il n'existe pas de demande de crédit.»

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Nouriel Roubini, président de Roubini Global Economics et respecté dans le milieu pour avoir anticipé la crise des Subprimes, a récemment publié un article dans Les Échos intitulé «Les cinq ingrédients qui préparent la crise de 2020». Il s'inquiétait notamment du peu d'options disponibles pour les gouvernements et les banques centrales afin de relancer la machine: «La marge de relance budgétaire dans le monde est d'ores et déjà réduite par une dette publique massive. La possibilité de nouvelles politiques monétaires non conventionnelles sera limitée par des bilans hypertrophiés, et par un manque de capacité à réduire les taux directeurs.»
Voici le dénouement de l'histoire imaginée par Saxo Banque:

«L'Allemagne et le reste de l'Europe centrale, qui refuse de laisser la zone euro s'effondrer, n'ont d'autre choix que de soutenir la monétisation. L'Union économique et monétaire confie à la BCE un mandat de monétisation de la dette pour tous les niveaux d'endettement supérieurs à 50 % du PIB et garantit le reste par un système d'euro-obligations tout en déplaçant les objectifs controversés de croissance et de stabilité. Les pays de l'Union économique et monétaire adoptent une nouvelle règle budgétaire autorisant la mutualisation des premiers 3% du PIB en déficit en 2020, le reste étant soumis à un examen périodique par la Commission européenne lié à la situation économique de l'UE.»

Si Saxo Banque rappelle que «contrairement à ce que la crise de la dette grecque, observée depuis 2010, pourrait laisser entendre, l'annulation de la dette est très fréquente en Europe», la réalisation d'une telle hypothèse ferait l'effet d'un véritable séisme. On voit mal comment les pays du Nord, Allemagne en tête, pourrait accepter une telle mutualisation-monétisation de la dette quand l'on sait à quel point ils tiennent à la rigueur budgétaire. Encore dernièrement, Jens Weidmann, le président de la Banque fédérale d'Allemagne, a critiqué les mesures prises par Emmanuel Macron pour calmer la fronde des Gilets jaunes. «Le président Macron veut continuer son cours des réformes, c'est une bonne nouvelle», mais «dans l'ensemble, cela devrait être conçu de manière à être conforme aux règles budgétaires européennes convenues d'un commun accord», a-t-il déclaré au journal Welt am Sonntag.

​Le scénario de Saxo Banque dépasse de très (très) loin le simple dérapage budgétaire. C'est une véritable mise en commun des risques qui verrait l'avenir budgétaire allemand se lier avec celui de la Grèce. On a du mal à l'imaginer. Pourtant, c'est du domaine du possible. Et Saxo Banque ne dit pas autre chose:

«Ces prévisions ne constituent pas les prévisions de marché officielles de Saxo Bank pour 2019, mais elles constituent un avertissement quant à une possible mauvaise répartition du risque pour les investisseurs qui ne voient généralement qu'1% de probabilité que ces événements se réalisent.»

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