Crise Riyad-Ottawa: «le Canada se bat vraiment pour la cause des prisonniers politiques»

© AFP 2023 Hassan AmmarRiyad
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L’expulsion de l’ambassadeur canadien d’Arabie saoudite a provoqué une petite onde de choc. Comment expliquer cette brusque montée de tension entre les deux pays? Pour y voir clair, Sputnik s’est entretenu avec Irwin Cotler, ancien ministre de la Justice au Canada, directement impliqué dans le dossier.

Brusque désamour entre le Canada et l'Arabie saoudite! Riyad vient en effet de renvoyer l'ambassadeur d'Ottawa dans ses pénates pour protester contre «l'ingérence» du pays à la feuille d'érable dans ses affaires intérieures. Derrière cette crise, la situation des droits de l'homme dans le Royaume, et notamment celle d'un homme: Raif Badawi. un retour aux sources du conflit s'impose.

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Le Canada réagit à l’expulsion de son ambassadeur de l’Arabie saoudite
L'histoire commence en 2012 lorsque Raif Badawi est arrêté dans son pays, l'Arabie saoudite. Son «crime»? Avoir tenu un blogue dont le contenu est vu comme contraire aux valeurs du régime. Badawi a été jugé et emprisonné pour apostasie et insulte à l'islam. Il a aussi été condamné à recevoir 1.000 coups de fouet, conformément aux lois islamiques en vigueur. Jusqu'à présent, il en a reçu 50.

Face à cette situation, la femme de Raif Badawi, Ensaf Haidar, s'est réfugiée dans la ville de Sherbrooke, au Canada. Avec ses trois enfants, elle y a obtenu l'asile politique. Tranquillement, ses enfants ont appris le français et se sont adaptés à leur nouvel environnement.

Depuis son arrivée en 2013 jusqu'à aujourd'hui, Ensaf Haidar a travaillé activement à la libération de son mari. Elle a multiplié les conférences, les interventions publiques et les rencontres avec les politiciens. Dans les médias canadiens, Ensaf Haidar a toujours fait preuve d'une détermination hors du commun.

Le mois de septembre 2015 a été particulièrement important pour le couple Badawi. C'est à cette période qu'a été lancée, à Montréal, la Fondation Raif Badawi pour la liberté. Évelyne Abitbol, une personnalité publique proche du mouvement laïque, coprésidait alors la fondation avec Mme Haidar. Une fonction qu'elle quittera par la suite en acceptant des fonctions politiques.

Diplomatie canadienne, un revirement inattendu

Au départ, le gouvernement Trudeau a gardé ses distances avec ceux qui demandaient de faire pression sur l'Arabie saoudite pour libérer Raif Badawi. Le gouvernement libéral de Justin Trudeau s'est d'ailleurs fait beaucoup critiquer pour son inaction dans ce dossier. Plusieurs militants et analystes politiques ont accusé le gouvernement libéral de préférer les contrats lucratifs, notamment la vente de véhicules blindés à Riyad, à la défense des droits de l'homme en Arabie saoudite. Des accusations qui ont fini par nuire à l'image progressiste de Justin Trudeau.

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Ambassadeur expulsé et transactions gelées: le ton monte entre Saoudiens et Canadiens
Selon l'ex-ministre canadien de la Justice, Irwin Cotler (2003-2006), l'arrivée de la nouvelle ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, a changé la dynamique diplomatique entre le Canada et l'Arabie saoudite.
Mme Freeland aurait adopté un ton plus ferme envers le régime saoudien. Au fil des plus récentes discussions, la ministre aurait fait part à Riyad des préoccupations du Canada concernant le respect des droits de l'homme sur son territoire.

Tout récemment, elle s'est indignée publiquement de l'arrestation de la sœur de Raif Badawi, Samar Badawi. C'est ce geste qui a provoqué l'expulsion de l'ambassadeur canadien du territoire saoudien, Riyad évoquant «l'ingérence» canadienne dans ses affaires. Un événement qui est survenu après des mois de refroidissement des relations entre les deux pays. Un refroidissement qui était toutefois resté caché.

Le nouveau prince saoudien est-il un faux réformateur?

Selon M. Cotler, l'expulsion de l'ambassadeur canadien d'Arabie saoudite montre que le régime de Mohammed Ben Salmane Al-Saoud s'inscrit dans la continuité du précédent. La réforme du régime, promise par le nouveau chef de l'État, ne serait pas encore au programme. Elle serait peut-être même une illusion entretenue par les médias.

Irwin Cotler estime que le régime de Mohammed Ben Slimane a «fait tout l'opposé de ce qu'il avait promis de faire». Précisons que M. Cotler est le représentant légal de Raif Badawi.

«Le Canada doit continuer à mettre de la pression sur l'Arabie saoudite pour que ce pays respecte enfin les droits de l'homme et favorise le développement d'un islam plus modéré. Le nouvel héritier de la Couronne saoudienne n'a encore rien fait de ce qu'il avait annoncé. La modernisation du régime n'est pas entamée», a affirmé M. Cotler à Sputnik.

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Dans le style du 11/09: des Saoudiens s’excusent pour une image semblant menacer Toronto
Brandon Silver, du Centre Raoul Walenberg pour les droits humains, partage en bonne partie la vision de M. Cotler. Il faut dire que les deux hommes travaillent ensemble, ainsi que Mme Abitbol, sur le dossier de Raif Badawi.

Interrogé par Sputnik, M. Silver condamne la mise en détention de Raif et Samar Badawi et rappelle l'importance pour le Canada de maintenir sa position sur les droits de l'homme. Plus optimiste, Brandon Silver voit même d'un bon œil l'expulsion de l'ambassadeur canadien, y voyant le signe du bon travail du Canada dans le dossier:

«La ministre Chrystia Freeland a fait preuve d'une connaissance exceptionnelle de ses dossiers dans les derniers mois. Elle a intensifié les pressions à l'endroit de l'Arabie saoudite, ce qui a montré que le Canada était sérieux dans ses démarches. On peut parler d'une prise de conscience de la ministre: maintenant, le Canada se bat vraiment pour la cause des prisonniers politiques», a déclaré Brando Silver.

En début de semaine, Ensaf Haidar a aussi affirmé qu'elle espérait que le Canada continuerait à faire pression sur son pays d'origine, et ce, malgré la possible escalade des tensions. Évidemment, toujours dans l'espoir que son mari soit libéré.

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur.

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