Une visite désastreuse?

© AFP 2023 Ludovic MARIN French President Emmanuel Macron (R) and US President Donald Trump walk to the Oval Office prior to a meeting at the White House in Washington, DC, on April 24, 2018.
French President Emmanuel Macron (R) and US President Donald Trump walk to the Oval Office prior to a meeting at the White House in Washington, DC, on April 24, 2018. - Sputnik Afrique
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Derrière les flonflons et les déclarations tonitruantes, l’ovation au Congrès des Etats-Unis, la visite d’Emmanuel Macron pourrait bien s’avérer désastreuse. Car Macron est parti en position de faiblesse, face à un Président américain, Donald Trump, qui était conforté par les premiers résultats de sa politique.

Il s'avère qu'Emmanuel Macron a été dans l'incapacité d'obtenir gain de cause sur quelques grands dossiers que ce soit. De ce point de vue, cette visite est un échec. Mais il y a pire. En matière d'image, cette visite a été une catastrophe. Les photos montrant le Président français soit dans une position ridicule soit dans une position de soumission face à son homologue américains, même si elles ne traduisent pas nécessairement une réalité, circuleront massivement. Emmanuel Macron a commis, avec ce voyage, sa première faute majeure.

L'accord avec l'Iran

Sur l'accord avec l'Iran, où les enjeux étaient de taille, Emmanuel Macron a subi un échec évident. Cet accord avait, pourtant, stabilisé la situation (1). Qu'il y ait eu des points complexes, et des points de compromis, dans cet accord est une évidence. Mais, il en va de même dans tout accord (2).

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L'important était qu'avec cet accord on avait une garantie que l'Iran ne deviendrait pas une nouvelle puissance nucléaire, un acte potentiellement déstabilisant qui pourrait pousser l'Arabie Saoudite et l'Egypte à faire de même, mais qui pouvait aussi se comprendre quand on sait qu'Israël est un proliférateur clandestin massif, avec un arsenal estimé entre 150 et 250 têtes nucléaires. En acceptant de ne pas poursuivre l'enrichissement de l'uranium jusqu'à la qualité militaire, tout en se réservant le droit de poursuivre cet enrichissement pour une qualité civile l'Iran avait accepté le cadre global d'une surveillance internationale.

Donald Trump avait annoncé, dès sa campagne, qu'il voulait sortir de cet accord et le remettre en cause. On en saura plus le 12 mai. Sur ce point précis, la France était sur la même position que la Russie, dont le Ministre des affaires étrangères, M. Lavrov, a déclaré il y a peu que si Donald Trump sortait de l'accord, il pourrait bien être le père du nucléaire iranien. La déclaration de Trump, sur laquelle Macron a donné son accord, de « renégocier » l'accord montre qui a gagné sur ce point. Une « renégociation » est toujours extrêmement difficile sur des sujets aussi délicats que la question du nucléaire. De plus, les derniers actes des Etats-Unis, et hélas de la France, comme les frappes en Syrie, ne peuvent que convaincre les dirigeants iraniens que seul un armement nucléaire les mettra à l'abri des foucades des pays occidentaux. De ce point de vue, on n'a hélas pas fini de mesurer ce que cette action, illégale au regard du droit international, aura comme conséquences en matière de prolifération. Dans ces conditions, on peut penser que les dirigeants iraniens seront beaucoup moins flexibles dans toute nouvelle négociation qu'ils ne l'avaient été de 2013 à 2015, lors de la négociation de l'accord. Surtout, l'idée même d'une « renégociation » implique que le traité existant est caduc.

Trump, Macron et le multilatéralisme

Sur cette question aussi, Emmanuel Macron a largement échoué à faire changer Donald Trump d'opinion. Ce dernier considère, et on ne peut lui donner tort, que ses déclarations fracassantes ont déjà produit des résultats. Et, de fait, on constate que la Chine commence à modifier ses tarifs commerciaux sur les automobiles. On a pu plaisanter sur la « politique Twitter » de Donald Trump; mais on découvre en réalité que cette politique donne des résultats. Et, l'image qui se dégage de Trump est bien différente de celle que nous servent à satiété, et jusqu'à l'écoeurement, les grands médias, qu'ils soient français ou américains. Que le Président des Etats-Unis soit un personnage brutal, réactionnaire, avec un goût prononcé pour la provocation est certain. Mais il n'est pas l'imbécile ou l'irresponsable que se plaisent à décrire les grands journaux, de Paris ou de la Cote Est!

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On savait le multilatéralisme commercial à l'agonie depuis l'échec du « cycle de Doha » impulsé par l'OMC dans les années 2000. C'était d'ailleurs l'une des raisons qui me faisaient pronostiquer un mouvement de démondialisation dès 2010 (3). Trump en a tiré froidement le bilan. Il ajuste la politique des Etats-Unis à la nouvelle situation. Nul ne peut dire à l'heure actuelle s'il obtiendra le grand mouvement de retour vers les Etats-Unis des industriels qui sont partis dans les années 1990 et 2000. Mais, il a clairement donné un coup d'arrêt au phénomène des délocalisations.

Une erreur d'échéancier

Si Emmanuel Macron a pensé qu'il pourrait se présenter en défenseur des « grands principes », il a manifestement erré. Car, la France est sur ce point isolée. Elle ne pourrait retrouver une certaine capacité de peser sur les décisions américaines que si elle s'associait aux puissances qui contestent aujourd'hui la politique des Etats-Unis, c'est à dire la Chine et la Russie. Et, de ce point de vue, on peut penser qu'Emmanuel Macron aurait bien mieux fait de commencer par une visite à Moscou avant d'aller voir Trump. Cette erreur dans l'échéancier des visites, car il est prévu qu'il rencontre Vladimir Poutine en juin, doit être expliqué. D'une part, Emmanuel Macron participe de cette campagne de certains des milieux occidentaux visant à « démoniser » la Russie. Il a cru renforcer sa position face à Vladimir Poutine, qu'il rencontrera probablement en juin. Mais, en fait, il se présentera, face à lui, affaiblie par ses échecs aux Etats-Unis.

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Mais il y a une autre raison qui peut expliquer cette erreur d'échéancier. Emmanuel Macron nourri l'ambition de changer les institutions européennes. Le problème est qu'il s'est heurté à un mur. Privilégiant une relation avec l'Allemagne, il s'est détourné de l'Italie — un pays qui aurait pourtant intérêt à ce changement — mais aussi des pays de l'Europe centrale. Or, l'Allemagne, et il faut savoir que cela concerne tant la CDU-CSU que la SPD, n'a aucune raison, et aucune intention, de changer quoi que ce soit dans l'Union européenne. L'Allemagne profite largement des institutions existantes; elle les défendra sans faiblir. Isolé, sans alliés, sur la question de la réforme de l'UE, et on l'a vu lors de son discours devant le Parlement européen, Emmanuel Macron a cru trouver un allié de circonstances en la personne de Donald Trump. D'où cette calamiteuse visite et les images à laquelle elle donne lieu. Emmanuel Macron est parti nu aux Etats-Unis. Il en reviendra « une main derrière, une main devant » comme on dit dans le midi de la France!

Le choc des images

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Reste les images que l'on peut avoir de cette visite. Elles sont déplorables, et surtout leurs conséquences seront lourdes. Les embrassades appuyées (surtout du côté de Macron), la scène assez ridicule où les deux hommes plantent le chêne offert en cadeau, voire cette photo, assez dramatique quant à l'image qu'elle transmet, ou Emmanuel Macron est pris par la main par Trump comme un petit enfant par son père, resteront dans les mémoires. Les français se sentiront, et se sentent déjà, humiliés par le comportement de leur Président. Ce sentiment d'humiliation n'avait pas été pour rien dans le désamour profond qui s'était installé entre les français et François Hollande. Emmanuel Macron glisse rapidement sur la même pente.


(1) http://www.parisschoolofeconomics.eu/docs/haidar-jamal-ibrahim/sanctions.pdf

(2) Joyner D.H., Interpreting the Non-Proliferation Treaty, Londres, Oxford University Press, 2011

(3) Sapir J., La Démondialisation, Paris, Le Seuil, 2010.

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