Ce document, de par sa construction, pose plusieurs problèmes (1). Très clairement, ce document ne contient pas les preuves qu'Emmanuel Macron prétend détenir, pour justifier les frappes du samedi 14 dans la nuit. Une action d'une telle gravité exigeait, en effet, que ces preuves soient réunies et soient présentées aux Français.
Des faits approximativement établis…
On constate aussi dans ce texte, un mélange d'affirmations et de suppositions avec des glissements incessants de l'un des registres à l'autre. Des personnes sont vues, décédées (affirmation), mais les « fortes odeurs de chlore et présence d'une fumée verte sur les lieux touchés » c qui relève de simples mentions de « témoins » sur les vidéos et non des observations directes. D'ailleurs, le document le reconnait. Le lien entre les deux n'est pas évident. Les autres symptômes sont aussi des affirmations mais peuvent être attribués soit effectivement à l'usage de gaz (essentiellement du chlore) soit à d'autres possibles causes.
L'intention comme preuve
La seconde partie du document analysant le contexte opérationnel est aussi intéressante à bien des égards. Le texte ici évoque un entrelacs de combats et de négociations et conclut à un «possible usage de chlore». Dans le paragraphe suivant, il analyse alors le cas spécifique des négociations avec le Jaïsh al-Islam un groupe clairement djihadiste. « Les négociations avec Jaïsh al-Islam, entamées en mars n'ont pas été pleinement concluantes. (…) Dès lors, à compter du 6 avril, le régime syrien, appuyé par les forces russes, a repris ses bombardements intensifs sur la localité, mettant fin à une pause opérationnelle, tant terrestre qu'aérienne, constatée depuis le lancement des négociations mi-mars. C'est dans ce contexte que sont intervenues les frappes chimiques analysées ici (2).»
On sait que certains groupes et en particulier pour ceux clairement identifiés comme djihadistes, ont utilisé des armes chimiques. Or, des laboratoires ont été découverts dans la Ghouta, et ces laboratoires étaient sous le contrôle des groupes djihadistes. La présentation de l'analyse opérationnelle ne présente donc qu'une petite partie des motivations des uns et des autres dans cette affaire. Clairement, un usage des gaz pourrait faire sens pour les forces du régime de Damas. Mais, dire qu'un usage « fait sens » n'est nullement apporter la preuve de cet usage. De même, l'usage des gaz ne ferait pas sens que pour ces forces. Il peut faire sens aussi pour des groupes rebelles. Ici encore, on est renvoyé au fait que seul une enquête impartiale aurait pu prouver ce qui est véritablement advenu.
Un déni de démocratie
Le journaliste britannique Robert Fisk, deux fois récipiendaire de la plus haute distinction pour les reporters (le British Press Awards) donne quant à lui une autre version de l'affaire de Douma. Lui non plus n'a pas à être cru sur parole. Mais, son article à du moins l'avantage par rapport au document analysé d'avoir été rédigé à partir de Douma.
Le document officiel nous présente donc un raisonnement construit essentiellement par inférences, inférences quant aux symptômes (symptômes q attribués par Robert Fisk après discussion avec des médecins locaux aux poussières provoquées par les bombardements des troupes régulières), mais aussi inférences de ce que l'on croit que les forces du régime syrien veulent faire, et cela sans jamais prendre en compte aussi ce que les forces opposées, qu'on les appelle « rebelles » ou djihadistes, pourraient aussi avoir voulu faire.
Mais, si le but réel de ces frappes est un but politique, alors, la légitimité de ces frappes devient problématique. Dans un acte de guerre, et ces frappes constituent à l'évidence un acte de guerre, les « buts de guerre » doivent être clairement annoncés. Or, ici, nous avons une gesticulation devant des buts supposés qui pourraient bien masquer des buts très différents.
Les principales victimes de ces frappes seront, dans l'ordre, le droit international qui a été clairement violé, mais aussi le contrôle démocratique — et en particulier en France — sur les actions des gouvernements, contrôle qui n'a pu être mis en œuvre que ce soit de manière procédurale ou de manière substantielle. Il convient de s'interroger sur la volonté d'agir à tout prix, sans preuve substantielle et sans mandat de notre gouvernement. Nous sommes bien en présence d'une irresponsabilité politique profonde, irresponsabilité qui se combine avec un mépris des règles et des principes de la démocratie des plus inquiétants.
(1) Il s'agit du document titré « Evaluation Nationale » qui a été produit à partir de sources ouvertes par les services du Ministère de la défense.
(2) Voir Evaluation Nationale, op.cit.
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