L’aide publique au développement, cousine éloignée du terrorisme?

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En dépit de leur vocation éponyme, les aides publiques au développement consacreraient «une prime à l’incurie», selon un ancien diplomate français. Elles encouragent l’irresponsabilité, et la mauvaise gouvernance, qui se trouve être par ailleurs, «le principal carburant du terrorisme».

10 millions d'euros. C'est la valeur du tout récent projet de l'Agence française au Développement (AFD) destiné au Niger. «Jeunesse Diffa», du nom de la région du Sud-Est fortement exposée au terrorisme de Boko Haram, permettrait d'offrir des perspectives d'emploi aux jeunes pour les détourner de la radicalisation, d'après l'annonce faite par l'Ambassade française à Niamey.

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Les autorités nigériennes, elles, affichent aussi un optimisme sans pareil. Pour le Général Major Mahamadou Abou Tarka, président de la Haute Autorité à la Consolidation de la Paix (HACP), des «résultats concrets» sont attendus de ce projet. Comme ce fut le cas d'autres, avant lui.

«Ces projets nous aident effectivement à contenir les jeunes. Notre politique au Niger est de combiner la force militaire avec nombre d'actions de développement portées par des projets en direction de la jeunesse ou des femmes, dans les régions à risque», a déclaré l'officiel nigérien à Sputnik.

Et Diffa fait partie de «ces régions à risque». Donnant sur le lac Tchad, la région subit de plein fouet les attaques répétitives du groupe nigérian Boko Haram. Elle n'est pas devenue, pour autant, «un sanctuaire» du groupe terroriste, qui attaque les positions au Niger depuis son fief au Nigéria voisin, estime Abou Tarka. Pour autant, de jeunes recrues terroristes se rendent régulièrement par centaines aux autorités, à la faveur de l'étau militaire et financier se resserrant autour du groupe terroriste.

​Pour Abou Tarka, en revanche, il n'y a «aucun engouement de la population pour rejoindre Boko Haram». Un constat qu'il présente comme un des «résultats concrets» des programmes d'aide au développement.

«Je ne peux pas dire ce que le nouveau projet [français, ndlr] va donner, puisqu'on vient de le lancer. Mais si le passé peut servir de leçon, trois projets de l'Union européenne, d'une valeur de 35 millions d'euros, étalés sur quatre ans, nous ont permis de stabiliser la situation», souligne Abou Tarka.

Le Niger est ainsi coutumier des aides au développement. C'est également le cas de la plupart des pays du Sahel.

En 2016, l'Afrique subsaharienne a capitalisé, à elle seule, 32% de l'aide publique au développement (APD) française, soit près de 2,8 milliards d'euros, d'après le Quai d'Orsay. Toutefois,

«Y a-t-il un seul exemple d'Aide publique au développement qui a permis à un pays africain de décoller? Aucun», constate amèrement Laurent Bigot, un ancien diplomate français, approché par Sputnik.

Pour cet ancien sous-préfet converti aujourd'hui dans le consulting, l'ADP consacre même «une forme de prime à l'incurie» en encourageant «une irresponsabilité» politique, et «la mauvaise gouvernance» puisqu'à travers les APD le message qui parvient

«Plus vous êtes mauvais [en termes de gouvernance, ndlr], plus vous recevez de l'aide. Le cas du Mali, un des pires modèles en termes de gouvernance, qui ne cesse pourtant de récolter des millions d'euros d'aides, est suffisamment probant. Or, la mauvaise gouvernance est justement le principal carburant du terrorisme»

Et pour cause, les terroristes se nourrissent des frustrations des populations qui «estiment avoir essayé la démocratie pendant plus de 20 ans, sans que cela ait changé leur quotidien», ajoute Bigot.

«En revanche, elle [la démocratie, ndlr] aura permis à une petite clique d'affairistes et de politiques de capter l'argent et le pouvoir. Dans les quartiers, les populations vous disent que les prédicateurs (radicaux) nous aident, sont à nos côtés. Elles deviennent dès lors perméables à leurs discours… surtout quand la classe politique et l'Etat ne font pas leur travail», souligne l'ancien diplomate français.

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Seule une «logique endogène» permettrait aux pays africains de décoller, estime cet expert en se référant aux pays du Sud-Est asiatique qui ont cessé «très tôt» de recevoir les aides et les transferts de savoir et de technologie, pour voler de leurs propres ailes. Dès lors, «le meilleur service à rendre au développement en Afrique, c'est bien d'arrêter les aides au développement», dont profitent, en premier lieu, des dizaines de milliers de fonctionnaires étrangers et nationaux et une myriade de consultants, expliquait Bigot dans une tribune au Monde.

En 2016, ce sont 24 milliards de dollars d'aide au développement qui ont été octroyés à l'Afrique subsaharienne par l'ensemble des pays industrialisés, selon les chiffres de l'OCDE.

La France est le cinquième contributeur mondial en la matière, alors que les Etats-Unis occupent la tête du classement. Au fil des ans, les aides sont plus ou moins stables. Même si le «taux» de pauvreté recule sur le continent, la croissance démographique fait que le nombre des pauvres, lui, ne cesse d'augmenter en Afrique, faisant ainsi le lit du terrorisme, d'après les chiffres de la Banque Mondiale.

«Faire des Africains des Occidentaux, c'est le but inavoué des aides au développement. Tant que des Africains chercheront l'aide et l'approbation de l'Occident, ils ne décolleront pas. En revanche, des pays ont pu le faire parce qu'ils ne cherchaient pas à plaire aux Occidentaux. C'est le cas de Singapour, et même d'une dictature comme le Kazakhstan dont l'économie croît à vue d'œil. Ce n'est pas dire que le développement est l'apanage des pays autoritaires. Des pays démocratiques, comme le Botswana, progressent aussi», conclut Laurent Bigot.

Contactée par Sputnik pour s'exprimer sur sa stratégie africaine, l'Agence française de Développement n'a pas donné de suite favorable à notre demande.

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