Monarchies du Golfe et financement du terrorisme, la fin de l’hypocrisie?

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Ryad et Doha se sont engagés à cesser les financements de mouvances extrémistes, d’après Emmanuel Macron. Un aveu pour le moins glaçant de part de deux pays alliés, mais qui met fin à un secret de polichinelle et annonce des changements de stratégies dans la région.

«Tout le monde savait»,

constate tristement Rolland Lombardi, consultant indépendant et spécialiste du Moyen-Orient. Ce n'était pourtant évoqué qu'à demi-mot, durant des années: «On n'a jamais pu prouver concrètement que ces deux monarchies du Golfe influençaient, et surtout finançaient et soutenaient matériellement des groupes islamistes, notamment en Syrie et en Libye».

Pourtant, l'aveu est on ne peut plus clair. Le prince héritier d'Arabie saoudite Mohamed Ben Salman «s'est engagé à ce que nous puissions lui fournir une liste et qu'il cesse les financements», a déclaré Emmanuel Macron dans une interview à France 24 et RFI, en marge d'un sommet à Abidjan.

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Une annonce qui a néanmoins de quoi surprendre, car si l'on peut soupçonner de laxisme les monarchies du Golfe dans leur lutte contre le groupe terroriste Daesh, on peut également s'interroger sur la volonté des pays occidentaux et de leurs alliés de lutter contre ce financement, par des fonds privés, d'organisations terroristes: «Ça fait trop longtemps qu'on en parle, mais pas assez longtemps qu'on agit», avoue le chef de l'État, avant d'ajouter: «C'est pourquoi dès maintenant, nous lançons cette opération, elle va se formaliser dans les prochaines semaines. Je souhaite que nous puissions avoir des résultats rapides.»

Louable initiative, mais comment contrôler un financement, tacite, qui fonctionne «par des moyens détournés, par des fondations, de manière indirecte avec des princes proches du pouvoir, ou par des associations proches du pouvoir»?

«La France n'aura peut-être pas tous les leviers, mais il y a de grosses instances internationales, notamment le Trésor américain, un des premiers à dénoncer en 2012 et 2013, certains agissements négatifs du Qatar, notamment le financement du Hamas et de certains groupes dans le Sahel», estime Rolland Lombardi.

Macron veut jouer le «franc-parler», d'après l'expert, car la situation au Moyen-Orient a changé depuis l'intervention russe en Syrie en 2015 et l'élection de Donald Trump aux États-Unis.

«C'était pour des raisons géopolitiques. Je ne sais pas encore quelle inflexion Macron va donner à notre politique dans le Golfe, mais jusqu'à présent, clairement, nos relations avec l'Arabie saoudite et le Qatar étaient basées sur une diplomatie économique, qui paralysait notre propre géopolitique dans la région. On l'a vu en Syrie, puisqu'on s'alignait sur les positions saoudiennes et qataries, et c'était assez préjudiciable».

La France a-t-elle suffisamment de poids pour faire pression sur les monarchies du Golfe?

«Elle suivra le mouvement: Russes et Américains mettent une très forte pression sur ces pays. Moscou et Washington seront écoutés». Parce que «dans les coulisses, tout le monde se parle, Russes, Américains, Iraniens. Donc, on peut voir un petit espoir d'amélioration dans la région.»

Difficile pour l'instant de savoir quels groupes seront visés dans cette fameuse «liste» que la France doit transmettre à l'Arabie saoudite et surtout avec quelles mentions, car les qualificatifs de «rebelles», «modérés», ou clairement «djihadistes», sont susceptibles d'avoir également évolué:

«Maintenant qu'il n'y a plus le soutien des pays les plus influents du Golfe qui jouent à ce jeu funeste, la France a toute liberté pour dénoncer certaines personnes, certains groupes. Les services de renseignement français ont fait remonter certaines notes qui n'ont pas été prises en compte, encore une fois à cause de notre politique, qui ne voulait pas gêner notre commerce et surtout l'influence de Ryad et de Doha.»

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C'est la fin d'une négation de longue date et le début d'une «nouvelle relation», si l'on en croit les promesses de Laurent Fabius, invité au micro de RTL en janvier 2015. Il assurait alors que le Qatar ne finançait pas le terrorisme: «Nous avions fait faire par nos services des enquêtes précises qui ont montré que ce n'est pas exact»» […] «S'il était avéré que les choses changent, nous changerions nos modes de relations. Mais il n'est pas question, n'y d'accuser injustement, ni si peu que ce soit d'être complaisant avec le terrorisme, qui est notre adversaire.»

«Encore une fois, je pense que les diplomates français suivent le mouvement, déjà entrepris par les Américains et Moscou. […] Certains groupes ont accepté de négocier, déposer les armes, d'autres se sont fait laminer. Je rappelle que l'Arabie saoudite et le Qatar avaient donné un certain nombre de liste de katiba, des groupes armés en Syrie, susceptibles ou de négocier, ou, pour le côté russe, être clairement éliminés.»

La France devra organiser, en 2018, une conférence de lutte contre le financement du terrorisme. Un peu plus tard lors d'une conférence de presse, le président Macron a indiqué avoir eu «cette discussion également avec les présidents Recep Tayyip Erdogan et Hassan Rohani», sans préciser si les présidents turc et iranien s'étaient engagés en ce sens.

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