Aéronautique, la coopération franco-russe prend son envol

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Le Groupe de Travail aéronautique franco-russe rassemble les acteurs privés et étatiques des deux pays dans le confort du huis clos. Pourtant, Marc Sorel, PDG de l’avionneur franco-russe PowerJet, a accepté de lever le voile pour Sputnik sur certains projets communs. En ligne de mire, la Chine.

L'aviation franco-russe à l'assaut de l'Empire du Milieu? La nouvelle peut surprendre, tant est méconnue la relation entre Moscou et Paris au niveau aéronautique. Elle est pourtant bien réelle, comme en témoigne Le Groupe de Travail aéronautique, qui se réunit au sein du Comité économique, financier, industriel et commercial (CEFIC) franco-russe depuis 1995.

Et les ambitions des avionneurs russes et français ne se limitent pas à leurs pays respectifs, comme l'explique Marc Sorel, Président-Directeur général de PowerJet, une coentreprise entre les motoristes français Safran Aircraft Engines et russe UEC-Saturn.

Lors de la dernière réunion du groupe de travail, les Français ont en effet «… évoqué le développement pour promouvoir le Sukhoï SuperJet en Chine et prévoyons une nouvelle application pour le SaM146, au-delà de Soukhoï, pour le Beriev 200. Nous avons des échanges intenses.»

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300ème moteur SaM146 pour PowerJet

L'entreprise PowerJet incarne à elle seule la «succes story» des relations franco-russes dans le domaine de la construction aéronautique: il y a quelques semaines, le 300e moteur SaM146 a été assemblé. Ce réacteur équipe les avions de transport régional Soukhoi SuperJet 100 et pourrait donc aussi être monté sur l'appareil de lutte anti-incendie Beriev 200.

Des ambitions affichées qui sont le fruit de longs processus de collaboration, notamment au niveau gouvernemental. Elles visent à mettre de l'huile dans les rouages de ces opérations internationales:

«Pour nous, une grande réussite de ce groupe du travail, c'est l'obtention d'exonération de droits de douane sur 95% de pièces qui composent le moteur SaM146, explique Marc Sorel, le Président-Directeur général de PowerJet,- ainsi que d'un système de remboursement de la TVA. Ça ne peut être mené que dans le cadre de ces groupes de travail étatiques, puisqu'on dépasse le cadre purement commercial d'une relation entre partenaires.»

Autre piste de fluidification des relations franco-russes, les deux gouvernements réfléchissent à simplifier la procédure administrative d'importation et d'exonération de droits de douane sur les pièces: «Nous sommes aujourd'hui dans une démarche de consolidation de ce qui a été fait», se réjouit Marc Sorel.

Sur le plan industriel, au sein de PowerJet, le partage des tâches entre Safran et NPO Saturn s'est fait de manière naturelle:

«Chez le motoriste, la partie la plus difficile à maîtriser, c'est la partie chaude, c'est à dire le corps haute pression, explique à Sputnik Marc Sorel. Lorsque nous avions commencé cette coopération sur le SaM146, le principal enjeu pour Safran Aircraft Engines (Snecma à l'époque) était de démontrer sa maîtrise de cette technologie pointue pour l'aviation civile.»

Safran Aircraft Engines développe donc le noyau haute pression, la boîte d'accessoires et le système de contrôle. La société française est également responsable de l'intégration des systèmes de propulsion et des essais en vol. C'est à Saturn que revient le développement du module de soufflante, ducompresseur et de la turbine basse pression. Le motoriste russe est aussi responsable de l'assemblage final du moteur et des essais au sol dans son usine de Rybinsk. 

Néanmoins, Marc Sorel fait état de façons de travailler très différentes entre les deux acteurs. Il rappelle que les méthodes employées par Safran ont été largement inspirées par celles de General Electric, collaborateur de longue date du constructeur français. Safran avait donc une certaine avance sur son partenaire russe.

«Nous essayons de faire profiter Saturn de cette connaissance de la gestion des programmes et de la chaîneindustrielle, détaille Marc Sorel. Je dirais que Safran fait bénéficier UEC-Saturn de son expertise, sur le même modèle de ce qu'a fait General Electric vis-à-vis de Safran au début de CFM.»

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Désormais, une nouvelle génération d'ingénieurs prend progressivement les commandes, sous l'impulsion de la direction d'UEC Saturn. Les deux mentalités aujourd'hui se rapprochent, même s'il y a toujours une différence culturelle. Pour les avionneurs français, cela représente un terreau fertile pour la création, même dans le domaine d'optimisation de procédés. «Nous n'avons pas la même façon d'aborder les problématiques, souligne Marc Sorel. Et c'est là que le partenariat est intéressant. Le partenariat, ce n'est pas à sens unique. La façon dont les ingénieurs russes approchent certaines problématiques techniques a permis aux ingénieurs français de faire évoluer leurs façons de faire.»

«Les Russes agissent avec les moyens plus limités, mais du bon sens. On se rend compte que la facilité qui pousse à investir davantage dans des machines ou du personnel peut être "corrigée" par le mode de fonctionnement russe,» souligne Marc Sorel.

Des différences d'approche qui ne font pas perdre de vue les objectifs communs, au contraire. Le partenariat franco-russe va même au delà du périmètre initial:

«On s'entend tellement bien même que Safran Aircraft EngineS coopère avec UEC-Saturn au-delà du SaM146, alors que personne ne l'y oblige. Le partenariat fonctionne, puisque Saturn fabrique aussi des pièces pour le moteur CFM56 et le moteur de nouvelle génération LEAP.»

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PowerJet SaM146

Enjeu majeur des industries de pointe, la dématérialisation et la numérisation sont au cœur des préoccupations de PowerJet. La CAO est utilisée depuis longtemps par l'entreprise, avec les leaders français du domaine. Le travail se fait de concert avec les partenaires russes. Marc Sorel précise que dans le partenariat entre Safran et Saturn, la dématérialisation n'est pas utilisée uniquement dans le design, mais également dans la gestion quotidienne, avec la signature ou l'envoi électronique de documents, tout en soulignant les limites de ces nouvelles technologies:

«Il y a pourtant un risque dans cette dématérialisation grandissante: une perte de l'essentiel, du contact, le partage et la relation humaine, facteurs clés pour aboutir dans les projets comme le nôtre. Je ne crois pas me tromper en disant que le succès du SaM146 c'est, avant tout, le succès de deux équipes dirigeantes successives. On aboutit au bon résultat grâce aux équipes qui se fréquentent, se connaissent bien et se font confiance.»

Autre défi pour cette entreprise, la logistique et la maintenance, facteurs clés de la qualité perçue par les clients. Le réseau PowerJet MRO comprend deux ateliers certifiés, à Saint-Quentin-en-Yvelines près de Paris et à Rybinsk en Russie, ainsi que deux centres logistiques, à Villaroche, et à Lytkaryno. Mais leur approvisionnement est encore perfectible, confesse Marc Sorel, qui souligne la pression de la demande. Six ans après le lancement du programme, les stocks n'ont toujours pas atteint un taux de remplissage a 100%. «Effectivement, on a eu tendance à trop privilégier les moteurs neufs et sous-estimer la disponibilité des pièces détachées pour nos clients et partenaires», souligne-t-il, ajoutant que la résolution de ce problème figurait en tête de leurs priorités: «Le SAV est un élément clé de la réussite d'un programme, assure Marc Sorel, parce que tout retard crée un préjudice moral et financier pour la compagnie aérienne et lui donne mauvaise réputation», explique-t-il, avant de rajouter:

«Pour le moteur, nous faisons tout pour que les délais soient respectés, nous avons un taux de disponibilité excellent —plus de 99%. Néanmoins, la priorité de PowerJet est de continuer à développer une offre de services adaptée aux besoins de nos clients. Nous voulons que nos partenaires considèrent le Soukhoï SuperJet comme un avion aussi disponible qu'un A320 ou un Boeing737.»

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La coopération aéronautique franco-russe en 10 projets-phares
En mars dernier, l'entreprise PowerJet a mis ses moteurs SaM146 à rude épreuve: les tests en vol se sont déroulés dans la ville la plus froide du monde, en Sibérie orientale, dans des conditions climatiques extrêmement sévères. En plein cœur de l'hiver, les températures peuvent descendre jusqu'à —60 °C, ce qui impose aux compagnies qui desservent de telles destinations de disposer de matériels extrêmement robustes. Bien que le moteur SaM146 a démontré une fiabilité exceptionnelle en environnement extrême depuis son entrée en service commercial avec Aeroflot en 2011, les avionneurs français ne reposent pas sur leurs lauriers. En effet, un moteur «mûrit» tout au long de sa vie, comme un organisme vivant, et chaque incident résolu lui permet de s'améliorer. Comme un adolescent, le SaM146 est encore en phase de croissance.

«Nous ne sommes pas encore au point de "moteur mature", c'est à dire à 10 ans d'utilisation, ou après trois shop visites dans nos ateliers. C'est un produit "vivant", on ne peut pas comparer un moteur qui est en opération depuis plus de 20 ans et cumule plusieurs millions d'heures de vol avec le SaM146, qui a aujourd'hui 700.000 heures de vol.»

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