L’Unesco, «prisonnier d’une vision tiers-mondiste et anti-occidentale»

© AFP 2023 MIGUEL MEDINA UNESCO
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Les États-Unis ont claqué la porte de l’Unesco, aussitôt suivie par Israël. En cause, le «parti-pris anti-israélien» de l’organisation. L’accusation est-elle fondée ou trahit-elle les a priori américains contre l’Unesco? À l’heure où les rapports de force évoluent dans les instances onusiennes, cette décision pourrait être lourde de conséquences.

«Aujourd'hui, cette organisation [l'Unesco, ndlr] est utilisée par les lobbys islamiques, propalestiniens pour en fait, faire une sorte de guerre symbolique, religieuse, pour détruire la légitimité même d'Israël sur les lieux saints du judaïsme.»

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Si l'on en croit le géopolitologue Alexandre Del Valle, les accusations portées par les États-Unis et Israël contre l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture seraient fondées. Des accusations qui justifient aux yeux de ces deux pays leur retrait de l'Unesco. Le gouvernement américain a en effet dénoncé les «partis-pris anti-israéliens» de l'instance internationale et a déclaré que «les contribuables américains ne sont pas obligés de payer pour des politiques hostiles à nos valeurs et qui se moquent de la justice et du bon sens.» Du côté de Tel-Aviv, le Premier ministre israélien accuse l'institution d'avoir «fait ces dernières années une place trop grande aux Palestiniens.»

«C'est logique que ces deux pays se retirent de l'UNESCO. Les États-Unis avec le prétexte de défendre Israël, mais aussi pour des raisons électorales et Israël, car c'est une question de survie. Aujourd'hui, l'Unesco comme les Nations unies sont de plus en plus prisonniers d'une vision, non pas multilatéraliste, mais tiers-mondiste et anti-occidentale», poursuit Alexandre Del Valle.

Pour David Khalfa, spécialiste des questions de politique étrangère et de sécurité et du conflit israélo-palestinien à l'Institut Prospective & Sécurité en Europe (IPSE), il faut replacer ces accusations en perspective:

«Ces accusations ne sont pas nouvelles, elles datent principalement de 2011 où l'UNESCO accueille la Palestine comme État membre. Cela avait déjà déclenché, Barack Obama était alors Président, une suspension de l'aide américaine.»

De fait, depuis cette période, la question israélo-palestinienne est l'objet de vifs débats place de Fontenoy, comme le rappelle David Khalfa:

«Ces dernières années, il y a eu des polémiques qui sont liées notamment au patrimoine et à la question de leur origine. Par exemple, le tombeau des patriarches à Hébron ou encore le site sacré de Jérusalem: Mont du Temple pour les juifs, le Haram al-sharif pour les musulmans. Le vocabulaire et la sémantique qui avaient été utilisés par les membres de l'UNESCO notamment lors de ces résolutions ne prenaient en compte qu'une partie de cette histoire et de cet héritage.»

Pour autant, la décision américaine ne semble pas dénuée d'arrière-pensées. Les États-Unis ne portent pas l'Unesco dans leur cœur, c'est le moins que l'on puisse dire et leur accusation de parti-pris ressemble aussi à une bonne excuse. Washington avait d'ailleurs déjà quitté l'organisation entre 1984 et 2003, car elle la considérait comme trop «communiste» et préparait son retrait de l'Unesco depuis 2011, comme nous le rappelle Emmanuel Dupuy, directeur de l'IPSE:

«Les Américains voulaient quitter l'organisation depuis bien longtemps et donc là il trouve un moyen assez médiatique de le faire. Ils ne payaient déjà plus depuis 2011, ils avaient retiré 20% de leur financement alors qu'ils en assuraient 33%. C'est une hostilité à l'organisation en tant que telle dont les Américains estiment qu'elle ne sert à rien.»

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En outre, en l'annonçant juste avant l'élection d'Audrey Azoulay à la présidence de l'institution, les États-Unis ont sans doute voulu marquer le coup. En tout état de cause, ces deux départs feront date et affaibliront fortement l'institution. Une institution déjà fragilisée par les dissensions entre les États membres sur la question israélo-palestinienne, comme nous l'explique David Khalfa:

«C'est un coup symbolique, car la raison d'être de l'UNESCO c'est la promotion de la culture, de la paix, de l'entente entre les peuples. Or, le conflit israélo-palestinien n'a cessé ces dernières années, en particulier depuis 2011, d'empoisonner les débats. Donc le départ conjoint des États-Unis et d'Israël écorne clairement l'image de l'UNESCO et l'affaiblit à l'international.»

Une institution affaiblie au point d'en saper les fondements? L'Unesco, comme toutes les structures dépendantes de l'Onu, est construite sur le principe du multilatéralisme, qu'Alexandre Del Valle estime actuellement dévoyée:

«Je pense que le multilatéralisme aujourd'hui est une chose très belle quand elle est équilibrée, mais il est victime d'une véritable offensive de la part de ce que j'appelle les pôles de l'islamisme radical mondial. Cela remet en cause non pas le multilatéralisme qui est une bonne chose, mais de ces institutions très vieilles, onusiennes qui deviennent de plus en plus des terrains d'affrontements entre l'Occident et le monde islamique, ou entre l'Occident et les États les plus anti-occidentaux comme le Venezuela.»

Si le propos est radical, il a le mérite de souligner que l'Unesco est le théâtre d'affrontements politiques et, au-delà, entre visions du monde antagonistes, ce que souligne aussi David Khalfa:

«C'est surtout qu'il y a des majorités automatiques avec un mix de pays qui sont des dictatures […] religieuses ou politico-militaires, pas des démocraties et donc cela crée souvent des conflits politiques.»

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En tout état de cause, si les États-Unis et Israël s'estiment heureux d'avoir affaibli une instance dont les orientations ne leur conviennent pas, leur manœuvre pourrait bien finir par se retourner contre eux. Car, qu'il s'agisse de conflit politique ou culturel ou d'un affrontement armé, quitter le champ de bataille équivaut à une défaite, rappelle Alexqandre Del Valle:

«Le problème est que si les États occidentaux parmi les plus virulents quittent ces institutions progressivement, il y aura encore plus de champ libre pour les ennemis du modèle occidental.»

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