Qu'en est-il de l'or de Daech?

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En novembre 2014, quelques mois après la proclamation d'un califat par le leader de l’État islamique Abou Bakr al-Baghdadi, les activistes de l'EI annonçaient qu'ils comptaient faire circuler leur propre monnaie: des dinars d'or et des dirhams d'argent «pour libérer les musulmans de la tyrannie financière des infidèles».

La décision d'instaurer cette monnaie commune aurait été prise par al-Baghdadi en personne et approuvée par la choura. Selon le site d'information Gazeta.ru.

Plusieurs médias liés à Daech avaient alors commencé à constituer une base idéologique pour l'émission de pièces de monnaie. Un article détaillé était ainsi consacré au dinar dans le premier numéro de la revue en ligne propagandiste Dabiq sorti par l'EI en novembre 2014, et dans le magazine Dar al-Islam paru en ligne en décembre 2014.

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L'EI s'est servi du concept coranique du dinar d'or islamique comme base de la nouvelle monnaie. Des devises du même nom (hormis le dinar il s'agit de pièces de moindre valeur — des dirhams d'argent et des fulûs de cuivre) circulaient en effet dans le Califat arabe apparu pendant la période d'instauration de l'islam. Pendant l'été 2015 a été diffusé un communiqué officiel informant que l'EI entamait la frappe de sa propre monnaie. A la même époque, les premières images des dinars du califat étaient publiées en ligne.

A la fin de l'été 2015, le centre médiatique de Daech Al-Hayat diffusait en ligne un film de propagande d'une heure intitulé «L'ascension du califat et le retour du dinar d'or» consacré au caractère successif, religieux et traditionaliste de la nouvelle monnaie.

«L'islam nie l'utilité de l'argent papier. Selon la charia, l'argent doit posséder une valeur réelle. Et si quelqu'un aspire à la pureté de l'islam, il est avant tout confronté au concept de monnaie de change. L'argent papier est haram (interdit)», explique Andreï Tchoupryguine, professeur à l'École d'études orientales du Haut collège d'économie de Moscou.

La pièce d'un dinar doit peser 4,25 g d'or, celle de 5 dinars cinq fois plus, soit 21,25 g. Les dirhams d'argent doivent avoir des valeurs de 1, 5 et 10 — un dirham doit ainsi peser 2 g, 10 g pour 5 dirhams, et ainsi de suite. De la même manière, les proportions doivent être respectées avec les fulûs.

La valeur de la plus grande pièce de 5 dinars par rapport au cours d'or était à l'époque de 694 dollars. La monnaie la moins chère — 10 fulûs de cuivre — contenait du métal pour 7 cents de dollar.

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Andreï Tchoupryguine note qu'il n'a pas trouvé dans les textes sacrés des musulmans l'indication exacte du poids d'une pièce canonique, «mais cela ne signifie pas que ce n'est pas le cas» et explique l'existence d'une telle mesure comme «historiquement établie, qui pendant la période d'apparition de l'islam a été empruntée aux monnaies byzantines et perses».

Le dinar d'or du califat a été pensé, entre autres, en tant que contrepoids à la monnaie internationale comme le dollar et l'euro pour déstabiliser le système financier international, à défaut de pouvoir le détruire, et provoquer une crise économique dans les «pays des croisés».

En automne 2015 les services secrets turcs ont découvert un «hôtel des monnaies» émettant les pièces de Daech dans la ville turque de Gaziantep, près de la frontière syrienne. Le passage frontalier en Syrie, même s'il était contrôlé par les terroristes de Daech côté syrien, fonctionnait en régime normal.

En février 2015, les médias irakiens ont annoncé l'ouverture, par le califat, de la Banque islamique à Mossoul. Cette banque était supposée délivrer des prêts à la population et réaliser des opérations de change, ainsi qu'effectuer des versements réguliers aux soldats de Daech et aux fonctionnaires locaux.

Le dollar pour la vie

La période de «prospérité» de l'EI a duré de l'été 2014 à fin 2015, puis les terroristes ont commencé à perdre progressivement des territoires, l'exportation pétrolière devenait plus complexe, les bombardements de la coalition menée par les USA s'intensifiaient et la Russie s'était jointe aux frappes contre les radicaux sur le territoire syrien. Mais même pendant ses meilleurs jours l'organisation terroriste n'a pas réussi à mettre en circulation sa propre monnaie. Même si l'usage du dinar d'or était un point de la campagne des radicaux.

Les réfugiés qui ont vécu un certain temps sous le pouvoir des terroristes à Raqqa ont expliqué qu'au contraire, l'EI imposait l'utilisation sur son territoire des dollars américains.

«Les djihadistes se promenaient avec des liasses de dollars et payaient partout uniquement avec ces derniers. La livre syrienne n'était pas du tout reconnue», a déclaré Ihlias, qui a fui de Raqqa à Damas en automne 2014.

Néanmoins, l'Armée syrienne libre (ASL), le Front al-Nosra (organisation interdite en Russie) et d'autres groupes opposés aussi bien à Daech qu'au gouvernement légitime syrien n'ont pas renoncé à l'usage de la livre syrienne sur leur territoire. Seuls les billets de 1.000 livres étaient retirés de la circulation car le père du président actuel, Hafez al-Assad, était représenté sur ces billets de banque. La situation est la même dans l'autonomie des Kurdes syriens à Rojava: tous les billets, sauf de 1.000 livres, sont en circulation.

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Une approche similaire à celle de Raqqa était en vigueur dans les possessions irakiennes de Daech. Dans la plus grande ville contrôlée par les djihadistes, Mossoul, où même en période de règne des terroristes vivaient jusqu'à 1,5 million de personnes, deux monnaies étaient en circulation: le dinar irakien et le dollar américain. Selon le rédacteur en chef de la revue en ligne EzidiPress Rustam Rzgoyan, sur le territoire irakien contrôlé par l'EI circulaient essentiellement des dollars américains, et dans une moindre mesure la population et les terroristes utilisaient le dinar irakien.

Ce système est similaire à celui du Kurdistan irakien, région autonome du nord de l'Irak. Dans les plus grands supermarchés de l'autonomie on peut payer aussi bien en dollars qu'en dinars. Le cours est stable depuis relativement longtemps, à 1.200 dinars pour 1 dollar. Dans les magasins privés les vendeurs acceptent également les dollars et, si besoin, rendent la monnaie dans la même devise.

Les dinars du califat font long feu

«Nous savons que les émissaires de Daech sur les territoires contrôlés achetaient de l'or et de l'argent dans toutes les bijouteries, explique Andreï Tchoupryguine. Ils préparaient manifestement un stock de métaux précieux pour frapper des monnaies d'or et d'argent. En principe, des rumeurs circulaient indiquant qu'une partie de ces monnaies était déjà prête. Mais je ne connais aucun témoignage réel de leur mise en circulation.»

Evguenia Gvozdeva, directrice des programmes du Centre européen d'études stratégiques et de sécurité, confirme qu'en 2015-2016 l'EI achetait et saisissait l'or sur son territoire. «Daech a effectivement confisqué l'or et l'argent des magasins nationalisés, mais il l'a fait également avec d'autres objets, a déclaré l'experte. On pourrait logiquement supposer que cela a été fait pour lancer l'émission d'une monnaie, mais d'un côté ils auraient pu simplement vendre l'or, comme le pétrole et bien d'autres denrées.»

Evgueni Gontcharov, de l'Institut d'études orientales affilié à l'Académie des sciences de Russie, rappelle qu'à une certaine période on trouvait sur internet des vendeurs de dinars du califat. «Tous ceux qui vendaient à l'époque ces pièces de monnaies le faisaient depuis Israël, souligne le spécialiste. Et ils demandaient pour ces dinars une somme raisonnable.»

Evguenia Gvozdeva pense que les déclarations des dirigeants et des membres de l'EI concernant l'émission de leurs propres dinars et des monnaies de moindre valeur en sont restées au stade des paroles, pour contribuer à la propagande générale. En effet, rien ne vient confirmer que la monnaie a bien été mise en circulation. «Daech a publié l'aspect des pièces de monnaie, leurs caractéristiques. Il y a eu de nombreuses images et vidéos. Mais sans plus», note l'experte.

D'après elle, il existe une raison objective pour laquelle l'EI aurait pu renoncer, en dépit des tentatives, au lancement de sa propre monnaie intérieure. «L'économie du califat est orientée vers l'export. Ce n'est pas la Corée du Nord. Jusqu'en 2017 Daech était actif dans la contrebande d'objets d'art, la vente d'otages, de pétrole et d'autres ressources. Mais l'EI ne le vendait pas aux citoyens syriens ou irakiens. Il serait risqué d'instaurer sa propre monnaie dans ces conditions d'un point de vue purement économique», indique l'expert.

Le pétrole, qui était le principal revenu du «califat», était vendu par Daech pour une monnaie librement convertible. L'usage de sa propre monnaie aurait compliqué les opérations — il aurait fallu acheter le pétrole pour de l'or directement ou procéder à des opérations supplémentaires pour convertir les dollars et les euros obtenus en métaux précieux.

D'autres activités — le commerce d'objets anciens volés dans les musées et obtenus en tant que rançon pour les otages — n'auraient pas non plus apporté de revenus directs en or et en argent.

En mars 2017, des représentants de l'EI ont annoncé qu'à partir du 12 avril toutes les transactions commerciales, soi-disant réalisées auparavant en dinars d'or et en dirhams d'argent, se feraient en fulûs. D'après la déclaration, cette mesure a été instaurée pour «protéger les musulmans et leurs marchandises contre les billets dont la valeur est dérisoire».

«Cet épisode pourrait être interprété comme la fin de la monnaie de Daech. D'ailleurs, le créateur supposé des dinars du califat, le chef du trésor de Daech, a été tué le 2 juillet 2017 dans la ville de Tal Afar», conclut Evguenia Gvozdeva.

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur de l'article repris d'un média russe et traduit dans son intégralité en français.

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