En effet, Moscou négocie avec Téhéran des contrats d'armement pour 10 milliards de dollars et l'Inde compte acheter à la Russie 464 chars T-90 — New Delhi est déjà le plus grand acheteur de matériel militaire russe.
A l'issue de son entretien avec le président iranien Hassan Rohani, la présidente du Conseil de la Fédération ( chambre haute du parlement russe ) Valentina Matvienko a annoncé que les relations avec l'Iran étaient passées "au niveau de partenariat stratégique". Cette formulation pourrait receler non seulement des tâches politiques, mais également une étroite coopération militaro-technique — une lutte efficace contre le terrorisme est impossible sans des forces armées modernes et bien préparées.
Le 14 novembre, le chef de la commission du Conseil de la Fédération pour la défense et la sécurité Viktor Ozerov a déclaré que l'Iran était très intéressé par les chars T-90, des systèmes d'artillerie, des avions et des hélicoptères russes. La volonté de Téhéran de signer un contrat aussi important paraît parfaitement logique: actuellement l'armée iranienne fait partie des plus faibles en matière d'équipements techniques par rapport à d'autres pays d'Asie et du Moyen-Orient.
Après la Révolution islamique de 1979, l'Iran a été privé de la possibilité de recevoir des armements modernes. Les USA, la France et d'autres pays occidentaux ont rompu les relations avec ce pays, qui dans les années 1980 n'a pas réussi à nouer une coopération étroite avec l'URSS. Dans ces conditions d'isolement international, la Chine était devenue l'unique source de technologies militaires du pays — mais à l'époque Pékin était très en retard dans ce domaine.
L'état de l'armée de l'air iranienne est tout aussi déplorable. Son noyau se compose aujourd'hui de Phantom américains F-4, F-5 et F-14, ainsi que de chasseurs soviétiques MiG-29 et de bombardiers Su-24. La marine ? Les forces navales de la république comptent 3 sous-marins diesel soviétiques du projet 877 Paltous, 20 sous-marins réduits de construction iranienne, 5 corvettes, 10 vedettes lance-missiles, 10 petits navires de débarquement et 50 patrouilleurs.
Pendant ses années d'isolement, l'Iran n'a pas réussi à créer un complexe militaro-industriel capable de fabriquer des copies de bonne qualité des modèles étrangers. Dans le même temps, Téhéran ne pourra pas faire son grand retour sur la scène internationale sans une modernisation conséquente des forces armées du pays. Compte tenu des relations tendues de l'Iran avec les USA, la Russie est probablement un fournisseur d'armes modernes sans alternative.
Une question de temps
Ces 20 prochaines années, les entreprises russes pourraient avoir un carnet de commandes de plusieurs milliards de dollars et, théoriquement, l'Iran serait susceptible de dépasser l'Inde dans le classement des plus grands acheteurs d'armes russes. A l'heure actuelle, deux problèmes se posent pour Moscou et Téhéran: les sanctions et la dépression économique. Le premier obstacle devrait disparaître d'ici 2020 et le second dépend presque entièrement du prix des hydrocarbures.
Le 14 juillet 2015, l'Iran a accepté une transaction sous-entendant la levée des sanctions économiques internationales en l'échange de l'abandon des travaux du pays dans le secteur nucléaire. Pratiquement toutes les sanctions ont été levées contre Téhéran mais d'autres ont été décrétées sur les fournitures d'armes. Conformément à la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies du 20 juillet 2015, jusqu'en 2020 les vendeurs doivent faire valider toute la liste des armements à livrer à l'Iran par les membres du Conseil de sécurité des Nations unies.
Anton Mardassov, chef du département d'étude des conflits au Moyen-Orient à l'Institut du développement innovant, estime que la signature d'accords pour livrer des armes à l'Iran est une question de temps: « Il est possible de signer des contrats mais ils seront bloqués au Conseil de sécurité des Nations unies. Pour l'instant nous préparons le terrain pour évoquer l'aspect économique. De tels contrats prennent du temps à être préparés. Une période de 5 ans pourrait bien être nécessaire pour évoquer tous les détails ».
L'expert pense que l'Iran s'est engagé dans un jeu diplomatique pour obtenir les meilleures conditions: « Téhéran fait pression sur l'Occident en disant vouloir acheter une quantité significative d'armes russes pour le forcer à faire des concessions. Il ne faut pas croire qu'il sera possible d'imposer à l'Iran des conditions politiques en échange — par exemple des remises ou un prêt pour la livraison d'armes. L'unique allié de l'Iran est l'Iran lui-même, et l'incident de la base aérienne de Hamadan, quand les Iraniens ont changé d'avis et ont refusé à la Russie le droit de l'exploiter, est un parfait exemple de l'attitude qu'ils ont envers nos accords », souligne Sergueï Demidenko.
Des centaines de T-90 pour l'Inde
Le docteur en histoire Sergueï Lounev, professeur de la chaire d'études orientales de l'Institut d'État des relations internationales de Moscou ( MGIMO ), estime que la priorité de la Russie sur le marché mondial de l'armement ne consiste pas à convaincre ceux qui hésitent, mais à travailler avec les partenaires qui ont déjà fait leurs preuves. Dans le cas contraire, les pertes financières et les risques politiques seraient inévitables. Selon l'expert, à l'heure actuelle il est donc prioritaire de satisfaire les besoins en T-90 des clients indiens, qui ont une réputation pratiquement irréprochable.
La semaine dernière, l'agence Sputnik, se référant à ses sources, a annoncé que l'Inde comptait acquérir 464 chars russes T-90 selon une décision de la commission du ministère de la Défense pour les achats militaires. L'Inde compte armer ses forces avec la dernière version du fameux char russe, le T-90MS, doté de caméras thermiques ( pour la vision de nuit ) et de systèmes supplémentaires de protection contre les armes antichars. La décision de la commission pour les achats militaires n'est pas définitive mais permet déjà d'entamer les négociations.
Igor Korottchenko, directeur du Centre d'analyse du commerce mondial de l'armement, a précisé qu'il était question d'un nouveau grand contrat. Le rédacteur en chef du magazine Moscow Defense Brief, Vassili Kachine, expert du Centre d'analyse des stratégies et des technologies, rappelle que la procédure indienne de validation des achats d'armements est très complexe. Selon lui, cette information est une bonne nouvelle mais il ne faut pas s'attendre à la signature d'un contrat à court terme.
Selon Anton Mardassov, le rapport qualité-prix du T-90 fait de lui l'un des meilleurs chars du monde, qui remplit parfaitement ses missions dans toutes les conditions climatiques: « Le char russe fait preuve de robustesse et d'une importante puissance de feu. Comme il est une arme de percée, le T-90 peut vraiment déployer toutes ces caractéristiques ».
Il est difficile de surestimer le rôle de l'Inde en tant qu'importateur de matériel russe. La coopération militaire avec New Delhi ne se limite pas à la fourniture de kits pour assembler des chars. Selon les statistiques de l'Institut international de recherche sur la paix de Stockholm ( SIPRI ), en 2011-2015 l'Inde représentait 39 % des exportations d'armements russes. En 2014, la Russie représentait 50 % des dépenses de New Delhi pour l'achat de matériel militaire ( 2,146 milliards de dollars ), contre 25 % pour les USA ( 1,138 milliard de dollars ).
La Russie reste le deuxième plus grand exportateur d'armes au monde. Dans le classement de SIPRI, sur la période 2011-2015 Moscou détenait 25 % du marché ( +3% par rapport au quinquennat précédent et 28 % en équivalent monétaire ). Ses principaux acheteurs, hormis l'Inde, sont le Vietnam, la Chine, ainsi que les pays d'Afrique et du Moyen-Orient.
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