Lanceur récupérable: rupture technologique, ou opération de communication ?

© Flickr / SpaceXLanceur “Falcon 9”
Lanceur “Falcon 9” - Sputnik Afrique
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En cette année 2016, la société “Space X”, du fort médiatique Elon Musk, a annoncé un 3ème succès dans sa tentative de récupération du premier étage de son lanceur “Falcon 9”.

Celui-ci a réussi un atterrissage en douceur sur une barge à environ 650 km au large de la Floride, après plusieurs échecs. De son coté, le système suborbital “New Shepard” lancé par Jeff Bezos, patron d’Amazon, à réussi 3 atterrissages en douceur sur la terre ferme. Que penser de tout cela, au delà de la performance technique ? révolution, ou… opération de communication ?

Une idée pas si neuve…et jusqu’à présent des tentatives peu concluantes

L’idée de réutiliser un lanceur spatial n’est pas neuve. Effectivement, d’un point de vue logique, il paraît difficile d’admettre qu’un lanceur spatial soit condamné à ne servir qu’une seule fois. Imagine t-on qu’il faille mettre à la casse un avion au bout d’un seul vol ?

Le problème, c’est que la logique qui prévaut dans le monde “terrestre” n’est pas nécessairement transposable à l’échelle spatiale. Arianespace avait envisagé dès ses débuts de récupérer le premier étage de son lanceur Ariane, qui retombe dans l’Atlantique au bout de 2 minutes de vol. Une tentative fût faite lors du 10ème lancement : c’était le 2 juillet 1985. Devant des résultats peu concluants, l’idée fût abandonnée. Et bien sûr, il y eut la navette, ou plutôt les navettes spatiales américaines. Censées révolutionner le transport spatial grâce à un système réutilisable, et prêtes à repartir pour l’espace très rapidement après une simple révision, d’après le discours de la NASA de l’époque, elles se révélèrent au final… dix fois plus coûteuses à mettre en œuvre que les fusées classiques – le montant exact ne sera jamais connu avec précision – et d’une disponibilité effective extrêmement réduite. Si l’on divise les 135 vols effectués par la durée d’exploitation, 30 ans, et le nombre de navettes mises en service, 5, on arrive à une moyenne d’à peine une mission par navette et par an… D’un prix de revient exorbitant, et au final dangereux pour les équipages (14 astronautes y trouvèrent la mort lors des deux échecs) le système navette fût mis définitivement à la retraite en 2011 et ses installations démantelées.

Petit retour aux fondamentaux du vol spatial.

Nous avons évoqué l’avion au début de cet article, mais la comparaison s’arrête là. La performance demandée à un lanceur ne saurait se comparer à celle du plus performant des avions, elle lui est supérieure de plusieurs ordres de grandeur. La puissance développée est rappelons le, phénoménale: une Ariane V au décollage déchaîne 1.300 tonnes de poussée, soit environ la poussée réunie de 100 avions de chasse !  le tout dans un volume restreint et avec une masse limitée : si un moteur de voiture avait le même rendement qu’un moteur fusée, il occuperait le volume d’une petite boite d’allumettes… Subissant des contraintes extrêmes (vibrations, températures en sortie de tuyère de l’ordre de 3.000°) la durée de vie “certifiée” d’un moteur fusée de premier étage est des plus limitée : 2 minutes environ.

La masse inutile, ennemie du lanceur

Les systèmes permettant la réutilisation d’un étage se font nécessairement au détriment de la performance globale : car l’engin embarque alors des systèmes et des ergols qui ne participent pas à la propulsion. Space X l’a d’ailleurs annoncé : cela se traduit par une perte de 30% de charge utile, ce qui est énorme. Les bras articulés servant à se poser pèsent environ 2 tonnes, auquel il faut rajouter le carburant embarqué servant à l’atterrissage, et pas à l’accélération de l’ensemble. Ce qui au final, impacte les missions en orbite géostationnaire qui requièrent une performance maximale du lanceur, car elles sont très énergétiques (vitesse finale requise pour la charge utile de 9,5 km/seconde). Fâcheux : car 90% des missions dites commerciales (confiées à Ariane ou Proton) concernent justement cette orbite, utilisée aujourd’hui par la quasi totalité de satellites de Télécommunication et de Télévision notamment !  Ce qui signifie donc que pour toutes ces missions, le concept serait inopérant, à moins d’embarquer un ou des satellites dont la masse totale est nettement inférieure à la performance théorique du lanceur.

Notons enfin qu’à l’heure actuelle, seule la récupération du premier étage semble envisagée. La récupération d’un deuxième étage poserait encore plus de problèmes, car étant donné sa vitesse finale, il faudrait l’équiper d’un bouclier de protection thermique pour assurer sa rentrée dans l’atmosphère comme une capsule ou une navette spatiale. Encore de la masse “inutile” en plus pour le lanceur. 

Le plus dur est à venir…

Récupérer l’étage n’est pas une fin en soi. Il faut le faire revoler, avec la même fiabilité et les mêmes performances. A ce stade, les difficultés à venir ne doivent pas être sous estimées. 

Si Space X veut réutiliser ses moteurs, cela signifie qu’il doit augmenter – doubler, tripler ou quadrupler — la durée de vie certifiée de ceux-ci. Un choix qui comporte des risques et des difficultés importantes si l’on se réfère à ce qui a été exposé plus haut : les éléments sont soumis à des contraintes extrêmes. Et la probabilité de défaillance d’un élément augmente logiquement de manière proportionnelle, — et même plus que proportionnelle — à la durée de fonctionnement, et au nombre de moteurs. Or, le 1er étage de Falcon n’en compte pas moins de 9… contre 5 au lanceur Soyouz [1] et 3 seulement pour Ariane V par exemple. Ces nombreux moteurs sont autant de risques de défaillance ; et toute panne moteur a généralement des conséquences fatales sur le déroulement d’une mission.

Il est exclu que le premier étage puisse simplement être à nouveau rempli d’ergols et replacé sur son pas de tir sans une révision approfondie et un démontage. Car un lanceur est un objet fragile : il a l’indice constructif d’un œuf de poule ! Ainsi, les réservoirs des fusées Atlas étaient si légers, et si minces, qu’il fallait les remplir de gaz sous pression tant qu’ils étaient vides, sous peine de les voir se déformer sous leur propre poids… Les vibrations et les accélérations subies durant le vol nécessiteront à l’évidence une révision approfondie, et le remplacement éventuel de certains éléments, forcément coûteux de l’étage récupéré. 

En conclusion, il y a loin de la coupe aux lèvres en ce qui concerne l’utilisation de lanceurs éventuellement récupérables. Si la récupération de l’étage est évidemment la condition nécessaire, elle est très loin d’être suffisante. L’essentiel sera de démontrer que l’étage propulsif récupéré peut être réutilisé après une remise en état relativement rapide et pas trop coûteuse. Puis, revoler avec le même degré de fiabilité et de performance qu’un étage neuf, ce qui est loin d’être gagné. Et, si les difficultés finissent par être maîtrisées, l’économie réalisée risque en définitive d’être assez marginale. Il est frappant de constater que les autres grandes puissances spatiales, Russie, Europe, Chine, Japon… ne bougent pas sur ce domaine. Car pour révolutionner le transport spatial, ce n’est pas une économie, même de l’ordre de 20 à 30% qu’i faudrait réaliser, même si elle ne peut être que la bienvenue. Il faudrait diviser le coût d’un facteur 100… ce qui semble totalement hors de portée avec les technologies actuelles, même améliorées.  

 

[1] Malgré les multiples tuyères visible au bas du Soyouz il n’y a en fait que 5 blocs moteurs RD-107/108: chaque bloc moteur Soyouz comprenant 4 chambres principales plus 2 ou 4 petites tuyères de pilotage pour le 1er et 2ème étage. 

 

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