L’acier chinois: un casse-tête bien trempé

© REUTERS / Kim Kyung-HoonA worker walks past a pile of steel pipe products at the yard of Youfa steel pipe plant in Tangshan in China's Hebei Province in this November 3, 2015 file photo.
A worker walks past a pile of steel pipe products at the yard of Youfa steel pipe plant in Tangshan in China's Hebei Province in this November 3, 2015 file photo. - Sputnik Afrique
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Plusieurs ministres européens de l’économie ont adressé une lettre commune à la Commission européenne afin de faire part de leurs inquiétudes face à ce qu’ils jugent être des méthodes commerciales déloyales de la part des aciéristes chinois.

Le cours de l'acier et les prix des métaux ferreux ne cessent de s'effondrer depuis plusieurs années, et ce lundi les ministres de l'économie allemand, belge, britannique, français, italien, luxembourgeois et polonais ont dans une lettre commune décidé d'enjoindre la Commission européenne à « utiliser tous les moyens disponibles » afin d'« agir fortement pour répondre à ce nouveau défi », que constitue le « risque important et imminent d'effondrement du secteur européen de l'acier ».

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Un défi lancé par la surabondance de l'offre sur le marché de l'acier, principalement en provenance de Chine, qui est accusée de « dumping » par les ministres et les producteurs d'acier européens. Une situation de surabondance qui avait d'ailleurs poussé la Commissaire européenne au commerce, Cecilia Malmström, à demander des mesures de réduction des capacités de production aux autorités chinoises fin Janvier.

Une situation excédentaire, qui ne fait qu'amplifier une chute des cours déjà « considérable » pour notre expert: Philippe Chalmin, professeur à l'Université Paris-Dauphine, et spécialiste des marchés des matières premières, qui, même s'il n'exclut pas l'existence d'une forme de dumping de certaines sidérurgies chinoises, tient à faire le point sur une situation plus compliquée qu'il n'y parait:

« Il faut bien se rendre compte que, certes la Chine est une économie extérieurement et centralement planifiée, maintenant il serait faux de penser qu'il y'a un seul centre de décision en ce qui concerne l'acier en Chine. En réalité vous avez pratiquement près d'une centaine de sidérurgistes, le premier d'entre eux, Baosteel, ne pesant de mémoire qu'une cinquantaine de million de tonnes, et donc en réalité le problème est que même l'état central chinois a beaucoup de mal à mettre quelqu'ordre que ce soit dans l'industrie sidérurgique ».

Une coordination des acteurs nationaux de l'industrie sidérurgique d'autant plus difficile que la Chine est en pleine mutation économique; après avoir soutenue une croissance débridée via un développement industriel intense et particulièrement gourmand en acier, elle se recentre aujourd'hui sur son marché domestique. Ce qui n'est pas sans provoquer une certaine surcapacité de production. Une surcapacité, contre laquelle le gouvernement n'aurait pas toutes les clefs en main, si on en croit notre expert:

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« Le gouvernement central chinois a beau dire qu'il faut fermer des capacités obsolètes, celles-ci résistent avec souvent le soutien des provinces ou des municipalités concernées. Donc on est dans une situation relativement complexe, dans laquelle il est clair que chaque sidérurgiste chinois joue sa propre carte, utilise les subventions locales, utilise aussi très probablement des rabais de TVA et autres et n'hésite pas, je pense, à vendre dans certains cas en dessous des prix de revient sur les marchés internationaux ».

Une surcapacité de production, dont le produit se retrouve exporté quoiqu'il en coute… et l'Union Européenne, marché consommateur historique, figure bien entendu parmi les destinataires. Cependant, si la demande européenne n'a pas augmentée, les importations d'acier chinois auraient quant à elles été multipliées par 3 entre 2010 et 2014, selon Eurofer, la corporation en charge de la défense des intérêts du corps de métier à Bruxelles.

Si bien qu'en Mars 2015, l'Europe avait déjà mis en place un éventail de mesures anti-dumping à l'encontre de l'acier laminé inoxydable en provenance de Chine et de Taïwan. Des mesures, prenant la forme de taxes compensatoires allant de 10,9% à 25,2% que la Commission Européenne pourrait décider de reconduire. Si la Commission s'est dite à l'écoute des états membres, et prête à ouvrir des enquêtes de sa propre initiative afin de prévenir les intérêts européens de tous dommages causés par des pratiques déloyales, elle doit néanmoins agir dans le cadre des règles de l'OMC.

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L'Organisation Mondiale du Commerce auprès de laquelle la Commission devra déposer un recours pour qu'une enquête soit instruite afin de déterminer si les aciéristes chinois ont bel et bien eus recours à des méthodes commerciales déloyales, avant d'éventuellement établir des droits de douane. Une procédure qui peut s'avérer longue: dans l'affaire des tubes en acier sans soudure, la reconnaissance par l'OMC du bienfondé des allégations des autorités japonaises à l'encontre de violation des règles anti-dumping par la Chine avait pris… plus de deux ans.

Sur ce dernier point, les 7 ministres de l'économie, se sont montrés insistants, priant la Commission de « ne pas attendre que les dommages causés par les pratiques déloyales deviennent irréversibles pour notre industrie ». Cependant, d'ici là tout n'est pas perdu pour tout le monde: si la chute du cours de l'acier fait grincer les dents des producteurs européens, les industriels qui emploient l'acier dans la transformation de leurs produits finis se frottent les mains, comme Whirlpool par exemple, pour qui l'acier entre dans la composition des lave-linges…

« Effectivement, il faut resituer la baisse des prix de l'acier, dans le contexte général de la baisse des prix de l'ensemble des matières premières: que ce soit l'énergie, que ce soient les métaux non ferreux, et donc une zone largement importatrice et consommatrice comme l'Europe, aurait tendance à en profiter… maintenant se pose le problème de la survie des dernières aciéries européennes: lorsque l'on voit par exemple Arcelor-Mittal fermer des capacités de production au Pays basque espagnol, lorsque l'on voit les problèmes rencontrés en Italie, lorsqu'on se pose les problèmes de l'avenir de la Lorraine, tout ceci marque bien peut-être la fin d'une époque, il faut être bien conscient, même si on peut presque dire que « c'est la faute à la Chine », que la Chine est confrontée à d'énormes problèmes, ils ont vécu avec une période durant laquelle la consommation d'acier augmentait de presque 15% par an, je pense qu'ils ont atteint ce qu'on pourrait appeler le « pic-steel », […] ce qui va leur poser d'énormes problèmes et eux aussi vont être confrontés à la situation de fermer des capacités ».

Si les chinois totalisent à eux seuls plus de 60% de la production mondiale d'acier, en progression constante, notre expert exclut toute crainte des européens vis-à-vis d'un monopole chinois et donc d'une dépendance des économies européennes vis-à-vis d'une source d'approvisionnement contrôlée par Pékin:

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« Non, je ne le pense pas, parce que nous sommes sur un marché, où certes la Chine pèse plus de la moitié de la production mondiale, mais cela se déplacera peu à peu vers l'Inde, les grands marchés à venir seront sur le marché indien: donc je ne pense plus qu'aujourd'hui la sidérurgie soit une industrie stratégique ».

Une crainte qui serait d'autant plus infondée que si les acteurs de l'aciérie mondiale sont aujourd'hui quasiment tous extra-européens, il en existe néanmoins un, et pas des moindres qui subsiste dans le giron européen: le leader mondial du secteur Arcelor-Mittal, l'ancien français Arcelor, repris début 2006 par le néerlandais Mittal via une offre publique d'achat hostile, et aujourd'hui sous couleurs luxembourgeoises. Lakshmi Mittal avait d'ailleurs été l'un des premiers à enjoindre la Commission européenne à agir face aux pratiques commerciales des aciéristes chinois.

L'Europe reste après la chine le deuxième producteur d'acier au monde, avec 170 millions de tonnes produites par an, soit un peu plus de 11% de la production mondiale. Un secteur qui représente plus de 170 milliards d'euros et 330 000 emplois, mais dans lequel Commission Européenne dénombre jusqu'à 40 000 emplois détruits ces dernières années.

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