Russie: les nations nordiques entre hypocrisie et paranoïa

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Entre hypocrisie et paranoïa, les ministres finlandais, suédois, norvégien, et danois de la Défense ainsi que le ministre islandais des Affaires étrangères annoncent leur intention de mieux coopérer militairement face à une résurgence de la menace russe. Analyse de Philippe Migault.

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La tribune signée conjointement dans le quotidien norvégien Aftenposten par les ministres de la défense finlandais, suédois, norvégien, danois et par le ministre des affaires étrangères islandais, dans laquelle ces cinq responsables politiques annoncent leur intention de mieux coopérer militairement face à une résurgence de la menace russe, relève à la fois de l’exercice d’hypocrisie et de la paranoïa.

De l’hypocrisie en premier lieu car ces Etats, qui invoquent « la crise ukrainienne et l'annexion de la Crimée par la Russie », en mars 2014, pour justifier de cette ébauche d'alliance nordique n'ont pas attendu les manifestations de Maïdan pour marquer leur défiance vis-à-vis de la Russie et leur attrait pour une coopération accrue avec l'OTAN.

Dès 2009 la création de NORDEFCO (NORdic DEFence COoperation) entre les cinq Etats signataires de la tribune annonçait déjà cette volonté de rapprochement alors qu'à Kiev Viktor Iouchtchenko, farouche partisan de l'intégration de l'Ukraine dans l'OTAN et l'UE était encore au pouvoir. Dans les faits, la Suède et la Finlande n'ont cessé de se rapprocher peu à peu de l'Alliance Atlantique depuis leur intégration au sein de l'Union Européenne, c'est-à-dire depuis 1995.

On peut comprendre cette attitude un peu paranoïaque de la part de la Finlande à l'aune des guerres qui ont opposé Soviétiques et Finlandais en 1939-1940 puis entre 1941 et 1944. La « finlandisation », expression aujourd'hui courante du langage diplomatique, a aussi laissé des traces dans les relations entre Moscou et Helsinki. La proximité culturelle enfin entre Finlandais et Estoniens, ces derniers figurant parmi les plus farouches atlantistes et opposants à la Russie, peut expliquer cette volonté finlandaise de s'intégrer au sein d'un bloc nordique regroupant nations scandinaves, finno-ougriennes et baltes.

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Le Danemark, qui a fourni via Anders Fogh Rasmussen le secrétaire général de l'OTAN le plus russophobe de l'après-guerre froide et qui souhaite s'intégrer au sein du dispositif de défense antimissile de l'OTAN en Europe, a sans doute saisi la balle au bond pour répondre du tac au tac aux déclarations de l'ambassadeur russe à Copenhague, lequel avait fustigé cette participation danoise au programme otanien dans des propos plus que vifs.

L'Islande, qui a abrité des troupes américaines jusqu'en 2006, est membre de l'OTAN et a des accords de défense avec le Danemark et la Norvège, ne peut se permettre de rester en marge de cette initiative alors qu'elle ne dispose d'aucun moyen de défense. On chercherait cependant longtemps les raisons pour la Russie de s'en prendre à l'île volcanique, vis-à-vis de laquelle elle a eu par le passé des positions amicales alors que l'économie islandaise était en crise.

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L'attitude de la Norvège est en revanche plus surprenante. Le pays, qui a signé en avril 2010 un accord frontalier avec la Russie, délimitant la ligne de séparation entre les zones exclusives maritimes des deux pays en mer de Barents, accord cité en exemple comme la possibilité de régler par une concertation apaisée les querelles territoriales en Arctique, semble avoir oublié les déclarations de son Premier ministre de l'époque, Jens Stoltenberg. « C'est une journée historique car nous avons trouvé la solution à une question importante, demeurée ouverte, et qui opposait la Norvège à la Russie. Cette solution représente plus qu'une délimitation territoriale sous la surface de l'océan; il s'avère important pour le développement de bonnes relations de voisinage », déclarait alors avec optimisme et enthousiasme Jens Stoltenberg. Mais il est vrai qu'il n'est plus aujourd'hui aux commandes du gouvernement norvégien ayant pris la tête de l'OTAN…Il est certain quoi qu'il en soit que les craintes exprimées à Oslo n'empêchent pas la compagnie pétrolière norvégienne Statoil de préparer la mise en exploitation de quatre nouveaux gisements pétroliers en Sibérie occidentale et en mer d'Okhotsk, en coopération avec le groupe pétrolier public russe Rosneft.

La Suède n'est pas non plus d'une franchise exemplaire dans ce dossier. Car la question de l'appartenance à l'OTAN était posée bien avant que la crise ukrainienne n'éclate.

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Le chef d'Etat-major des armées suédois, Sverker Göranson, critiquant les restrictions budgétaires en matière de défense depuis la fin de la guerre froide, avait affirmé en janvier 2013 que les forces suédoises n'étaient plus capables de défendre le pays plus d'une semaine contre une agression majeure. Cette déclaration avait provoqué une vive réaction dans l'opinion publique, la question de l'intégration dans l'Alliance atlantique étant ouvertement posée en dépit du statut neutre du pays. Depuis lors les militaires suédois ont sauté sur la moindre occasion, réelle ou imaginaire, pour dramatiser leur faiblesse et plaider en faveur d'une adhésion à l'OTAN.

Dans les faits les Suédois, mais aussi les Finlandais, ne se disent plus neutres mais revendiquent une position « militairement non-alignée » ou « militairement non-alliée », depuis les années 1990. La Russie, ruinée, était pourtant loin à l'époque de pouvoir constituer une menace…

Nous assistons donc à la simple accélération d'un processus engagé depuis près de vingt ans, l'entrée de l'ensemble du monde nordique, Etats neutres compris, dans la sphère de défense atlantiste. La crise ukrainienne n'est qu'un prétexte.

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur.

 


1 http://www.lefigaro.fr/marches/2008/10/07/04003-20081007ARTFIG00730-l-islande-en-quasi-faillite-demande-un-pret-d-urgence-a-la-russie-.php

2 http://www.bloomberg.com/news/articles/2015-03-18/norway-s-statoil-plans-four-oil-wells-in-russia-amid-sanctions
3 Voire « La Suède se découvre sans défense », Le Figaro, 15 janvier 2013, http://www.lefigaro.fr/international/2013/01/15/01003-20130115ARTFIG00620-la-suede-se-decouvre-sans-defense.php
4 « The Nordic countries and the European security and defence policy », p. 8.
http://books.sipri.org/files/books/SIPRI06BaHeSu/SIPRI06BaHeSu.pdf

 

 

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