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Ce qui se passe aujourd’hui à Donetsk, à Lougansk et plus particulièrement dans les banlieues du Sud-Est ukrainien est sciemment occulté par les médias occidentaux loyalistes qui ont l’habitude, l’expérience d’une foultitude de guerres artificielles en poche, d’orienter et de réorienter l’opinion publique à leur guise, selon des critères opportunistes.

Vous connaîtrez la vérité et la vérité vous affranchira, est-il dans l’Evangile (Jn. 8 :32). Ce qui se passe aujourd’hui à Donetsk, à Lougansk et plus particulièrement dans les banlieues du Sud-Est ukrainien est sciemment occulté par les médias occidentaux loyalistes qui ont l’habitude, l’expérience d’une foultitude de guerres artificielles en poche, d’orienter et de réorienter l’opinion publique à leur guise, selon des critères opportunistes.
Heureusement qu’il est des journalistes qui n’ont pas froid aux yeux et qui, abandonnant leur fauteuil moelleux, se rendent dans l’épicentre même des évènements pour s’en faire une idée empirique et surtout indépendante.

C’est le cas de Pierre Piccinin da Prata, enseignant, écrivain et reporter belge, emprisonné à deux reprises et notamment retenu pendant cinq mois par la brigade islamiste Al Farouk. Cette fois, M. Piccinin da Prata s’est rendu à Donetsk d’où il y a eu l’amabilité de m’accorder un entretien. Je soumets à votre attention son précieux témoignage ainsi que certains éléments d’analyse.

La Voix de la Russie. Vous êtes en ce moment à Donetsk, dans le cadre d’un voyage de quelques jours qui devrait pouvoir vous permettre d’élucider les tenants et les aboutissants d’une guerre civile qui sévit en plein centre de l’Europe (même si le cadre de la guerre civile est largement dépassé). Que se passe-t-il en ce moment à Donetsk ? Dans quel état se trouve la ville ? Que disent les gens qui sont sur place ? Soutiennent-ils de façon plus ou moins massive la " Résistance du Donbass " ?

Pierre Piccinin da Prata. Je n’ai pas véritablement l’impression que la population soit très engagée. La population qui est la première victime de ce conflit subit plutôt une situation assez désagréable. En tout cas dans la ville de Donetsk même – je tiens à le préciser, pas dans la banlieue – on a une population qui attend que ça se passe et qui aimerait que la situation revienne à la normale, bien qu’en général il y ait une certaine haine pour ceux qu’on appelle ici les " Ukrainiens " et qui imposent ce blocus partiel à la ville.

© RIA Novosti . Max Vetrov / Accéder à la base multimédiaSituation à Donetsk
Situation à Donetsk - Sputnik Afrique
Situation à Donetsk

LVdlR. Vous parlez en l’occurrence de Donetsk. Est-ce que cette description est valable pour Lougansk?

Pierre Piccinin da Prata. Lougansk vit une situation plutôt dramatique sur le plan humanitaire. On n’y parle vraiment plus de politique ou très peu. Ce qui préoccupe les gens, c’est de trouver de l’eau. C’est l’été, donc il fait très chaud malgré les quelques orages de ces derniers jours. Les habitants manquent de nourriture, ils cherchent donc à s’en procurer. Il y a un peu de marché noir qui vient de la campagne environnante mais il très difficile à l’heure actuelle d’entrer dans la ville qui est complètement assiégée. Il n’y a plus d’électricité, plus de téléphone, plus d’internet et surtout plus d’eau et ça c’est le gros problème ! Il y a quelques points où on trouve encore un peu d’eau alors les gens se déplacent des fois sur plusieurs kilomètres avec des petits chariots qu’ils tirent derrière eux, avec des bouteilles, des bidons pour faire leur petite réserve d’eau et attendre que ça s’arrange. 

LVdlR. Est-ce qu’il y a un sentiment de vexation vis-à-vis du Kremlin ? Est-ce que ces gens-là se sentent véritablement abandonnés par Poutine ?

Pierre Piccinin da Prata. Abandonnés, pas vraiment, mais beaucoup se rendent bien compte que Moscou en fait utilise cette crise et peut-être l’envenime un peu aussi parfois, cela pour justifier une intervention en Ukraine dans ce que je dirais être, là je m’engage personnellement, sa légitime défense par rapport à l’Occident. Je pense qu’il est très clair et admis, si on fait une petite étude politologique de la révolution ukrainienne, que c’est une révolution qui a été organisée par l’UE et par les USA dans le but de progresser toujours plus à l’Est dans leur contrôle du territoire centre-européen.

LVdlR. Vous dites que la Russie exploite cette situation tout à fait dramatique à ses fins pour justifier une éventuelle intervention. Mais alors pourquoi n’est-elle pas intervenue avant?

Pierre Piccinin da Prata. Disons que la Russie a été un peu prise de court, semble-t-il, par les événements qui ont accompagné et suivi ce qu’on a appelé la " révolution du Maïdan ". Je pense qu’elle a été prise de court et qu’elle n’a pas su comment réagir face à ce mouvement qui a été organisé comme l’avait été la " révolution orange ", c’est-à-dire de manière assez artificielle, sur la base d’un mécontentement d’une partie assez minoritaire de la population. Un mécontentement que l’on a grossi, monté en épingle et qu’on a soutenu à travers des mouvements qui ont été en partie importés. Ça s'est passé dans d’autres pays, par exemple en Serbie, en Géorgie et au Kirghizstan où ça n’a pas bien fonctionné, etc. Maintenant, la Russie essaye de sauver les meubles. Je pense déjà que la Crimée est quelque chose d’acquis pour la Russie qui l’a intégrée. Il sera très difficile pour la communauté internationale de faire reculer le Kremlin sur ce point, lui qui essaye de maintenir son influence sur la partie russophone de l’Ukraine.

LVdlR. Quels sont les buts affichés par la Résistance ? Envisage-t-elle à terme une fédéralisation ou plutôt un rattachement à la Russie ?

Pierre Piccinin da Prata. Non, il ne s’agit pas du tout de rattachement dans ce qu’on appelle ici la " république populaire du Donbass " qui n’est encore qu’une idée. En fait, il y a deux républiques séparées qui ne s’entendent pas nécessairement sur tous les points, la république de Donetsk et la république de Lougansk. Et ces deux républiques indépendantistes ont clairement pour objectif de devenir des Etats indépendants, peut-être même une confédération indépendante, mais certainement pas de se rattacher à la Russie. Il y a ici une véritable identité du Donbass. Les gens n’ont pas le sentiment d’appartenir à la nation ukrainienne. Ce sentiment d’appartenance à l’Ukraine est d’ailleurs un mythe créé il y a une vingtaine d’année à travers les manuels scolaires et les cours d’histoires à l’école. C’est peut-être un peu chez les adolescents cette idée de la nation ukrainienne qui fait du chemin mais pour la grande majorité de la population, ce n’est pas le cas. Et si on se sent proche de la Russie, on ne se sent pas nécessairement russe pour autant.

LVdlR. Faut-il donc croire que le terme de prédilection de la presse occidental, " les insurgés pro-russe ", découle d’un abus terminologique, les " insurgés " n’ayant en réalité rien de " pro-russe " ?

Pierre Piccinin da Prata. Disons qu’un attachement à la Russie est tout de même à relever. Il y a la langue, la culture, mais il y a avant tout une identité profondément ancrée dans cette idée du Donbass propre à la région.

LVdlR. Est-ce que ce que vous voyez sur place vous rend plus ou moins optimiste ? Pensez-vous qu’il puisse y avoir un dénouement certain à ce conflit ou alors c’est une guerre qui a vocation à durer et à s’exacerber au-delà du degré d’exacerbation qu’il a déjà atteint ?

Pierre Piccinin da Prata. Votre question me permettra très rapidement de mettre une petite chose au point. Au niveau des deux villes, et je parle bien uniquement des villes, je ne parle pas des provinces de Lougansk et de Donetsk, il y a très peu de destructions dans la ville même, il n’y en a quasiment pas. Pour ce qui est de Donetsk – et c’est quelque chose qui m’a vraiment étonné, moi qui ai fait la Lybie, la Syrie et d’autres régions, des terrains très dur, j’étais récemment à Falloujah où j’ai vu des villes complètement détruites, rasées – il y a une situation un peu curieuse quand on arrive, qui est même sidérante quand on voit une ville comme vidée de ses habitants. Les feux rouges continuent à clignoter, les feux de signalisation, les luminaires la nuit, tout fonctionne mais il n’y a plus personne dans les rues. Environ 70% de la population a quitté Donetsk et un peu plus encore à Lougansk. Il y a quelques impacts d’obus à l’intérieur de la ville, mais ça se compte sur les dix doigts et ce sont vraiment des obus de très petit calibre et qui se sont un peu perdus. Je ne crois pas qu’il y ait une volonté de l’armée ukrainienne de détruire ces villes. C’est la même chose à Lougansk, même si la ville a été un petit peu plus touchée par les bombardements mais très peu. Je crois donc qu’il faut être très clair : il n’y a pas vraiment de point de non-retour qui a été atteint, des négociations sont par conséquent possibles. J’aimerais préciser entre parenthèses que je ne parle pas des banlieues de ces deux villes, quoiqu’à Lougansk l’armée ukrainienne entre tout doucement dans les banlieues et commencent à les bombarder là où il y a des poches de résistance de l’armée de la République de Lougansk. Mais quand on va dans les petites agglomérations de la campagne qui entourent ces deux villes, il est vrai qu’il y a énormément de destructions. Je suis aussi passé, en revenant de Lougansk pour revenir sur Donetsk, par Slaviansk. Cette dernière a été terriblement touchée. Les banlieues sont ravagées, complètement détruites. Mais je pense que l’armée gouvernementale ukrainienne ne veut pas reproduire ce scénario ici à Donetsk ni à Lougansk ".

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