Fabergé : entre vie et légende (partie 2)

Fabergé : entre vie et légende (partie 2)
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Quand on associe Carl Fabergé à quelque chose ce sont souvent les œufs impériaux. Les gens sont souvent étonnés de savoir que ce n’est pas tout. Et pourtant cet artiste exceptionnel a révolutionné l’orfèvrerie et transformé l’entreprise de son père en un lieu mythique, où la créativité était le maître mot. C’est sur cette idée nous avons interrompu la dernière fois notre entretien avec Caroline Charron, journaliste française, auteur du livre « Fabergé, de la cour du tsar à l’exil ».

Aujourd’hui nous allons reprendre notre conversation pour parler de la spécificité des créations de Fabergé mais aussi afin d’évoquer le destin de cet homme exceptionnel, pour qui la Russie a été sa patrie mais aussi un pays qui l’a forcé de partir, de chercher une terre d’asile. La révolution russe a mis fin à la maison Fabergé qui bénéficiait pourtant d’une réputation mondiale et d’une clientèle variée, en dehors des cours de monarques. Insistons une fois encore qu’en parlant de Carl Fabergé il faut éviter des clichés et des raccourcis. Caroline Charron commente et précise :

Caroline Charron. C’est vrai que dans les têtes Fabergé est associé aux œufs. D’où l’intérêt que j’ai trouvé à écrire ce livre, à montrer la richesse de ce travail et son côté innovateur parce que Fabergé a vraiment sorti la bijouterie traditionnelle qui était de l’or et des diamants … plus il y avait de diamants, plus c’était cher, alors que lui, ce n’était pas du tout son propos. C’est la finesse du travail. Quand on voit ses œufs, ce ne sont pas tellement les matériaux qui sont importants, c’est la finesse du travail, c’est l’inventivité. C’est vrai qu’un œuf se renouvelait chaque année. Ce n’était pas facile. Il y en avait quand même une cinquantaine, et chaque œuf est totalement différent l’un de l’autre. A chaque fois, il a trouvé une idée nouvelle. Plus l’idée de la surprise à l’intérieur qui était une vraie trouvaille, même si l’idée de l’œuf à Pâques n’a pas été inventée par Carl Fabergé. C’est quelque chose qui se faisait notamment à la cour de Louis XIV, où on offrait des œufs avec une surprise à l’intérieur. Mais c’était des œufs beaucoup plus « basiques », j’allais dire. Et c’est là le génie de Carl Fabergé, c’est qu’il avait une très grande connaissance des arts et de ce qui se faisait et s’était fait. Il a réussi à s’inspirer et à créer quelque chose de nouveau à partir d’une base historique.

LVdlR. Est-ce qu’on peut trouver ces objets dans des musées ou ce sont les collectionneurs privés qui les possèdent?

C.C. Depuis relativement peu, il y a un musée à Baden-Baden, en Allemagne, ouvert par un milliardaire russe qui a racheté une grande partie de la collection Forbes, parce que Forbes, l’Américain avait neuf œufs. C’est un passionné qui l’a vendue il y a quelques années, et une partie de cette collection est maintenant dans un musée dédié à Fabergé à Baden-Baden. Il y en a au Palais des armures à Moscou. Et il y en a aussi quelques uns, celui qui est sur la couverture de mon livre est à Cleveland, par exemple. Donc, il y en a aussi dans les musées américains mais de manière un petit peu disséminée. C’est pourquoi dès qu’il y a une exposition, les amateurs se précipitent puisque cela permet de regrouper des choses qui étaient à droite, à gauche. Et puis il y a effectivement des choses dans des familles… A l’occasion des salons, je vois des gens qui disent : « Ah, j’ai un collier, j’ai un bracelet qui vient de… » On me raconte des histoires extraordinaires, et de lire ces histoires pour eux c’est très émouvant parce que ça raconte des histoires qu’ils connaissent.

LVdlR. Justement, il est temps d’ouvrir la page historique et d’évoquer le destin de l’artiste. On sait qu’il est mort en Suisse en 1920, peu après la révolution bolchévik. Y a-t-il un rapport ? Au moment de la révolution était-il en Russie ? Caroline Charron précise :

C.C. Alors, il était en Russie au moment de la révolution, et il était au départ plutôt enthousiasmé par ce mouvement. Encore une fois, il traitait bien ses ouvriers, il n’était pas du tout en conflit. D’ailleurs, il a été arrêté deux fois et ses ouvriers sont montés à créneau, si je peux m’exprimer ainsi, pour aller le faire libérer en expliquant que ce n’était pas un patron comme les autres, mais qu’il les traitait bien, etc. Et grâce à ses ouvriers qui se sont mobilisés, il a été sorti, alors que dans d’autres cas, les patrons étaient lynchés par leurs ouvriers. Que là, au contraire. Pourtant il était très proche du tsar, il était fournisseur officiel. Il était dans une position extrêmement dangereuse mais il est resté quand même jusqu’en 1918. Toute sa vie, c’était Saint-Pétersbourg, il était extrêmement attaché à sa ville natale et son travail. C’est vrai qu’il a eu beaucoup de mal à quitter et tout laisser derrière lui. Donc, ils ont absolument tout perdu. Il a fui de manière tout à fait rocambolesque que je retrace ici, de nuit, sous la neige, déguisé. Et il est mort deux ans après, sa famille dit le cœur brisé, je pense qu’il y a quelque chose comme ça parce qu’effectivement il n’avait plus de raison de vivre. Sachant qu’un de ses fils, Agathon, qui était un spécialiste des pierres, était, lui, en ce moment emprisonnée par les bolchéviks. Il est resté un certain nombre d’années et les bolchéviks l’ont utilisé pour recenser tous les joyaux de la couronne impériale. C’était quelqu’un qui avait beaucoup de valeur pour les bolchéviks parce que les bolchéviks se sont servis des objets Fabergé comme monnaie pour avoir de l’argent

LVdlR. échanger…

C.C. Bien sur. Pour financer la révolution. Donc, le premier travail d’Agathon c’était de répertorier l’ensemble des choses, mettre des prix à côté, pour que ce soit vendu à l’étranger. C’est pour ça que les objets Fabergé ont été disséminés énormément. Et une petite anecdote aussi pour savoir à quel point les objets Fabergé à l’époque déjà étaient reconnus comme des choses de grande valeur, c’est que quand la famille impériale a été envoyée en exil, les bolchéviks leur ont dit : « Prenez ce que vous voulez, les livres, les meubles, peu importe sauf les œufs Fabergé ». Ils savaient très bien à quoi ils avaient affaire et ce qu’ils allaient en faire. Donc, il y avait une grande valeur sur ces objets-là et une grande convoitise parce que les œufs impériaux avaient été présentés lors de l’exposition universelle de Paris en 1900 et ça a été une sorte de choc – c’était la première fois qu’ils sortaient de la collection privée des tsars, qu’ils étaient exposés au grand public. Déjà c’était une collection exceptionnelle et ça a été une grande découverte pour les Occidentaux. De là sont parties énormément de copies. Il paraît qu’à l’époque on voyait des fabergés dans toutes les vitrines – des faux, bien évidemment. Mais ça a lancé cette mode-là et ça l’a fait connaître d’une manière encore plus grande.

LVdlR. Et la famille s’est installée en France?

C.C. La famille s’est installée en France… Enfin, ils ont été un petit peu partout. Les fils sont partis plutôt vers le Danemark, Londres. Sa femme était en Suisse. Maintenant madame Fabergé et Carl Fabergé sont enterrés à Cannes, on peut aller voir leur tombe au cimetière de Cannes. C’est son fils, parce que Carl est mort en Suisse, qui a rapatrié les ossements de Carl Fabergé pour qu’il soit à côté de sa femme à Cannes. La famille a éclaté... Et aujourd’hui Tatiana Fabergé vit en France, pas très loin de la frontière suisse d’ailleurs. Et c’est vrai que la maison, même le nom ne leur appartient plus. C’est ça qui est dommage. A l’époque on ne déposait pas son nom comme on peut le faire maintenant. Le nom de Fabergé a été utilisé pour tout et n’importe quoi, et ils ont perdu bien évidemment le stock, la maison, l’entreprise, mais aussi leur nom.

LVdlR. Et Tatiana Fabergé c’est…

C.C. L’arrière petite-fille qui est un peu la gardienne de la mémoire, qui a sorti d’ailleurs un grand dictionnaire en anglais qui recense tout ce qu’on sait ou tout ce qu’elle a pu collecter sur son ancêtre, parce que c’est vrai qu’il est parfois difficile de débrouiller le vrai du faux dans tout ce qui se raconte. Des gens déforment les propos. On trouve un peu tout et n’importe quoi. Donc c’était intéressant d’avoir quelqu’un sérieux sur la question qui puisse débrouiller tout cela.

LVdlR. Vous avez entendu Caroline Charron, journaliste française, auteur du livre « Fabergé, de la cour du tsar à l’exil ».

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