La France en récession : surprise ou évolution logique ?

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L’INSEE vient de reconnaître que la France est en récession. Le temps n’est plus ou les représentants du gouvernement nous chantaient sur tous les tons, et parfois avec toute l’assurance de ces polytechniciens qui ne connaissent rien à la réalité.

L’INSEE vient de reconnaître que la France est en récession. Le temps n’est plus ou les représentants du gouvernement nous chantaient sur tous les tons, et parfois avec toute l’assurance de ces polytechniciens qui ne connaissent rien à la réalité, que la croissance en 2013 serait de +0,8%. C’était à l’automne dernier, mais qui s’en souvient encore ? La nouvelle est en train de déclencher une polémique, tout à fait inutile par ailleurs, sur la « responsabilité » de la politique de François Hollande. Ce dernier n’a fait, en réalité, que continuer la politique de son prédécesseur. Le graphique ci-dessous indique bien que le mouvement a commencé en 2011 (et donc sous la présidence Sarkozy) mais qu’il s’est accentué avec François Hollande. À cela, pas de mystère. Ce dernier applique la même politique d’austérité que celle de son prédécesseur à l’Elysée.

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Graphique 1 - Sputnik Afrique
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Les données de l’INSEE sont très claires à cet égard. La consommation est stagnante ou décroît depuis plusieurs trimestres et, naturellement, la production suit le mouvement.

Il y a un point cependant qui apparaît comme plus inquiétant encore que la récession qui se manifeste à travers les données du PIB : c’est la chute de l’investissement et de la demande. En fait les deux mouvements sont profondément liés. Une entreprise n’investira que si elle a des perspectives de profit (sauf si elle fait de la philanthropie, ce qui est rarement le cas). Quand la demande se contracte, les occasions de faire du profit diminuent. Or la demande, après avoir récupérée de la crise de 2008, se contracte depuis plusieurs mois et ce quelle que soit la manière dont on la calcule.

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Graphique 2 - Sputnik Afrique
Graphique 2

Bien entendu, on pourrait imaginer que la contraction de la demande intérieure en France pourrait être compensée par une forte demande extérieure. Mais ceci soulève alors deux problèmes. D’une part, les principales économies de la Zone Euro (sauf l’Allemagne) sont elles-mêmes en récession, et la demande y décroît même plus vite qu’en France. D’autre part, pour pouvoir gagner sur l’extérieur un espace de profit, il faut être compétitif. Hors, depuis 2003, la compétitivité française s’est détériorée, et l’Euro n’est pas pour rien dans ce processus.

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Graphique 3 - Sputnik Afrique
Graphique 3

On voit par ailleurs que ce n’est pas la réforme des 35h qui a dégradé la compétitivité, mais bien la mise en œuvre des politiques allemandes de transfert du poids des charges des entreprises vers les ménages, politiques qui sont l’équivalent d’une dévaluation masquée et qui sont la démonstration que le gouvernement allemand a mené une politique d’exploitation de ses voisins. Le fait que l’excédent commercial de l’Allemagne soit passé de 66% à 72% pour sa part réalisé DANS la zone Euro en est une autre preuve.

On constate la dégradation de la balance commerciale à partir du début de 2004, le déficit commercial atteignant son maximum au 1er trimestre 2011. Par la suite, la réduction de la demande intérieure a limité l'ampleur de ce déficit, mais ce fut au détriment du taux de croissance qui, dès la fin de 2011 a commencé a stagner. En réalité, la demande intérieure des ménages reste le déterminant principal de la croissance, ce que montre le graphique suivant.

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Graphique 4 - Sputnik Afrique
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On peut aussi constater d'ailleurs que la demande n'explique qu'une partie de la croissance. C'est tout à fait normal et il faut se tourner, pour le reste, vers l'investissement productif soit celui des entreprises non-financières et des ménages. On remarque alors que, hormis la période de la crise (2ème trimestre 2008-fin 2009 et depuis le 2ème trimestre 2012) la relation entre l’investissement et le PIB est elle-même assez stable. Cependant, l'investissement productif lui aussi décroît, comme nous l'avons remarqué au début de cette note. Ce qui est plus grave est que toutes ses composantes sont affectées d'un même mouvement, qu'il s'agisse des entreprises (non-financières) ou des ménages, et ceci en dépit de taux d'intérêt très bas. Les entreprises, en particulier celles de petite taille, réduisent leurs investissements afin de conserver de la liquidité. De ce point de vue, on ne peut que constater l’existence d’un cercle vicieux entre l’activité et l’investissement. La stagnation de la demande décourage l’investissement, ce qui contribue à dégrader un peu plus le niveau général de la demande.

La demande des ménages, elle, est ponctionnée tant par l’impôt que par les entreprises qui veulent reconstituer leur taux de marge. Dans ces conditions, et compte tenue de la politique fiscale et budgétaire du gouvernement qui ajoute aux tendances récessives, il y a peu de chances que le mouvement s’inverse. Ajoutons à cela l’impact du ralentissement de la croissance en Chine et aux États-Unis, et l’on verra qu’il n’y a rien à attendre de positif pour la seconde moitié de 2013 et même pour 2014. De ce point de vue, l’entrée de la France en récession n’est pas une nouvelle surprenante. C’est la conséquence logique des évolutions de ces derniers trimestres.

La solution qui s’impose, devant le blocage institutionnel en Allemagne sur la question de la hausse des salaires, ne peut être qu’une dissolution de la zone Euro et une dévaluation compensant les effets de la politique allemande du début des années 2000. C’est la voie de la raison et de la sagesse. Il ne faut plus tarder à cet égard.

L’opinion exprimee dans cet article ne coïncide pas forcement avec la position de la redaction, l'auteur étant extérieur à RIA Novosti.

*Jacques Sapir est un économiste français, il enseigne à l'EHESS-Paris et au Collège d'économie de Moscou (MSE-MGU). Spécialiste des problèmes de la transition en Russie, il est aussi un expert reconnu des problèmes financiers et commerciaux internationaux.Il est l'auteur de nombreux livres dont le plus récent est La Démondialisation (Paris, Le Seuil, 2011).

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