La loi anti-Magnitski, prémisse d’une nouvelle guerre froide?

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Durant ces vacances de noël, une amie américaine qui veut adopter un enfant m’a fait remarquer que désormais elle ne pourrait plus espérer adopter un enfant russe, puisqu’une loi était entrée en vigueur en Russie, interdisant l’adoption d’enfants russes par des Américains.

Durant ces vacances de noël, une amie américaine qui veut adopter un enfant m’a fait remarquer que désormais elle ne pourrait plus espérer adopter un enfant russe, puisqu’une loi était entrée en vigueur en Russie, interdisant l’adoption d’enfants russes par des Américains. Il s’agit bien sur de la loi Dima Yakovlev, qui a fait au moins autant de publicité à la Russie que l’affaire Depardieu, mais sans aucun doute en bien plus négatif.

J’ai répondu à cette amie ce que je pensais, à savoir qu’il me semblait que comme d’habitude, la Russie était agressée (cette loi faisant suite a une loi américaine, la loi Magnitski, empêchant l’entrée du territoire américain à des officiels russes), et que comme d’habitude elle se défendait sans doute mal. Il aurait sans doute suffi de faire une liste "riposte" russe en réponse, ce qui a finalement été fait mais trop tard et trop peu médiatisé, et surtout ne pas donner l’impression que les enfants étaient pris en otages. Encore une fois, la Russie s’est mal vendue à l’étranger et s’est jetée dans la gueule du loup médiatique, apparaissant comme un pays dont le bourreau en chef signe des lois autoritaires empêchant les orphelins russes d’espérer une vie meilleure en Amérique.

Les lecteurs francophones ne savent pas forcément qui est Dima Yakovlev, cet enfant qui a donné son nom à cette loi. Dima Yakovlev est un enfant russe, oublié par son père adoptif américain dans une voiture en plein soleil et qui est décédé en Amérique en 2008. Jugé, le père adoptif a lui été acquitté. Сette affaire n’est pas la seule à avoir défrayé la chronique des adoptions outre atlantique. En 2010, un garçon de 7 ans, Artyom Savelyev, a par exemple été renvoyé des Etats-Unis par sa mère adoptive. Arrivé en Russie, il n’avait sur lui qu’un billet sur lequel était inscrit cette phrase: "Je ne veux plus m’occuper de cet enfant." La mère adoptive, qui avait déclaré que l’enfant était mentalement instable, n’a pas été poursuivie. Cette dernière venait cependant visiblement d’ouvrir un nouveau type d’adoption: l'adoption à durée indéterminée. On peut tenter d’imaginer les dégâts émotionnels sur l’enfant, et se demander sérieusement comment un tel comportement n’entraine pas de devoir rendre des comptes. Autre cas célèbre: celui de la famille Craver, en Pennsylvanie. Monsieur et madame Craver ont eux été emprisonnés durant seulement dix-neuf mois après avoir battu à mort Nathaniel Craver, leur fils adoptif venu lui aussi de Russie.

Jusqu'à maintenant, les ressortissants étrangers adoptent près de 3.400 enfants russes par an, selon le ministère russe de l'Education. Près de 900 enfants par an sont notamment adoptés par des Américains. En 20 ans, 19 décès d’enfants russes ont eu lieu aux USA du fait de leurs familles adoptives. A titre de comparaison, bien que l'Italie et l'Espagne ne cèdent que légèrement aux Etats-Unis pour le nombre d'enfants russes adoptés (en 2011, les Américains, les Italiens et les Espagnols ont adopté respectivement 965, 798 et 685 mineurs russes), aucun cas de mauvais traitements infligés aux enfants n'a été constaté en Italie ou en Espagne.

Concernant les Etats-Unis toujours, il est intéressant de regarder d’où viennent les bébés adoptés par les familles américaines ces dernières années et de garder en tête certains chiffres: en Amérique en 2011 il y aurait 125.000 orphelins mais près de 500.000 enfants vivraient sans leurs parents, pendant qu’il y aurait un million d’enfants dans la rue. Enfin, la baisse du nombre d’adoptions d’enfants russes qui devraient résulter de cette loi Yakovlev n’est pas un évènement historique et unique, puisque par exemple le blogueur Anatoly Karlin relève que les adoptions d’enfants du Guatemala ou de Roumanie sont également presque taries, pour le cas de la Roumanie depuis 2005.

Le nombre d’orphelins en Russie avoisine les 645.000 en 2013. Sur ces 645.000 ce sont 128.000 enfants qui attendent d’être adoptés cette année, alors que seulement 18.000 familles russes ont déjà fait des demandes d’adoption. Les chiffres étaient de 82.000 enfants en attente en 2011 pour 7.200 adoptions par des familles russes. Le besoin d’adoption est donc à ce jour en Russie non seulement croissant mais aussi prés de 10 fois supérieur à la demande nationale. Le problème des orphelins en Russie est non seulement une honte nationale, mais aussi un problème d’envergure.

J’ai aussi dit à mon amie qu'à mon sens un pays qui se veut être une grande puissance se doit de pouvoir s’occuper de ses enfants et de les faire élever par des familles soit russes, soit résidentes en Russie pour s’assurer d’en faire des citoyens russes. Pour le cas de la Russie c’est absolument fondamental. Pourquoi? Tout simplement parce que la situation démographique russe ne permet pas à la Russie de se passer du moindre fragment d’ADN russe.

L’administration russe, en tentant de protéger activement cette ressource nationale essentielle qu’est son capital humain, ne fait finalement que témoigner de sa volonté de protéger ses enfants, en affirmant le premier des droits d’un pays: sa souveraineté, une souveraineté dont les questions d’adoption font partie, comme le rappelle la commentatrice française Karine Golovko. Il faut d’ailleurs aussi mentionner que la loi a été votée presque à l’unanimité par le parlement (93% des députés ont voté pour) et va dans le sens de ce que le peuple russe souhaite, puisque les russes sont 56% à soutenir la loi et seulement 20% à être contre.

L’état russe a également élaboré un programme nommé "Russie sans orphelins" afin de résoudre avant 2017 le problème des orphelins en Russie. Ce programme national pourrait notamment être financé en grande partie par la nouvelle taxe sur les objets de luxe annoncée par le président en fin d’année dernière et qui devrait entrer en vigueur au premier semestre 2013.

L’affaire des orphelins russes se présente pour le gouvernement russe comme un challenge au moins aussi important que le challenge démographique, qui lui a été au moins en grande partie résolu. Mais il va sans dire que la loi Dima Yakovlev va sans nul doute être le prétexte à un durcissement des relations Russie-Amérique. Serions-nous, comme le pronostiquent certains experts des relations russo-américaines, "à deux pas d’une nouvelle guerre froide"?

 

L’opinion exprimée dans cet article ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction, l'auteur étant extérieur à RIA Novosti.

Alexandre Latsa est un journaliste français qui vit en Russie et anime le site DISSONANCE, destiné à donner un "autre regard sur la Russie".

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