Des Champs-Elysées à la Place Rouge

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Jean-Dominique Merchet - Sputnik Afrique
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Paris et Moscou sont les deux seules grandes capitales européennes où se déroule chaque année une impressionnante parade militaire, le 14 juillet en France et le 9 mai en Russie.

Paris et Moscou sont les deux seules grandes capitales européennes où se déroule chaque année une impressionnante parade militaire, le 14 juillet en France et le 9 mai en Russie. Certes, d’autres pays aiment et pratiquent les spectacles militaires, comme le Royaume-Uni avec le superbe Trooping the colors, mais nulle part ailleurs on ne fait défiler, devant un très large public enthousiaste, les troupes et les matériels de l’armée actuelle. Ailleurs qu’à Paris et à Moscou, dans quelle capitale européenne peut-on voir des chars de combat (Leclerc ou T-80) ou des batteries de missiles rouler sur le bitume ? Il y a là un étonnant point commun entre nos deux pays.

Ces défilés ne sont pas une cérémonie militaire : ils sont une mise en scène politique, au cours de laquelle on voit, selon l’adage romain, les armes céder à la toge : Cedant arma togae (Cicéron). Les militaires viennent, avec toute leur puissance, saluer et s’incliner devant leur chef civil en présence du peuple qui lui confère sa légitimité. Quelques bons esprits aiment à dénigrer ces défilés : ils feraient bien de s’instruire de leur signification.

A Moscou, la parade du 9 mai sur la Place rouge commémore la date de la victoire sur l’Allemagne nazie. C’est notre victoire commune et la présence, en 2010 d’un détachement d’aviateurs français  du régiment de chasse Normandie Niémen l’avait rappelé. Alors, des militaires russes descendant les Champs-Elysées ? Ce serait une excellente idée.

Car le défilé du 14 juillet est devenu, au fil des ans, l’occasion pour la France de délivrer un message international. En 1994, on vit ainsi des blindés allemands y participer. Magnifique symbole de réconciliation entre les deux pays, alors que cinquante ans plus tôt d’autres chars allemands étaient à Paris, mais sans y avoir été invités. On y vit ensuite les Marocains, les Américains (West Point), les Britanniques, les Brésiliens, les Indiens, l’ensemble des pays de l’Union européenne, les Africains – ces derniers en hommage aux troupes coloniales qui servirent la France. La politique se fait aussi dans la tribune officielle et les diplomates français n’aiment guère, aujourd’hui, se souvenir que le président syrien Bachar el-Assad fut l’un des invités d’honneur du défilé de 2008…

Cette année, la présence d’avions belges et britanniques témoigne de l’alliance entre nos pays, comme le feront les Jäger (chasseurs à pied) allemands qui défileront avec la brigade franco-allemande. Des Jäger dont le 291ème bataillon est, depuis deux ans, stationné en permanence en France, à côté de Strasbourg.

2012 aurait pu être une excellente année pour une présence russe sur les Champs-Elysées. C’est, à la fois, le 70ème anniversaire de la création de Normandie Niémen et le 200ème de la campagne de Russie, dont il est temps de reconnaître quelle folie et quel désastre elle fut ! Mais les diplomates et les politiques ont leurs prudences… surtout lors d’une année électorale.

A ceux qui dénigrent l’utilité de cette cérémonie (dont le coût est de 4 millions d’euros), rappelons aussi que le défilé du 14 juillet est une invention de la gauche ! Il date de 1880, sous la IIIème République. Cette année-là, la République fait du 14 juillet sa fête nationale, en hommage, non à la prise de la Bastille (1789) mais à la Fête de la Fédération (1790), qui entendait témoigner de l’unité de la Nation. Jules Grévy, président de la République élu par la gauche, assiste à un grand défilé militaire à l’hippodrome de Longchamp (Paris). A cette occasion, de nouveaux drapeaux sont remis à tous les régiments de l’armée française. Ils sont toujours là, 132 ans plus tard.

Ce sont donc ces mêmes étendards qui s’inclineront devant le président François Hollande, place de la Concorde. Ceux d’une armée qui s’interroge aujourd’hui sur son avenir. Les coupes budgétaires ne sont pas son seul souci – en cela les militaires partagent l’inquiétude de tous les Français. Non, ce qui préoccupe l’armée, c’est son rôle après l’Afghanistan.

Déjà entamé, le retrait a été accéléré par François Hollande. Dans un an, il ne restera que quelques centaines d’hommes en Afghanistan alors qu’ils étaient 4000 l’an dernier. Pour l’armée de terre, l’« Afgha » fut LA grande mission – celle où les militaires ont eu l’impression de renouer avec leur vraie métier. Toute une génération de jeunes cadres en restera marquée : ce sont nos « Afghantsy » à nous. Mais c’est terminé, alors que dans le reste du monde, les engagements se réduisent. La Cote d’Ivoire, le Tchad, le Liban : partout, les militaires français réduisent la voilure. Le Sahel, où les islamistes s’installent ? Personne ne songe à y déployer des troupes au sol, à part quelques forces spéciales déjà présentes.

Or, depuis 20 ans, toute l’armée française fonctionnait dans une logique expéditionnaire, celle des interventions à l’extérieur du territoire national. Ce fut à la fois la raison d’être du passage à l’armée professionnelle (1996) et la clé de la réussite de cette réforme importante. Car l’armée offrait des perspectives intéressantes, avec de très nombreux séjours à l’étranger.

L’heure est au retour sur le territoire national et les unités qui défileront ce 14 juillet l’illustreront. Elles n’ont pas été choisies au hasard : des véhicules utilisés pour le plan Vigipirate (la participation des militaires à la sécurité des agglomérations contre le terrorisme), des spécialistes NRBC en cas d’attentats chimiques, des spécialistes de la sûreté aérienne (pour la protection des grands événements), des marins-pompiers de Marseille, des personnels de la sécurité civile, etc.

C’est ce que des grands chefs militaires appellent avec plus ou moins d’humour la « betteravisation », c’est-à-dire le retour à la terre bien de chez nous, celle où poussent les betteraves ! Pour sauver les effectifs de l’armée de terre, ses chefs expliquent qu’en cas de catastrophes naturelles ou technologiques, seule l’armée pourrait faire face. Ils ont en tête le rôle capital des Forces d’autodéfense japonaises lors du tsunami et de l’accident nucléaire de Fukushima. Cela suffira-t-il à motiver les troupes ? Réponse lors des prochains défilés du 14 juillet ! Et si possible, avec quelques militaires russes.

* Jean-Dominique Merchet, journaliste spécialisé dans les affaires de Défense. Auteur du blog français le plus lu sur ces questions, créé en 2007. Ancien de l’Institut des hautes études de défense nationale. Auteur de nombreux ouvrages dont : « Mourir pour l’Afghanistan » (2008), « Défense européenne : la grande illusion » (2009), « Une histoire des forces spéciales » (2010), « La mort de Ben Laden » (2012).

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